Entrevue avec Nicolas Archambault, co-directeur de la programmation asiatique au Festival Fantasia

Au tour de Nicolas Archambault, co-directeur de la programmation asiatique au Festival Fantasia qui fête ses 25 ans

Pour souligner ce 25e anniversaire, CTVM.info présente une série d’entretiens avec les piliers de ce festival de films de genre le plus important au monde (4/5)

CTVM.info – Nous souhaiterions d’abord que vous nous partagiez une des premières manifestations de votre cinéphilie. Racontez-nous un de vos premiers coups de cœur au cinéma, un moment où vous avez réalisé que les films de genre occuperaient une partie importante de votre vie ?

Nicolas Archambault – Je suis né en 1976, donc j’ai grandi dans des draps de STAR WARS et la première expérience en salles qui m’a transcendé a été RETURN OF THE JEDI (1983), le premier que j’ai pu voir en âge de raison. J’étais obsédé et encore aujourd’hui, je persiste : je le préfère à THE EMPIRE STRIKES BACK (1980). Un autre film qui m’a profondément marqué a été PARLEZ-NOUS D’AMOUR (1976) de Jean-Claude Lord. Je l’avais emprunté au ciné-club du Cégep et j’ai été scié par la pertinence de cette œuvre qui est d’ailleurs toujours aussi actuelle malheureusement. 

Finalement, j’ai découvert Fantasia au même moment que le chef-d’œuvre horrifique japonais RINGU (1998) de Hideo Nakata. Je n’avais pas été autant effrayé par un film depuis la petite école et les réactions d’effroi du public a beaucoup contribué.

 

Vous avez d’abord été responsable des nouvelles sur le site Internet de Fantasia avant de devenir rapidement programmateur au festival. Parlez-nous de vos premières visites au festival et de l’élément déclencheur qui a fait que vous avez proposé vos services de programmateurs au festival ?

Nicolas Archambault – RINGU a été le premier film que j’ai vu à Fantasia en 1999. C’est à ce moment que je suis tombé en amour avec le festival, l’ambiance, la programmation remplie de découvertes auxquelles je n’aurais jamais avoir accès. Les années subséquentes, j’attendais des heures à chaque prévente pour voir tout ce que je voulais. J’y ai rencontré plusieurs amis, incluant Éric Boisvert avec qui j’ai cofondé le fanzine Contamination. C’est ce qui nous a menés à travailler à Fantasia aux nouvelles web, puis à la programmation.

J’ai eu un déclic définitif lorsque j’ai visionné SYMPATHY FOR MR. VENGEANCE (2002) de Park Chan-wook à Fantasia. J’étais flabergasté. Je crois vraiment que c’est ce qui m’a mené à visiter la Corée du Sud et à commencer à me faire des contacts là-bas, notamment au Festival de Busan.

Le cinéma asiatique a forcément évolué depuis vos débuts au festival en 2006. Fantasia a toujours consacré une grande place dans sa programmation au cinéma sud-coréen qu’il supporte depuis ses tout débuts.  Comment, d’après vous, l’industrie du film en Corée du Sud a-t-elle évoluée depuis vos débuts au festival ?

Nicolas Archambault – Les cinémas nationaux d’Extrême-Orient ont tous évolué différemment pour de multiples raisons culturelles, socio-historiques, politiques, etc. Sans dire que j’aime mieux l’évolution d’une industrie par rapport à une autre, je dois admettre que celle de la République de Corée m’a le plus intrigué, voire fasciné. Partir du premier civil élu et la fin définitive de la dictature en 1993 à GINGKO BED de Kang Je-gyu en 1996 (le premier film coréen présenté à Fantasia) puis arriver avec JSA : JOINT SECURITY AREA (encore Park Chan-wook) en 2000, un film évoquant une « amitié » entre soldats du Sud et du Nord, c’est pour le moins fulgurant comme transformation.

