Entrevue avec François Girard

Entrevue avec François Girard à propos de The Song of Names par Charles-Henri Ramon

Après la fresque historique Hochelaga, Terre des Âmes, François Girard propose The Song of Names, son plus récent film, présenté en première mondiale au Festival international du film de Toronto et en clôture de la 67e édition du Festival international du Film de San Sebastian

Quête identitaire, récit historique, musique omniprésente… on  a l’impression que le scénario écrit par Jeffrey Caine (The Constent Gardener) a été pensé tout spécialement pour François Girard. « En fait, c’est pour cela que l’on m’a approché pour faire le film, nous précise le cinéaste. Je dirai même que dans un premier temps, j’ai un peu hésité, parce que je ne cours pas après ça. C’est ça qui court après moi. Après une première vie qui n’a rien donné, Robert Lantos a repris le projet et m’a approché. J’ai lu le scénario et le livre, et en y regardant d’un peu plus près, je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose qui me parlait dans la mémoire de cette page noire de l’histoire. Surtout dans son approche, dans la mesure où c’est un sujet qui est un peu saturé. Mais ici, il y a un angle bien particulier. Très intime. Avec les deux personnages en avant plan, constamment. J’ai trouvé ça très touchant. Moi, mes compagnons, les acteurs, on était tous un peu en mission de mémoire. »

À travers les portraits de deux jeunes musiciens, l’un anglais de la petite bourgeoisie, l’autre juif issu d’une famille polonaise émigrée, le film retrace la douloureuse histoire des camps de la mort nazis. Pour le cinéaste, il est toujours important de rappeler ces horreurs. « C’est important de s’en rappeler au moment où le degré d’amnésie devient de plus en plus accablant, nous dit-il. Comment peut-on expliquer la montée de l’extrême droite et des mouvements néo-nazis en Europe ou aux États-Unis? C’est soit de l’ignorance ou de l’amnésie. C’était important pour moi. Et les deux personnages qui évoluent à travers différents âges, qui imposaient certains défis de réalisation. On a tous fait ça, des plus jeunes et des plus vieux reliés avec des flashbacks remontant à l’enfance. Mais là, mes deux principaux sont en trois acteurs. J’ai dû changer le scénario pour faire une vraie stratégie par rapport à ce fait-là. Le casting aussi, la préparation, le tournage, le montage… mes vraies batailles elles étaient là. Tous les jours pendant toute la conception du film. »

À l’instar de 32 Short Films About Glenn Gould, Red Violin et Boychoir, la trame musicale du film porte le film de bout en bout. Elle a été créée par le réputé compositeur Howard Shore (The Lord Of The Rings). Une relation qui s’est déroulée de la manière la plus naturelle qui soit selon le cinéaste. « En fait, quand j’ai  embarqué dans le projet, ils ont dû m’attendre parce que j’avais Hochelaga à faire, donc mes discussions avec lui ont commencé tôt. On s’est vu pendant presque deux ans avant de tourner. Howard et moi, on s’est compris tout de suite. Premièrement, il a fallu faire l’archéologie du chant, et dans ces deux minutes de film, il y a plus de travail que dans tout le reste de la trame. » les deux minutes en question sont celles d’une scène phare du film, durant laquelle les noms des juifs morts durant l’Holocauste sont déclamés dans un chant (le chant des noms donnant son titre au film), afin de ne jamais perdre la mémoire des disparus. « Norman Lebrecht est un érudit de musique et de tradition juive, nous précise le cinéaste. Il a donc produit quelque chose de très cohérent par rapport à la tradition orale ou liturgique juive, mais cette musique et ces paroles ont été écrites par le scénariste et Howard Shore. Pour lui, cette période de du récit [1951, NDLR], cette chanson, tout ça le ramenait dans son enfance. Je l’ai suivi dans sa démarche. On a fait des choix, de ne pas fabriquer, de ne pas utiliser de lipsync. Ce que l’on voit à l’écran c’est fait spontanément devant la caméra… »

Cette scène que Girard qualifie de centre de gravité du film, a été imaginée sans artifice, dans le respect de la vérité historique. Tout comme un autre temps fort du film qui a été tourné au mémorial du camp de concentration de Treblinka. « Ce champ de pierres, où chaque pierre représente une communauté, a été conçu dans les années soixante par un architecte, un historien et un sculpteur. C’est un véritable chef d’œuvre. Au départ, la scène était très bavarde. Ma visita du mémorial a été un choc très intense. Je suis revenu, et on a tout effacé pour ne garder que quelques lignes de texte. Pour le tournage, j’ai amené Tim [Roth, comédien principal, NDLR] et Magdalena [Cielecka, comédienne, NDLR] sur place. On a attendu le lever de soleil, et je les ai suivis en steadycam, dans le silence. »

Adapté du roman éponyme de Norman Lebrecht, The Song of Names prend l’affiche le 25 décembre prochain en version originale anglaise au Cineplex Forum, en version originale avec sous-titres français au Cinéma Beaubien ainsi qu’en version française au Cineplex Quartier Latin. Plusieurs autres villes du Québec s’ajouteront dès le 10 janvier 2020.

 

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