Entrevues de Marc Lamothe avec 6 jeunes réalisateurs et réalisatrices qui présentent leur court au Festival Regard 2023

Première d’une série d’entrevues en prévision du Festival Regard qui se déroule au Saguenay du mercredi 22 mars au 26 mars 2023

REGARD  est un festival qui fait une belle place à la relève locale, notamment avec des programmes tels que Tourner Tout Prix ou 100 % régions. 

Ces deux programmes regroupent 19 courts réalisés cette année par de jeunes réalisateurs et réalisatrices locaux. Nous nous sommes attardés à six courts qui ont su attirer notre curiosité.

Brittney Canda & Kyra Jean Green (TOUCH)
Geneviève Chartrand & Jimmy G. Pettigrew (LES YEUX BANDÉS)
Hicham Chérif d’Ouazzane (SOMNUS)
Theodore Drusba (DALOT)
Nadia Louis-Desmarchais (NID D’OISEAU)
William Pagé (AU BOUT DU MONDE)

Voici donc six courtes entrevues de Marc Lamothe avec des artistes dont vous entendrez sûrement parler. 

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TOUCH

Brittney Canda & Kyra Jean Green 

Photo Brittney Kyra

  • Touch
  • Britney Canda
  • Kyra Jean Green

Synopsis : TOUCH est un film de danse qui se déroule dans un futur imaginaire: où, pour des raisons inconnues, les humains vivent sans contact physique depuis très longtemps.

 

Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement? 

Brittney Canda — Cette chorégraphie a été créée au début de la pandémie. TOUCH est une réponse artistique hyperbolique aux restrictions de santé publique qui ont été imposées au public pendant la campagne Covid-19. Le partenariat est un élément important du répertoire des compagnies de danse. Pendant la pandémie, nous ne pouvions pas toucher, mais nous ne voulions pas sacrifier la nature intime de la chorégraphie de Kyra Jean Green. Kyra et moi avons passé du temps à réfléchir à des moyens de se toucher en toute sécurité, et nous avons eu l’idée d’un mur en latex, sur lequel nous avons basé notre travail.

En tant qu’artistes de la danse, Kyra et moi avons l’habitude de toucher et d’être touchées bien plus que le commun des mortels. La connexion physique est quelque chose de très présent dans notre vie personnelle et professionnelle. Pour moi, personne immunodéprimée, cette grande partie de ma vie m’a été arrachée de manière violente au début de la pandémie. Avant le lancement des vaccins, j’ai été contraint à un isolement extrême pour ma sécurité. Les très rares fois où j’ai pu être touchée à l’époque, j’ai dû prendre d’incroyables précautions et l’expérience a été incroyablement intense et bouleversante. Aussi nul que cela puisse paraître, c’est notre morceau d’angoisse pandémique.

 

À titre de jeune réalisateur émergeant, comment avez-vous financer votre production? 

Brittney & Kira : La compagnie de danse contemporaine de Kyra Jean Green, Trip the Light Fantastic, a été confirmée pour présenter une pièce de danse en direct au Festival Quartier Danses en 2020. En raison des restrictions en matière de santé publique pendant la pandémie, le festival est passé d’un festival de spectacles à un festival de films en ligne. Les fonds qui auraient autrement servi à soutenir une œuvre en direct au Festival Quartier Danses ont été consacrés à la création de plusieurs films. TOUCH est l’un de ces films. Le film a été coproduit par le Festival Quartiers Danses et Trip The Light Fantastic. Nous avons également économisé sur le financement parce que Kyra a travaillé comme productrice et que tous les artistes impliqués ont compris qu’il s’agissait d’un projet de passion avec un financement minimal.

Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court? 

Brittney Canda — Nous voulions exprimer un désir intense d’intimité et la folie qui découle de la privation. Kyra Jean Green et moi sommes toutes deux fans d’horreur et de performances théâtrales plus grandes que nature. Ce genre extrême est amusant et cathartique pour nous deux.

