Entrevue avec Sébastien Rist, coréalisateur de « Temps et marées »

Entrevue avec Sébastien Rist, coréalisateur du documentaire « Temps et marées » tourné sur la Basse-Côte-Nord

Une entrevue de Charles-Henri Ramon pour CTVM.info

Après Living With Giants, portrait d’un adolescent Inuk tourné en 2016, Aude Leroux-Lévesque et Sébastien Rist proposent Temps et marées, une nouvelle incursion dans une région éloignée du Québec. Le film s’attarde à montrer les spécificités culturelles et sociales de résidents de villages reculés de la Basse-Côte-Nord, comme Bonaventure et Blanc-Sablon. Nous nous sommes entretenus avec Sébastien Rist à propos de ce très beau documentaire qui a pris l’affiche le 7 février à Montréal, Québec et Sherbrooke.

C’est en 2012, alors qu’ils donnent des ateliers vidéo dans les écoles secondaires, que les cinéastes font connaissance avec ce coin de pays très particulier. La piqûre est immédiate. « C’est une région dont nous avions entendu parler, mais que nous ne connaissions pas du tout. Nous avons été frappés par la beauté du territoire et par sa singularité. On y accède par avion ou par bateau… C’est un endroit, qui, même si l’on est encore au Québec, la majorité de la population est anglophone, avec un fort accent terre-neuvien. Juste le fait d’être là, c’était marquant. Immédiatement, les gens nous ont mentionné le déclin de l’industrie locale. En 1991, un moratoire sur la pêche de la morue a radicalement changé le mode de vie des résidents. Ces enjeux nous ont permis de regarder quels sont les aspirations, l’avenir des jeunes qui sont sur place. Que vont-ils faire ? »

Temps et marée met de l’avant la différence de la culture locale par rapport à la culture québécoise que l’on connait. « Leur vie tourne beaucoup autour de la chasse et la pêche. Au fil du temps, l’éloignement par rapport aux grands centres a donné naissance à une communauté autosuffisante. Ils coupent du bois pour chauffer leur maison, ils se nourrissent de la terre… Quand on débarque là-bas, c’est un peu la toundra. La mer nord-atlantique exceptionnelle, mais imposante, presque intimidante. Les gens ont développé un énorme respect envers l’environnement dans lequel ils évoluent. Ce rapport à la terre a influencé le tournage. L’environnement est un vrai personnage… »

À l’instar de leur précédent film, Temps et marée (intitulé A Place of Tide and Times dans sa version originale) a été tourné dans un lieu hostile, très éloigné de Montréal, où les cinéastes habitent. Comme si ils avaient développé un attrait bien spécial pour les régions reculées de leur pays. « On dirait que lorsque l’on fait du documentaire, on essaie de s’éloigner du reportage. On souhaite faire du cinéma, touchant, divertissant. Lorsque l’on est dans ces régions, on ouvre les yeux sur une autre réalité, qui inspire énormément. Est-ce le hasard qui nous a amenés dans ses régions isolées? Difficile à dire, mais on n’a jamais été tannés. Il y a tellement à apprendre. Cela force à penser différemment. » 

Ce sont aussi des régions qui ont de forts potentiels dramatiques et esthétiques. « Beaucoup de personnes sont très fières et très influencées par le terroir. Les jeunes en particulier. Ils ont une manière de voir le monde et des aspirations qui se démarquent vraiment des jeunes de la ville. Dans le film, on regarde aussi à quel point leur terroir façonne tous les aspects du quotidien, mais aussi comment il change leur façon de réfléchir. Ces communautés ont toujours eu des contraintes. Leur résilience est impressionnante. On parle aussi de la route 138 dans le film… pourquoi est-ce qu’elle ne longe pas tout le Québec? Pourquoi s’arrête-t-elle lorsque l’on rentre en territoire anglophone. Tout en restant optimistes, les gens ont toujours été forcés… c’est peut peut-être un peut fort à dire… à attendre la déception…. Alors, ils prennent en charge leur village eux-mêmes. C’est un peu ça le message que l’on voulait montrer. »

Tourné durant trois saisons différentes, entre l’automne 2016 et l’hiver 2018, le film a été entièrement capté par Aude Leroux-Lévesque au son et Sébastien Rist aux images. Une microéquipe imposée par un petit budget principalement dédié aux frais de déplacement, mais qui a favorisé le contact avec les habitants rencontrés. « Nous voulions vraiment rentrer dans l’intimité de ces villages et des personnages. Nous leur demandions de parler des choses les plus intimes de leur vie, comme ces adolescents dont on suit le cheminement amoureux, donc être là comme un couple, cela ajoutait de la transparence et de la proximité. Cela nous a permis de vraiment les comprendre… » 

Entrevue réalisée par Charles-Henri Ramond, à Montréal, le 30 janvier 2020

 

 

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