Il y a tant d’autres exemples de cette évolution au tournant du siècle que je pourrais y passer la semaine. Bong Joon-ho (MEMORIES OF MURDER, 2003) et Kim Ji-woon (A TALE OF TWO SISTERS, 2003) ne sont que la pointe de l’iceberg des multiples cinéastes virtuoses qui alliaient film d’auteur et cinéma de genre, tout en posant un regard critique sur leur pays. L’instauration de quotas de films coréens dans les salles, au grand dam de Hollywood,

a beaucoup aidé à cet essor spectaculaire, et encore aujourd’hui, on investit beaucoup dans la promotion de la culture populaire coréenne et ça marche ! On peut constater tout ça en constatant l’impact qu’auront eu les Oscars remportés par PARASITE (2019), en mangeant un repas BTS chez un fast-food bien connu ou en regardant un film coréen sur l’une ou l’autre des plateformes en ligne…

Avec Yoshihiro Nishimura.

De même, le cinéma japonais a toujours occupé une place primordiale dans la programmation du festival, et ce, dès la première édition. Comment l’industrie du film au Japon a t-elle évoluée à vos yeux depuis vos débuts au festival ?

Nicolas Archambault – L’évolution du cinéma de genre japonais s’est faite de façon plus linéaire. Avec l’héritage des Akira Kurosawa, Seijun Suzuki, Kenji Mizoguchi, Kinji Fukasaku et tant d’autres maîtres connus et respectés en Occident, de même que les franchises GODZILLA, ULTRAMAN, et toutes les séries d’animation telles que GOLDORAK, on avait moins besoin de promotion et d’expansion. Je dirais même que les compagnies de production japonaises s’adressent principalement aux Japonais. Encore aujourd’hui, la culture populaire, l’influence shintoïste et bouddhiste (on peut être les deux), le traumatisme nucléaire, le poids des visées impériales passées et la cohabitation harmonieuse entre héritage, tradition et modernisme se constatent facilement dans le cinéma grand public nippon. THE GREAT YOKAI WAR – GUARDIANS de Takashi Miike, présenté en clôture de Fantasia 2021, englobe à peu près tous ces aspects. Les films animés japonais et les adaptations de mangas foisonnent et le cinéma d’auteur continue de fasciner dans tous les festivals les plus prestigieux.

Le cinéma subversif japonais a perdu du terrain par contre.

Takeshi Miike avec des membres de l’équipe de Fantasia

Fantasia a reçu au cours des 25 dernières un grand nombre de réalisateurs, d’acteurs, d’auteurs et d’artisans du 7e art ? Pourriez-vous revenir sur quelques rencontres dont vous êtes particulièrement fiers ?

Nicolas Archambault – C’est évident que la visite de Takashi Miike fut un événement marquant pour moi. Un grand nombre de ses films ont influencé la façon dont je vois le cinéma, sa polyvalence qui lui permet d’exceller autant dans l’horreur qu’avec une comédie musicale, et son talent qui l’a mené en Compétition officielle à Cannes et dans tant d’autres festivals m’impressionnaient. Mais il s’est révélé tellement sympathique, affable, ouvert et accessible que j’ai arrêté d’être intimidé après cinq minutes. Il voulait tellement tout essayer au marché Jean-Talon que je craignais qu’il fasse une indigestion. Vraiment peur. Le moment dont je me souviendrai le plus est le moment où le public de Fantasia s’est mis à chanter et à taper des mains lors d’une comptine sordide lors de la projection de AS THE GODS WILL (2014). J’étais assis derrière lui et il était émerveillé et regardait partout. Il a apprécié son expérience et j’en suis très fier. Oh, il y a aussi la fois où j’ai oublié pendant un bon dix secondes de lui remettre son trophée lors de la cérémonie commémorant sa carrière…

Satoshi Miki, Mitch Davis et Nicolas Archambault

J’ai également adoré emmener le réalisateur coréen Jang Joon-hwang à Québec sur un coup de tête lorsqu’il est venu pour -présenter HAWYI : A MONSTER BOY (2013) et ça a été une expérience exceptionnelle d’aller dans ma ville natale, Varennes, pour manger de la poutine et des guédilles chez M. Patate avec Satoshi Miki, réalisateur de ADRIFT IN TOKYO qui est le premier film que j’ai programmé en 2008.

