« JE M’APPELLE HUMAIN », une entrevue de Marc Lamothe avec Kim O’Bomsawin

« JE M’APPELLE HUMAIN », un film de Kim O’Bomsawin sur l’œuvre et la vie de la poète Joséphine Bacon

Une entrevue de Marc Lamothe

« Ce que  Joséphine Bacon nous transmet aujourd’hui, à travers sa poésie, ce sont les récits des aînés qu’elle a su recueillir avec finesse toutes ces années à travailler auprès d’anthropologues. »– Kim O’Bomsawin

Le titre du film est à la fois poétique et énigmatique. Pourrais-tu l’expliquer aux gens qui n’ont pas encore vu le film ? 

Kim O’Bomsawin : En 2018, Joséphine Bacon publie UIESH/QUELQUE PART, son troisième recueil de poèmes en version bilingue, dans sa langue maternelle et dans la langue française. Innu, le nom de sa nation, signifie aussi « humain ». Dans l’un de ses POÈMES LES PLUS MARQUANTS, poème célébré partout à travers le monde aujourd’hui, on y trouve ce passage : « ma robe s’appelle lichen/ma coiffe s’appelle aigle/ mon chant s’appelle tambour… moi je m’appelle humain. »  (Tiré de : Joséphine Bacon, « Ma richesse s’appelle, Nous sommes tous des sauvages »). 

Quand on démarre un projet, on lui trouve un titre temporaire, un titre de travail en espérant qu’un titre définitif va s’imposer graduellement. Dès le début, je trouvais que JE M’APPELLE HUMAIN était le seul titre possible. Aucun mot ne peut bien résumer ce qu’est Joséphine Bacon. Ni auteure, ni documentariste, ni poète, ni traductrice, ni même femme. Je trouvais et trouve encore que c’est le seul titre possible pour aborder l’œuvre de Joséphine Bacon.  

Dans les faits, qu’avez-vous connu en tout premier ? La poète, la réalisatrice ou la femme ?

Kim O’Bomsawin : Dans les faits, ce sont mes producteurs et collègues Réginald Vollant (malheureusement décédé aujourd’hui) et Ian Boyd chez Terre Innue, une société de production autochtone basée à Maliotenam sur la Côte-Nord du Québec qui me sont arrivés un jour avec cette idée qui s’est avéré être le plus beau des cadeaux… Je connaissais déjà le personnage, mais j’ai appris à découvrir la femme, une femme réellement « magnétique ». À chaque étape du tournage, je réalisais à quel point Joséphine était connue et aimée des gens.  

Joséphine Bacon a toujours voulu nous faire découvrir en mots, en images et en témoignages son territoire. Avec le documentaire, tu as voulu retracer non seulement ses origines, mais aussi son parcours ici à Montréal en couvrant ses premiers pèlerinages et ses premiers arrêts ? Ce retour en arrière a-t-il été difficile pour elle ?

Kim O’Bomsawin : Difficile ? Pas du tout. D’ailleurs, JE SUIS HUMAIN a été le film le plus facile à tourner et à monter de toute ma carrière. Joséphine se décrit comme une Montréalaise. Elle connaît bien et aime profondément cette ville et tous ces recoins, même ceux qui la renvoient à des périodes plus difficiles de sa vie. Ça m’a même surprise de savoir qu’elle n’avait jamais réellement vécu l’intérieur des terres – le Nutshimit – comme ses ancêtres l’avaient fait. C’est seulement à ce moment que j’ai compris que les 15 années passées au pensionnat l’avaient complètement coupé de son peuple, de sa culture et qu’elle n’avait jamais réellement vécu le mode de vie de ses ancêtres. Ce qu’elle nous transmet aujourd’hui, à travers sa poésie, ce sont les récits des aînés qu’elle a su recueillir avec finesse toutes ces années à travailler auprès d’anthropologues. Aujourd’hui, elle nous transmet la beauté de la tradition orale de plusieurs générations de conteurs nés. 

