ENTREVUE avec Hélène Messier à l’occasion du 23e Congrès l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM)

Le congrès annuel de l’AQPM invite les participants à « Oser le changement »

Une entrevue de Hélène Messier, présidente-directrice générale 

par Jean-Pierre Tadros

La 23e édition du congrès annuel de l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM) se tiendra les 26 et 27 avril 2023 au Manoir Saint-Sauveur. Il n’a donc pas commencé, mais on peut déjà parler d’un succès. « C’est plus qu’un succès, nous confiera Hélène Messier, on a affiché COMPLET en 2 semaines. Et depuis, on a dû gérer ce succès, avec une longue liste d’attente. Ça a été difficile de satisfaire les besoins de tout le monde. Malheureusement, on n’y est pas arrivé et on a dû laisser des gens en plan et c’est dommage. Pour les prochaines années, on va prévoir des espaces qui peuvent accueillir plus de participants. »

Comment expliquer cette forte demande ? « Il faut reconnaître, précise Hélène Messier, que les gens ont besoin de se retrouver ensemble alors que beaucoup sont encore en télétravail. Et comme notre congrès se tient à l’extérieur de Montréal, les participants se retrouvent pris en otages, mais en otages volontaires, tous ensemble dans un lieu, ça crée plus d’occasions de réseautage. Je sens que les gens ont besoin de partager leurs expériences, qu’ils sont à la recherche de solutions, de nouvelles façons de faire. Et le congrès permet ce partage. Mais on espère qu’ils viennent aussi parce que la programmation est intéressante et qu’elle leur permettra, après ces deux journées, de partir avec de nouvelles idées. Certains producteurs me disent que ça suscite beaucoup de discussions entre les membres de leurs équipes quand ils viennent à nos congrès ; c’est donc pour eux une occasion de se ressourcer aussi, de penser un peu en dehors de la boîte et d’échanger avec d’autres producteurs pour voir s’il y a d’autres façons de faire, mais aussi pour probablement comparer leurs expériences. Sans oublier que ça leur donne l’occasion d’être en contact avec l’ensemble des bailleurs de fonds, des diffuseurs et ça, je pense, que c’est important. »

 

Hélène Messier – Oui, on va oser le changement parce qu’il faut embrasser ce changement qui bouscule l’écosystème audiovisuel. Un changement qui s’opère depuis plusieurs années, mais qui est plus présent que jamais, avec un nouveau cadre législatif qui s’en vient, avec aussi avec cette multiplication des plateformes qui entraîne des changements d’habitude de consommation. Des changements qui s’imposent également avec les difficultés de financement qui s’accentuent pour la production québécoise.

On va donc réfléchir à l’avenir notamment à ce qu’on veut faire pour conserver nos auditoires et attirer les jeunes. Est-ce que le fait qu’il y ait moins d’argent disponible pour la production québécoise devrait nous inciter à nous replier sur des valeurs sûres ou, au contraire, oser encore plus le changement ? Ce sont des sujets dont on va discuter pendant le congrès. Et il y a aussi la question de l’intelligence artificielle dont on parle beaucoup, et on va se demander, par exemple, si l’intelligence artificielle pourrait dans le milieu de la production audiovisuelle alléger certaines tâches administratives ou certaines tâches créatives ? 

Un panel va se pencher sur cette question. 

Mais il sera aussi beaucoup question des jeunes…

 

Oui, les jeunes sont très présents dans la programmation, mais je remarque aussi que vous n’attaquez pas de front la question du financement…

Hélène Messier – En fait, on va en parler beaucoup parce qu’on va discuter des grandes tendances qui façonnent aujourd’hui le paysage audiovisuel québécois et la baisse du financement en fait partie. 

On va aussi parler du financement dans l’atelier sur la prise de risque. Est-ce que la situation budgétaire actuelle nous empêche de prendre des risques ou, au contraire, devrait-elle motiver les producteurs et les diffuseurs à prendre encore plus de risques ?

De plus, la question du financement sera au cœur des questions que je poserai à Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien.

 

Justement, quel genre de questions allez-vous poser au ministre Pablo Rodriguez lors de votre « conversation » ?

Hélène Messier – On va parler bien sûr du projet de loi C-11 qui va moderniser la loi sur la radiodiffusion. C’est une grande avancée que nous attendons depuis longtemps. L’adoption de C-11 devrait se faire cette semaine. Elle va permettre d’inclure dans le cadre réglementaire canadien tous les services de diffusion en ligne et les médias sociaux, cela constitue un événement important pour toute l’industrie. Ce sera une très grande transformation du paysage réglementaire canadien.