 

Avec Masaaki Yuasa

Pourriez-vous revenir sur quelques films qui vous ont réellement marqué dans la programmation du festival des dernières années ?

Nicolas Archambault – Assurément. En commençant par A TAXI DRIVER, le film de clôture de Fantasia 2017 en présence du réalisateur Jang Hoon. La première internationale d’un drame historique relatant un moment charnière de l’histoire récente de Corée du Sud se terminant par l’ovation debout d’un Théâtre Hall plein à craquer… Les plus attentifs ont remarqué des larmes sur mes joues. Le drame HAN GONG-JU (2013) est aussi l’une de mes plus grandes fiertés en tant que programmateur. C’est la première fois que j’appelais Pierre à une heure un brin indécente pour dire « J’le veux absolument ! ». Il a dit oui ! La première internationale de BLEACH (2018) de Shinsuke Sato, l’un de mes réalisateurs favoris que je nomme le Spielberg du Japon quand personne n’écoute, a nécessité beaucoup d’efforts, mais voir ça avec le public de Fantasia, c’était magnifique. L’ouverture avec MISS HOKUSAI (2015), TRAIN TO BUSAN (2016), SELL OUT ! (2008), et bien d’autres pourraient s’ajouter. Désolé à mes confrères programmateurs, mais comme je suis toujours avec des invités qui ne parlent pas anglais, je n’ai pas vu beaucoup de films autres que ceux que je programme en salle ces dernières années… 

 

Avec Keishi Ohtomo

Pourriez-vous nommer quelques films ou événements que vous avez hâte de voir ou de découvrir ou de partager dans le cadre de la prochaine édition ?

Nicolas Archambault – Dire que j’ai extrêmement hâte de voir BRAIN FREEZE serait un euphémisme. Je suis un fan fini des films et séries de zombies et nous travaillons depuis tant d’années pour valoriser la production de cinéma de genre québécois. Je ne manquerais ça pour rien au monde. Et retrouver le public, même dans ces circonstances, fera l’effet de retrouvailles avec de vieux amis. Je suis curieux de voir THE DEVIL’S DEAL avec la foule. Ce suspense politique est un peu comme l’envers de la médaille des A TAXI DRIVER et 1987 : WHEN THE DAY COMES, alors que les exploits héroïques qui ont mené la Corée du Sud à la démocratie sont remplacés par les magouilles politiques, la corruption et les jeux de coulisses qui ravageaient ce moment précieux de l’histoire. C’est mon côté cynique. Je veux voir des films d’animation en salles, en particulier POUPELLE OF CHIMNEY TOWN !

Finalement, clôturer la 25e édition de Fantasia avec THE GREAT YOKAI WAR – GUARDIANS de Takashi Miike bouclera cette boucle de notre histoire de façon idéale et sera un beau prélude à la suite !

Takeshi Miike

Vous êtes de retour au cinéma IMPÉRIAL, le tout premier lieu de diffusion du festival entre 1996 et 2001. Que représente pour vous ce retour à l’Impérial ?

Nicolas Archambault – Ça fait du bien de retrouver le public à l’endroit où tout a commencé.

Que représente FANTASIA pour vous aujourd’hui, après 25 ans d’histoire ?

Nicolas Archambault – La fierté. Je suis privilégié de faire partie de cette équipe et d’avoir pu participer à une tranche de son histoire. Ce festival est la somme de tant de passions. Le public nous le rend à merveille et sa réputation est faite jusqu’au Japon. Fantasia est devenu l’un des festivals de films de genre les plus reconnus sur la planète. C’est spécial de participer à ce 25e anniversaire. Le 6 août, on a déjà commencé à penser à la 26e édition !

Avec Shinobu Yaguchi

 

Cette entrevue a d’abord paru dans La Quotidienne de CTVM # 6815 du lundi 16 août 2021

 

 

©CTVM.info

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