Est-ce qu’il y a une section du documentaire ou une scène qui vous brise particulièrement le cœur d’avoir dû couper ou retirer du montage final ? 

Kim O’Bomsawin : Sincèrement, non. Ce qui a été coupé devait l’être pour les bonnes raisons. Contrairement à une fiction, en documentaire indépendant, la durée n’est pas tant un enjeu et nous avons vraiment pu utiliser tout ce qu’on voulait et qui servait le propos. 

Comment se porte Joséphine Bacon en ces jours de pandémie ? Êtes-vous en contact avec elle ?

Kim O’Bomsawin : Elle va très bien. Nul ne saura jamais quelle part de solitude ou de tristesse l’habite vraiment en ces jours de COVID car elle s’époumone à nous dire que tout va bien. Nous irons ensemble à Québec ce week-end pour la Première mondiale du film. On a plein de festivals à visiter et des tribunes pour faire vivre ce beau documentaire. Elle est aussi excitée à l’idée de se faire opérer le genou au mois d’octobre. Elle va enfin retrouver une certaine mobilité, car on la voit dans le film passer de la canne aux béquilles.  

Quel reste votre plus beau souvenir ou le plus grand lègue que vous retenez de cette rencontre avec cette grande dame ?

Kim O’Bomsawin : Je serai tentée de te dire tout le temps passé avec elle pendant le tournage. Surtout tout ce qui se passait après avoir dit le mot COUPEZ ! Elle se détendait et nous jasait de choses et d’autres. Mon directeur photo et moi, on s’est dit à la blague, à un moment donné, qu’il faudrait attacher un micro en permanence au cou de Joséphine et enregistrer tout ce qu’elle raconte… tout le monde devrait l’entendre et l’écouter. 

Une entrevue de Marc Lamothe avec Kim O’Bomsawin réalisée éalisée le 20 septembre lors du passage du documentaire au  Festival de Cinéma de la Ville de Québec (FCVQ)

À propos de la cinéaste

Kim O’Bomsawin est une cinéaste abénakise. Faire découvrir l’univers des Premiers Peuples est ce qui motive sa démarche. La ligne rouge, moyen métrage documentaire sur des jeunes joueurs de hockey autochtones, a été son premier film (2014). Depuis, elle a scénarisé et réalisé le long métrage documentaire Ce silence qui tue, qui a remporté le « Donald Britain Award for Best Political and Social Documentary » (Prix Écrans canadiens, 2018).

Kim a ensuite réalisé et co-scénarisé le documentaire Du teweikan à l’électro, primé auxGémeaux 2019, et le long métrage documentaire Minokin : réparer notre justice (2020). 

Elle travaille présentement à la réalisation de plusieurs projets de longs métrages documentaires, dont Nin Auass (Moi l’enfant) et Il faut tout un village. Depuis 2018, elle travaille comme productrice au contenu et réalisatrice du projet transmedia Laissez-nous raconter, et co-scénarise un premier long métrage d’animation sur le féminicide autochtone.

JE M’APPELLE HUMAIN

Écrit et réalisé par Kim O’Bomsawin
Avec la généreuse participation de Joséphine Bacon
Québec. 2020. 78 minutes.

Version originale innue et française avec sous-titres anglais.

Direction photo : Hugo Gendron, Michel Valiquette | Montage : Alexandre Lachance | Conception sonore : Luc Raymond | Mix : Jean-Philippe Goyette | Prise de son : Lynne Trépanier | Musique : Alain Auger | Animation : Meky Ottawa | Producteurs exécutifs : Josée Rock, Florent Vollant, Alexandre Bacon, Ian Boyd, Réginald Vollant (posthume) | Productrice : Andrée-Anne Frenette | Production : Terre Innue | Distribution : Maison 4:3.

Laissez-nous raconter est produit grâce à la participation financière de Radio-Canada, du FMC, de la SODEC, du CALQ, du Conseil des arts du Canada et des programmes de crédits d’impôt du Québec et du Canada.

***

Partager cet article

Plus d'articles dans Actualités / Cinéma / entrevue