Avec TOUCH, vous avez choisi un choisi de filmer une magnifique chorégraphie centrée autour du manque de contact? Pourquoi ce sujet et cette chorégraphie? 

Brittney Canda — Le sujet de cette pièce a été directement inspiré par l’époque où elle a été créée, au début de la pandémie. Nous savions que tous ceux qui avaient été chargés de réaliser des films de danse pour le Festival Quartier Danses à l’époque avaient créé des films de danse qui étaient soit des solos, soit des œuvres avec des danseurs placés loin les uns des autres dans l’espace. Nous voulions présenter quelque chose de différent et de pertinent pour l’époque, dans un univers de rêve et de science-fiction.

Comment avez-vous réaliser ce film en mode bicéphale? Qui a fait quoi exactement sur la production? 

Brittney Canda — Kyra et moi avons élaboré le concept ensemble. Kyra a réalisé la chorégraphie, et j’ai réalisé et monté le film.

Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans? 

Brittney Canda — J’aime beaucoup le processus d’adaptation d’œuvres de danse en direct en films de danse narratifs. En tant qu’artiste ayant une formation à la fois en danse et en cinéma, c’est un moyen pour moi d’utiliser toutes mes compétences et de me sentir complète en tant qu’artiste. J’aime utiliser la danse pour faire avancer un récit et présenter la danse à l’écran dans des contextes qui ne sont pas des compétitions de danse, des batailles ou des histoires sur la danse (par exemple : CENTER STAGE, FAME…etc..). Je travaille actuellement comme réalisatrice et chorégraphe pour des clips musicaux, des publicités et comme chorégraphe pour la nouvelle série télévisée L’air d’aller. J’espère faire le même genre de travail à l’avenir, mais à plus grande échelle. Plus important encore, je m’efforce de défendre les droits des artistes de la danse, des conditions de travail sûres, une rémunération équitable et la reconnaissance dans l’industrie cinématographique. J’espère que dans 10 ans, j’aurai pu faire des vagues et créer des changements positifs pour les artistes de la danse qui travaillent dans le cinéma.

Quel pourrait être le sujet de votre prochain film? 

Brittney Canda — Kyra et moi sommes actuellement en post-production d’un film d’horreur dansé de 30 minutes nommé THE SMILE CLUB. Il s’agit d’une adaptation cinématographique narrative d’une pièce de danse inspirée d’une expérience de santé mentale qui aurait eu lieu à Budapest dans les années 1930.

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LES YEUX BANDÉS

Geneviève Chartrand & Jimmy G. Pettigrew 

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  • Les Yeux Bandés

Synopsis : En fin de shift, le cuisiner d’un petit casse-croute de la basse ville reçoit la visite hebdomadaire de son livreur de patates. Mais une erreur dans la commande déclenchera une rencontre gastronomique et passionnelle.

CTVM — Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?

Geneviève: Je  trouve que c’est un format qui permet d’expérimenter.  J ‘y retrouve beaucoup de liberté créative. Comme dans un atelier où je peux créer sans demander la permission.  C’est un espace qui permet beaucoup de spontanéité. J’aime aussi la durée, qui permet d’accéder rapidement à un récit.  Je suis assez emballée de créer des histoires avec les limites que ce format apporte: Le souci d’être concise mais efficace, autant dans le développement des personnages que dans la trame narrative elle-même. Cela permet de laisser s’installer un rythme distinct et de rester dans la magie des fragments d’histoires. Je trouve ça beau de mettre en image et en son des morceaux de possibles.  C’est comme rester focalisé sur un petit instant dans la vie d’un personnage et de le rendre sublime, même lorsqu’on évoque sa simplicité la plus banale.

Jimmy: Ce que j’aime des courts, c’est la façon ingénieuse qu’on utilise pour raconter une histoire. Je ne suis pas un fan de série pour la simple raison qu’on prend trop de temps à installer les choses… Dans un court on doit présenter une situation, un personnage, un univers de façon concise pour qu’on embarque dedans et sans, pour autant, tomber dans les stéréotypes. On doit utiliser des images significatives, fortes et symboliques. Pour moi, c’est ça maîtriser la narration au cinéma et non quand on s’attache à un personnage seulement après l’épisode 6 de la saison 3. Quand c’est réussi, le court-métrage, en 4, 5, 20 minutes, peut nous emporter complètement ailleurs, dans un récit qui nous mène dans un peak d’émotions et qui peut longuement nous marquer. Comme une bouchée parfaite. Le  court métrage, c’est gastronomique. 