Aussi, rappelons-nous, lors des dernières élections, le parti libéral avait pris des engagements à l’égard du secteur audiovisuel, notamment : doubler le budget du FMC, pérenniser l’augmentation accordée à Téléfilm Canada ainsi que le financement du Bureau de l’Écran autochtone. Les enveloppes de production et de développement du FMC et de Téléfilm Canada devaient être majorées de 40 %, …des engagements qui ne sont toujours pas tenus. 

Alors, c’est évident que nous allons interroger le ministre à cet égard. Le temps file, le temps presse, la situation est devenue très urgente. 

Mentionnons que l’on a aussi perdu au 31 mars dernier l’aide temporaire que l’industrie recevait du gouvernement du Québec concernant le maintien des capacités de production. Cette mesure a pris fin, et ce sont donc 50 millions de moins dans l’industrie de l’audiovisuel. Autant vous dire que la situation est vraiment difficile actuellement pour la production au Québec.

 

Justement, vous parlez du Québec, parce que le fédéral n’est pas seul sur la sellette. Le ministre Mathieu Lacombe va être là pour le Souper Gala, mais il n’est pas prévu de « conversation » avec lui. 

Hélène Messier – Il est prévu qu’il prenne la parole, il va faire une allocution lors du souper-gala.

 

Si vous aviez des questions à lui poser, quelles questions lui poseriez-vous ?

Hélène Messier – Je pense que je lui aurais demandé pourquoi il n’a pas retenu les recommandations que l’AQPM lui avait soumises lors des représentations budgétaires. Pourquoi il n’a pas opté pour des solutions pérennes qui auraient permis d’améliorer la situation de la production audiovisuelle au Québec, notamment en apportant plusieurs modifications au crédit d’impôt ?

Je voudrais savoir comment il entend aider les entreprises de production audiovisuelle au Québec, qui vivent des heures très difficiles. Ça aurait été mes questions principales. 

 

Je pense que le ministre Mathieu Lacombe vous aurait répondu qu’il a quand même augmenté le budget de la SODEC et celui de Télé-Québec.

Hélène Messier – Le budget de la SODEC, c’est sa banque d’affaires qui en a profité. Donc, c’est tout à fait autre chose. Elle accorde des prêts ; ce n’est pas de l’argent versé directement à la production.  

Pour ce qui est de Télé-Québec, on espère que cela permettra au diffuseur de financer plus d’émissions jeunesse et, surtout, de mieux les financer. Mais ça n’aide pas tous les autres genres de productions. 

Pour ça, il y a les modifications aux crédits d’impôt que l’AQPM proposait notamment en modifiant le taux de base de même que le plafond des dépenses pour la main-d’œuvre. Cela aurait aidé tout le secteur de l’audiovisuel, donc tous les genres, toutes les productions. Ce serait une mesure vraiment structurante pour l’ensemble de l’industrie, c’est ça qu’on espérait.

Mais on est très content pour Télé-Québec ; ça fait longtemps qu’on demande qu’il y ait plus d’argent pour le diffuseur national et pour les émissions jeunesse, mais on aurait voulu aussi un fonds pour les longs métrages jeunesse et pas seulement pour le contenu numérique ou le contenu télévisuel.

On a obtenu une partie de ce qu’on voulait, mais ce n’est pas l’ensemble des demandes qu’on a déposées.

Je le répète, on a perdu l’équivalent de 50 millions $ d’aide en audiovisuel qui n’a pas été compensé par de nouvelles mesures pour l’ensemble de l’industrie.

 

Vous allez avoir une conversation avec Iris Bucher, présidente de l’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle en France sur les plateformes numériques…

Hélène Messier – Parce qu’en France, la transition est faite : les services de vidéo sur demande par abonnement (VSDA) sont inclus dans leur cadre réglementaire et les retombées sont très intéressantes ! Je pense qu’au moment où le CRTC va devoir se prononcer sur les obligations de ces nouveaux joueurs au sein de notre nouveau cadre réglementaire, l’exemple de la France sera inspirant.

Avec Iris Bucher, on va discuter du fonctionnement du système français, comment ils ont déterminé le niveau de contribution des plateformes numériques, à qui l’argent a été destiné, comment ils ont préservé le contenu d’expression française, et comment ils ont réussi à sauvegarder la production indépendante. Ce sera très intéressant de voir les leçons qu’on peut tirer de l’expérience française.

 

Justement, suite à cette conversation, vous avez demandé à Alicia Barin, vice-présidente, radiodiffusion, du CRTC à prendre la parole. Qu’attendez-vous qu’elle vous dise ? 

Hélène Messier – Je pense que madame Barin va nous expliquer le processus que le CRTC va suivre pour effectuer cette mise à jour. On espère aussi qu’elle aura entendu comment la France s’y est prise et que ça servira d’inspiration au CRTC dans les décisions qu’il aura à prendre.