À titre de jeune réalisateur émergent, comment avez-vous financé votre production?

Geneviève et Jimmy — On a fait ce film là, dans le cadre d’une escale de Kinomada à Québec. C’est un laboratoire de création où on retrouve entre cinéastes, comédien.ne.s, technicien.nes etc.  et on fait des films pendant une semaine. Donc on n’a pas vraiment financé ce film. On l’a écrit en 2 jours. On a acheté 15$ de linge au Emmaüs pis on s’est fait donner une poche de patates. On a tourné en une soirée, monté en 1 journée pis le samedi soir on le présentait sur grand écran. C’est un grand travail d’équipe.

Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?

Geneviève et Jimmy — On a jazzé pas mal avec ce film. On voulait faire un film ensemble. On a partagé les choses qu’on voulait raconter: Y’avait la musique, le casse-croûte, les romans Harlequins, mais surtout l’amour. On a mis ça dans un mixer pis on a essayé que ça se tienne.  Y’a un peu l’expression de l’idée de l’amour versus la réalité de celui-ci. On se demande si c’est l’idée de la chose, sa représentation ou son expérience qui est la plus agréable.

Comment avez-vous réalisé ce film en mode bicéphale? Qui a fait quoi exactement sur la production

Geneviève et Jimmy — Dans l’écriture on se relançait. On «buildait» en lançant des idées, puis une autre, puis une autre jusqu’à en arriver à ce qu’on voulait en commun. Il n’y a pas eu de compromis. C’était toujours dans la meilleure direction à prendre. On a un respect mutuel pour l’un.e et l’autre dans qui on est en tant que personne et en tant qu’artiste. On voulait raconter la même chose et on se connaît assez bien pour savoir qu’on pouvait avoir confiance en l’autre et son univers. On a choisi les comédiens ensemble. Sur le plateau on se séparait les tâches entre la direction d’acteur et les indications à l’équipe technique.  On a choisi la musique ensemble et monté côte à côte la plupart du temps, mais c’est Jimmy qui était le pianiste sur la table de montage. (Geneviève faisait la sieste dans le studio de son.)

Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans?

GENEVIÈVE: Je trippe à travailler avec les comédien.nes. Je trouve ça magique de partir d’un texte qu’on a imaginé et de voir naître un personnage, de le rencontrer, d’entendre sa voix, de voir comment il bouge. C’est un super moment de voir un personnage devenir vivant, tangible, coloré. J’adore aussi le montage, quand on colle les bouts ensemble. Je suis fascinée par le mix son et les ambiances sonores également. 

JIMMY: Pour moi c’est tout le bricolage, le patentage, les menteries, les artifices qu’il faut faire pour rendre ça possible. C’est pour ça que j’aime toucher à tout. Scénario, réalisation, direction artistique, montage, VFX… Pour faire du cinéma, faut un coffre à outil sans fond… un peu comme le chapeau d’un magicien.

Quel pourrait être le sujet de votre prochain film?

Geneviève et Jimmy — Plusieurs projets sont sur la glace dont un film chorale dans un bloc appartement, un meurtre et mystère dans une colonie de vacances pis plein d’autres affaires.

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SOMNUS

Hicham Chérif d’Ouazzane

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  • Photo-Hicham

Synopsis : Au crépuscule des années 70, un dramaturge cherche le sommeil dans une chambre de motel. Hanté par sa rencontre avec la réceptionniste, il se réfugie dans le récit qu’il conçoit. C’est alors que ses écrits s’incarnent pour lui offrir une autre réalité…

Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?