Il est certain que le Canada va devoir inventer la façon dont il veut inclure les plateformes en ligne canadiennes et étrangères dans sa règlementation, alors je pense qu’il y aura matière à réflexion. C’est le but de l’exercice, susciter des réflexions de la part de tous les producteurs, bailleurs de fonds et diffuseurs présents au congrès. Du côté du CRTC, il y aura un processus public qui sera enclenché, et c’est évident que l’AQPM a l’intention d’y participer ; nos discussions durant le Congrès vont nous inspirer.

 

Il y a aussi toute la question « inclusion et diversité ». Est-ce que cela pose une pression supplémentaire sur vos membres ?

Hélène Messier – Cela pose une pression supplémentaire sur le système globalement, parce que les diffuseurs ont maintenant des exigences. Il y a aussi des exigences du côté des bailleurs de fonds. Par ailleurs, plusieurs producteurs souhaitent une industrie plus diversifiée et plus accueillante. Mais comment y arriver ?

Le plus grand défi pour la production francophone, c’est la main-d’œuvre. Autant pour trouver des producteurs autochtones ou racisés qualifiés que pour trouver du personnel créatif, et du personnel derrière la caméra venant de différents horizons. 

Je pense qu’il y a un réel besoin de créer, dans le secteur francophone, un programme de formation et de mentorat pour développer cette diversité. On aimerait beaucoup travailler notamment avec le FMC à cet égard. C’est un besoin exprimé autant de la part des producteurs plus établis que des producteurs émergents. Je pense qu’il y a urgence d’agir. On ne pourra pas diversifier l’industrie si on ne crée pas un bassin de candidats sur lequel on pourra s’appuyer. C’est un important chantier auquel il faut s’atteler maintenant. 

 

Comment se porte votre secteur cinéma parce qu’on a l’impression que la production bascule de plus en plus du côté de la télévision et des plateformes numériques, ce qui draine l’essentiel de l’énergie et des ressources de l’audiovisuel ? Dans un tel contexte, comment se porte le secteur cinéma ? 

Hélène Messier – Je ne dirais pas ça. On doit se rappeler que juste avant la pandémie, le budget cinéma de la SODEC a doublé. On a aussi obtenu pour Téléfilm Canada une augmentation de 50 millions de dollars. Donc, techniquement, il y a plus d’argent en cinéma qu’il y en avait il y a quelques années. Cela se traduit par plus de choix, et plus de diversité en termes de production cinématographique.

Évidemment, le cinéma comme les autres types de contenu subit les effets de la hausse des coûts, l’augmentation des salaires ; ça coûte plus cher dans tous les secteurs. L’inflation touche tout, que ce soit le transport, l’alimentation des équipes, la construction des décors, les locations d’équipement, les frais intérimaires pour financer les productions, tout a beaucoup augmenté ; cela fait partie des problèmes qui frappent notre industrie.

On souhaiterait évidemment une meilleure répartition des fonds qui tiendrait compte de la productivité et de la créativité du secteur francophone. Je crois que la production cinématographique n’est pas moins bien servie, au contraire, mais comme tout le secteur de la production audiovisuelle, celui-ci vit des heures difficiles notamment à cause des coûts qui ne cessent d’augmenter. C’est d’autant plus difficile qu’il y a aussi beaucoup d’entreprises, et que ces entreprises ne sont pas assurées de pouvoir faire un film chaque année. Il n’y a jamais assez d’argent disponible pour faire vivre toutes les entreprises qui aimeraient produire des longs métrages.

 

Pour terminer, quels vont être les moments forts de ce congrès ?

Hélène Messier – Très honnêtement, je crois que tous les sujets sont intéressants. On essaie toujours d’offrir une programmation qui va susciter de l’intérêt, soulever des réflexions et faire jaillir des idées. C’est ce qu’on espère !

Les conférences de François-Pier Pélinard Lambert sur les grandes tendances sont toujours très appréciées. Il est généreux et possède une grande connaissance de la scène internationale. Il y a plusieurs conférences qui seront aussi très intéressantes, notamment en ce qui concerne la prise de risque, les panélistes ont beaucoup de choses à raconter. Aussi, n’oublions pas tout ce qui touche l’intelligence artificielle, un nouveau sujet de réflexion qui s’impose. 

Un autre temps fort, naturellement, la présence du ministre Pablo Rodriguez qui va nous accorder un long moment en entrevue publique.

Et n’oublions pas le dévoilement des résultats exclusifs d’un sondage mené auprès des jeunes et la remise des Prix AQPM en soirée.

J’espère finalement que toute la programmation sera considérée comme un moment fort qui devrait rejoindre l’intérêt des producteurs et productrices de même que de tous les participants. L’équipe a pris un grand soin à la mettre en place.

 

 

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