Le court métrage est pour moi le format qui exploite le mieux l’audace, l’ingéniosité et l’expérimentation chez les artisans du métier. Les contraintes sont telles qu’elles en deviennent un outil créatif puissant quel que soit le niveau d’expérience.

À titre de jeune réalisateur émergeant, comment avez-vous financer votre production?

C’est une coproduction qui a été principalement financée avec mes économies et celles de mon co-producteur Guillaume Chabot. Quelques aides notables telles que des services en équipement en provenance d’une société de production audiovisuelle ou une bourse universitaire nous ont également beaucoup aidé.

Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?

Le film explore l’influence qu’exerce notre subconscient sur nos choix en tant qu’entités rationnelles. Sommes-nous réellement gouvernés par notre conscience? Ou sommes-nous plutôt les sujets de nos fantasmes les plus endormis? C’est l’interrogation que suggère le film après le visionnement.

Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans?

La dimension collaborative est ce qui me fascine le plus actuellement dans le métier. Collaborer dans un cadre cinématographique avec des personnalités artistiques qui ne sont, à première vue, pas des artisans du cinéma m’excite beaucoup. Dans 10 ans, j’espère être un des acteurs favorisant des co-productions entre le Canada et le Maroc.

Quel pourrait être le sujet de votre prochain film?

Mon prochain film abordera la substitution du pop par le populisme sous forme de documentaire musical fantasmé.

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DALOT

Theodore Drusba 

  • Dalot
  • Drusba

Synopsis : Brouillard. Poussière. Un salon de quilles en proie d’un orage. Une jeune femme enceinte, un homme d’affaires et un aîné y sont engouffrés. Seulement, des papillons concoctent une panne d’électricité.

CTVM — Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?

Theodore Drusba  — Pour l’instant, le court métrage reste le format qui permet d’aiguiser ma signature et de pratiquer mon art. C’est néanmoins un format de défis : je réfléchis beaucoup en long métrage et ça se reflète dans mes scénarios qui tanguent vers des récits plus longs et alambiqués.  Le court devient donc l’exercice d’explorer des sujets que je voudrais aborder sans m’éterniser et d’expérimenter des esthétiques éclatées qui m’habitent.

À titre de jeune réalisateur émergeant, comment avez-vous financer votre production?

Theodore Drusba  — J’avais eu la chance de remporter la bourse de Jean-Martin Bisson lors de mes études à l’université.  Jean-Martin est un producteur généreux qui fait confiance aux talents qui l’entourent. Je l’ai contacté lorsque j’avais signé le scénario de Dalot et il a embarqué.  La moitié du financement du film provient de sa boîte de production sans compter les nombreuses personnes ressources à qui il m’a introduit.  Je dois aussi beaucoup du film à l’équipe composée d’innombrables créatrices et créateurs qui ont partagé leurs talents bénévolement.   

Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?

Theodore Drusba  — Dans Dalot, chaque personnage vit une solitude qui lui est propre: Médée est une adolescente enceinte qui a rompu avec son copain et qui habite désormais le salon de quilles où elle travaille, Balt est un homme d’affaires qui vient d’être licencié et M. Max est un veuf qui souligne la relation qu’il a vécu avec sa défunte.  Chaque personnage comble le vide à leurs façons, mais la solitude est un miroir de ce qui lui est nourri. 

Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans?

Theodore Drusba  — Dans 10 ans, je me vois en train de réaliser des longs métrages de fiction entrecoupés de documentaires.  C’est que j’aime autant la possibilité de mettre en images mon imaginaire que de pouvoir vivre des aventures que seul le documentaire sait offrir.

Quel pourrait être le sujet de votre prochain film?

Theodore Drusba  — J’ai envie de réaliser quelques courts métrages tout de même avant de me lancer en longs métrage.  Plusieurs sujets piquent ma curiosité.  Parmi eux, j’aimerais explorer le thème de la cécité et celui du deuil, mais sous un ton ludique!

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NID D’OISEAU

Nadia Louis-Desmarchais 

 

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  • Nid d'oiseau

Synopsis : Aïcha, une petite fille noire de 7 ans reçoit un dessin ridiculisant ses cheveux crépus. Avec l’aide de sa grande sœur, elles passeront la soirée à tenter de rendre Léna belle comme ses collègues de classe.

Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?

Le court-métrage est pour moi un espace foisonnant de dépassement créatif. En ce sens, le court-métrage est un format qui me passionne parce qu’il permet de créer un univers entièrement unique et le format requiert une inventivité particulière parce qu’il nous faut raconter beaucoup, en très peu de temps. De plus, il y a une certaine magie qui s’opère sur les plateaux des court-métrages où comme les jours de tournage sont souvent rapprochés dans le temps et que le tournage se fait sur une courte période, c’est-à-dire quelques jours, un sentiment de famille se crée entre les technicien.nes et les collaborateurs. Une sorte de sentiment de responsabilité gagne toute l’équipe afin de raconter une histoire de la façon la plus créative et libre possible. le court-métrage permet un laboratoire d’exploration de sa démarche artistique,il permet de réfléchir le médium et de le remettre en question. 

À titre de jeune réalisateur émergeant, comment avez-vous financer votre production?

Nid d’oiseau est un film qui a été réalisé entièrement indépendante. Sans attendre après les délais des institutions qui peuvent être parfois très longs et restreignant pour les créateurs, le film a été réalisé avec le soutien financier de l’Organisme Jeunes en action (Rising Youth – Taking it Global). Cette initiative permettant à des jeunes entrepreneurs dont les projets ont une portée sociale de financer leur projets a été crucial pour la production du film qui a été réalisé avec très peu de moyens financiers. On parle d’une bourse de 1500$ (ce qui pour ceux qui sont dans le domaine du cinéma savent à quel point c’est minime). Ainsi, avec beaucoup d’ambition, d’aide des collaborateurs qui ont accepté d’embarquer sur le projet par passion et connexion avec le sujet et nos commanditaires comme Post-Moderne, nous avons réussi à faire un film qui voyage dans les festivals prestigieux un peu partout dans le monde.

Avec NID D’OISEAU, vous avez choisi un thème identitaire très fort tant à titre de femme que de réalisatrice afro descendante. Parlez-nous un peu de ce choix?

Nid d’oiseau est en effet un film qui porte sur l’identité noire dans toute sa complexité et cela à l’enfance. Basé sur mes souvenirs d’enfance, il m’était important de rendre visible ce besoin d’appartenir et d’être vue en société et pour les femmes noires, cela passe grandement par le rapport à ses cheveux afros. À l’enfance, énormément de femmes et moi comprise ont dû passer à travers des processus de dénaturalisation d’elles-mêmes en soumettant leur cheveux à des processus de défrisage. Cette expérience de vie, de chercher la beauté ailleurs, dans les corps mis de l’avant comme étant beaux en société et qui excluent de facto les corps noirs, c’est une expérience qui est souffrante. 

Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?

Avec Nid d’oiseau je voulais aborder cette souffrance et complexité identitaire de façon douce et immersive, pour que le spectateur puisse réellement se mettre à la place de ma protagoniste et ressentir cette expérience comme si elle était la sienne. C’est dans ce ressenti doux-amer que je pense que Nid d’oiseau permet d’ouvrir le dialogue. De plus, avec la fin du film j’ai voulu laisser entre les mains du spectateur cette impression de responsabilité : la personnage principale regarde directement dans l’objectif de la caméra, pour être vue, pour être belle, pour être accepté.

Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans?

Ce qui me fascine le plus du métier de réalisatrice c’est l’essence même du cinéma : une rencontre. Celle que l’on fait avec nos souvenirs, avec un personnage, avec nos acteurs, nos collaborateurs, et plus particulièrement celle que l’on fait avec la vie. Scénariser et réaliser c’est pour moi une immense fierté autant qu’une responsabilité de cultiver un regard bienveillant et naïf sur le monde qui nous entoure. C’est le fait de devoir constamment cultiver une curiosité inouïe sur la vie qui me fascine avec le travail de réalisatrice. Étant moi-même hypersensible, le cinéma est probablement la seule discipline artistique qui me permet de nourrir toutes mes passions et sensibilités dans un médium. 

Dans 10 ans, wow, je me vois réaliser des projets de très grande envergure. Je crois beaucoup dans le pouvoir de la manifestation et de l’ambition. Dans 10 ans, je me vois réaliser des longs-métrages de fiction qui je l’espère permettront de jeter un nouveau regard sur des thématiques centrales dans mon œuvre : la réalité des personnes marginalisées, des récits effacés par l’histoire, l’identité et la féminité.

Quel pourrait être le sujet de votre prochain film?

Petit scoop, mais je suis présentement en développement de plusieurs projets qui me sont très chers. Je suis présentement en fin d’écriture d’une websérie de fiction «Les Météorites» qui sera diffusé sur tou.tv en 2024, une série lumineuse inspirée de mon histoire personnelle au cœur de la DPJ. De plus, je viens d’entamer la production de mon premier long-métrage documentaire «Composées» qui portera sur les complexités identitaires que vivent les femmes métisses, nées d’un parent blanc et d’un parent noir. Et je reviens tout juste d’une voyage de recherche pour un premier long métrage de fiction qui, pour celui-ci, je reste encore un peu secrète, mais vous pourrez en savoir plus dans les mois/années à venir. 

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AU BOUT DU MONDE

William Pagé (Les films du Balcon)

  • Au yeux du Monde
  • Pagé

Synopsis : C’est l’été et il fait chaud. Henri aide Louis avec les derniers préparatifs de son déménagement vers Montréal. Lors de cette dernière journée, une tension s’installe entre les deux amis, alors que vérité et regrets remontent à la surface.

Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?

William Pagé — Le court métrage est un format qui m’interpelle en raison du défi qu’il représente. En effet, il peut sembler plus facile de réaliser un court métrage qu’un long métrage, mais après avoir réalisé mon premier film, j’ai compris la difficulté de raconter une histoire en une courte durée. Le court métrage m’oblige à remettre en perspective le contexte, les lieux et le nombre de personnages pour que chaque élément soit nécessaire. En effet, j’ai compris qu’un long-métrage peut se permettre des longueurs, mais que c’est inacceptable pour un court.

À titre de jeune réalisateur émergeant, comment avez-vous financer votre production?

William Pagé — La production d’Au bout du monde voit sa genèse durant la deuxième année de la pandémie alors que l’Université Concordia vient tout juste de prendre la décision d’annuler tous les tournages de l’année en vigueur pour la sécurité des étudiants. Déçu de ne pas pouvoir réaliser mon projet dans un cadre scolaire, j’ai décidé tout de même durant l’été suivant d’amasser des fonds via une campagne de financement participatif sur la plateforme GoFundMe pour financer la production de mon premier court métrage. Cette campagne m’a permis de financer la location d’équipements, l’essence, les véhicules, la nourriture ainsi que l’hébergement de l’équipe. Bref, nous avions un budget extrêmement limité, et j’ai été chanceux d’avoir une équipe qui a participé avec passion du cinéma pour ce projet. 

Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?

William Pagé — J’ai amorcé l’écriture de ce court alors que je venais tout juste de déménager à Montréal pour mes études, avec les sacrifices qui en découlent. Avec l’année pandémique et le confinement dans une grande ville, je suis rapidement tombé dans une nostalgie sur mes racines. Ma famille, mes paysages et mes amis me manquaient soudainement terriblement. C’est alors que l’idée m’est venue d’une correspondance épistolaire entre deux amis d’enfance qui tranquillement s’étiole avec le temps. Plus j’avançais dans l’écriture, et plus je voulais rendre un hommage sincère à l’amitié fusionnelle entre jeunes hommes ainsi qu’à la région d’où je viens. Un endroit où la seule activité à faire est de « chiller » et de « bummer ». Je voulais que le film transporte l’idée d’amour/haine envers un lieu; un peu comme une bière de Pabst : comporte un goût semblable à la pisse, mais tu l’aimes pareil. Mon intention était de transposer une atmosphère de fin du monde dans un lieu où il ne reste que quelques survivants. Bref, c’est un film de rupture avec une fin ouverte; car il faut garder espoir que l’amitié triomphera toujours.

Avec votre film, vous avez choisi un thème identitaire qui renvoie à l’un de nos premiers grands classiques québécois. Parlez-nous un peu de ce choix?

William Pagé — En effet, l’hommage au film de Pierre Perrault et de Michel Brault Pour la suite du monde est rapidement entré dans le processus de création. Comme la fin de la pratique de pêche aux marsouins, l’idée de mettre en relation celle de la pêche à l’anguille dans le bas du fleuve en parallèle avec un récit d’apprentissage s’est retrouvée comme une évidence dans le cours de l’élaboration d’Au bout du monde. Comme dans les deux œuvres, l’espoir du retour de la pratique; comme celle du rêve d’enfance des deux protagonistes est une partie intégrante de l’ADN du projet. La forme de la docufiction est également un choix formel qui renvoie directement au cinéma direct des années 60; et qui à mon humble avis apporte beaucoup à l’originalité de mon projet. Bref, le but était de faire un récit d’apprentissage classique qui renvoie directement à notre héritage moderne du cinéma québécois.

Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans? 

William Pagé — Lors du processus de création, l’écriture et la direction de jeu sont les deux aspects du métier de cinéaste qui m’ont le plus fasciné. J’ai adoré élaborer l’univers de mon film en amont lors de l’écriture et ainsi créer des personnages aux dialogues colorés un peu à la manière de Pascal Plante ou de Richard Linklater. Or, c’est lors du tournage du film que j’ai découvert une véritable fascination pour la direction de jeu dans la mesure où je me suis retrouvé à sculpter des personnages en collaboration avec les comédiens. Débattre et dialoguer avec ces derniers ont été un apprentissage profondément important dans ma carrière et de comprendre l’importance du jeu dans le processus cinématographique. En tant que premier court métrage, il m’est encore difficile de me projeter dans les dix prochaines années. Je suis dans un stade de ma vie où j’évolue énormément en tant qu’artiste et mon rapport au cinéma fluctue constamment avec le temps. Il est cependant clair que depuis quelques mois je m’identifie enfin clairement comme cinéaste; par cette soif de créer et de raconter mon univers.

Quel pourrait être le sujet de votre prochain film? 

William Pagé — Après Au bout du monde, j’ai longtemps travaillé sur un scénario d’un futur projet de court métrage. Dans la continuité de mon premier film, Les ailes explore encore l’univers de la Montérégie avec un protagoniste plus âgé qui doit faire son deuil sur le temps qui passe; alors qu’il est confronté à la suspension de son permis d’aviation. Un drame doux-amer qui se rapproche de l’univers de Sébastien Pilote avec autant un classicisme dans la forme que le récit. Le tournage est prévu pour cet été.

 

et son, vient dans la communauté et on a accès à tout cet équipement gratuitement. Aussi, on a accès à 2 cinéastes-mentors, une intervenante sociale et quelqu’un de la communauté à la coordination de l’escale. Le seul investissement que ça demande est sans doute le temps, car il faut pouvoir être disponible pour les tournages et j’ai aussi beaucoup participé au montage (étant donné que mon mentor ne parlait pas l’innu).

Faire un film avec Wapikoni Mobile est très sécurisant. D’abord on a accès à des cinéastes qui ont beaucoup d’expérience et de talents. Mais jamais, ils ne vont nous imposer leur vision. Wapikoni Mobile est aussi un organisme qui met de l’avant la souveraineté narrative. Donc, on va nous proposer des façons d’atteindre un but, mais on n’y sera jamais imposé. Alors comme j’étais dans un environnement très sécurisant, je me suis permis de retenter le coup pour un documentaire. Aussi, dans cet escale, il y avait déjà beaucoup de fiction en production, alors pour varier un peu il est bien d’avoir diverses formes de films.

 

Une entrevue de Marc Lamothe pour CTVM.info 

 

 

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