François Bégin participe à la série de Marc Lamothe CES RÉALISATEURS QUI ONT FAIT DES VIDÉOCLIPS (5)

CES RÉALISATEURS QUI ONT FAIT DES VIDÉOCLIPS (5), le réalisateur François Bégin échange avec Marc Lamothe dans le cadre d’une 5e entrevue sur le thème du vidéoclip 

En 1993, François Bégin débute ses études à l’Université du Québec à Montréal, un baccalauréat en communication avec une spécialisation en cinéma. Dès la fin de ses études en 1995, il cofonde SPYKEFILM et y réalise une centaine de vidéoclips pour des groupes et des artistes emblématiques de cette période, dont notamment : Anonymus, B.A.R.F., Banlieue Rouge, Brasse Camarade, Nancy Dumais, les Frères à Ch’val, Groovy Aardvark, Infini-T, Kermess, Laymen Twaist, Philippe Leduc, Gaston Mandeville, Muzion, Noir Silence, Okoumé et Yannick Rieu.

 

Délaissant le clip pour tenter sa chance du côté de la publicité et des productions télévisuelles, il réalise entre 1998 et 2004 de nombreuses publicités et autres productions corporatives. Attiré aussi par le documentaire, il réalise plusieurs séries dont La guerre des sexes qui sera en nomination au Gala des Gémeaux de 2002 dans trois catégories, dont «Meilleure série documentaire ».

 

Depuis, François Bégin se spécialise en fiction humoristique et dramatique à la télévision. Sa toute première série télévisée, Tranches de vie, s’est échelonnée sur cinq saisons. Il collabore à de nombreuses séries, dont Neuroblaste (2011), Corps et Monde (2013), Le Contrat (2013), Lol :-)(2013-2015), Souper de filles (2014), Med (2014-2016, Lien Fatal, (2015), L’Échappée (2016-2018), Les Mutants (2019) et Les Newbies (2019-2020).

 

Photo récente de François Bégin

Une série d’entrevues réalisée par Marc Lamothe

 

 

Quels souvenirs gardez-vous de la scène musicale montréalaise et québécoise des années 90?

 

François Bégin — Ce que je retiens d’abord, c’est l’énergie qui se dégageait de tous ces groupes musicaux. Plusieurs de ces groupes étaient amis dans la vie, partageaient la scène et faisaient la fête tous ensemble. Il y avait un réel sentiment de collectivité et de fraternité. J’aimais l’idée de cette génération avec du poil, des dents, de la garnotte dans la voix, des tatous partout, des sonorités souvent agressives et une attitude rock and roll. La scène montréalaise était réellement hallucinante à ce moment et j’étais dans l’œil du cyclone. Avec mes amis, nous courions littéralement d’une salle de spectacle à l’autre pour voir ces groupes en spectacle. En se rapprochant d’eux, on réalisait aussi à quel point ces musiciens étaient sympathiques et unis.

Autoportrait Francois Bégin Circa 1990

On voulait démocratiser le clip et servir ces bands. On avait l’impression que les vidéoclips étaient réservés aux étiquettes majeures et aux artistes établis. Nous voulions changer la donne et avions vu dans ce média une chance de se construire un métier. Notre politique était que tout groupe ou artiste musical devait pouvoir se payer un clip. On pouvait donc produire des clips entre 5 000 et 10 000 $. On a même accommodé certains clients avec des clips à 2 000$. Nous avions développé des techniques de tournage et géré des horaires nous permettant de tourner deux ou trois clips avec les mêmes équipements, pour couper les coûts par clip.

 

Durant vos études à l’Université du Québec à Montréal, vous réalisez deux courts métrages, TV DINNER et K-33 (1993). Tout de suite après, vous vous lancez dans le vidéoclip et cofondez SPYKEFILM avec des amis. Parlez-moi de ce saut dans le vide…

 

François Bégin — Dans mes années universitaires, avec mon meilleur ami Jean-Pierre Gauthier, on a fait les 1001 coups ensemble. Lui, voulait être directeur photo, et moi, réalisateur. On se rendait bien compte que l’industrie du clip semblait être une chasse gardée. On a donc vite réalisé que nous devions bâtir nous-mêmes nos chances de percer dans l’industrie. Avec Isabelle Dupuy, qui contrairement à nous n’avait pas étudié en cinéma, mais en animation culturelle, je crois, qui nous semblait motivée par la vente et la gestion et nous avons ainsi tous les trois démarré SPYKEFILM.

  • Magazine entreprendre 1-1
  • Magazine Entreprendre 2 1997

Notre premier bureau était situé sur la rue Napoléon à Montréal, dans la résidence de Jean-Pierre et Isabelle qui étaient conjoints à l’époque. Les choses ont tellement démarré vite que je n’ai pas pu finir tous mes cours universitaires pour compléter mon baccalauréat. Les groupes se sont mis à signer avec nous et on s’est mis à tourner, tourner et tourner… Martyne Prévost des Disques MPV a été une de nos premières clientes. On s’est mis à engager des artisans, former des équipes et recourir à d’autres réalisateurs. Nous montions nos clips de nuit à l’UQAM, dans les locaux de montage de l’université, jusqu’au jour où je me suis fait prendre. On a déménagé sur la rue St-Denis à l’angle de la rue Rachel. Nos bureaux étaient au 2e étage et nous habitions les trois ensemble au 3e étage. Puis nous avons emménagé nos bureaux sur la rue St-Urbain, dans le Mile-End.

Nous avons été rapidement victimes de notre propre succès. On voulait tout mettre à l’écran et trop souvent, on ne générait pas assez de profits. On a voulu court-circuiter le système en offrant des clips à bas prix. On est quelque part restés pris avec l’image de la boîte de clips à 10 000$. On n’a jamais réussi à aller chercher de très gros budgets ou à passer à l’étape suivante, malgré de nombreuses récompenses et des mentions « buzz clip » que SPYKEFILM a su accumuler. Je suis parti après sept ans, car je voulais faire de la pub, du cinéma, de la télé et un peu d’argent. La compagnie a continué ses opérations quelque temps après mon départ.

MusiquePlus et son émission FAX57 avaient d’ailleurs produit une capsule reportage sur la production de notre 100e clips chez SPYKEFILM. C’était le clip LA LUNE PLEURE pour le groupe Okoumé. Voici un lien vers cette capsule que nous venons de mettre récemment en ligne.  FAX57 – 100e clip de SPYKEFILM sur Vimeo

 

J’ai choisi quelques vidéoclips parmi votre filmographie, et j’aimerais qu’on en discute. Tout d’abord, ON JASE DE TOI (1995) pour le groupe

Noir Silence.

 

 

 

 

 

 

 

 

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François BéginMartyne Prévost nous envoie une maquette de ce qui allait devenir le premier album de Noir Silence, car elle veut notre suggestion pour le premier clip à tourner. Jean-Pierre Gauthier et moi écoutons l’album à quelques reprises. On réalise qu’on se met rapidement à chanter à l’unisson « On jase de toi ». Nous aimons sincèrement la chanson et nous y croyons. Elle nous semble accrocheuse et sans prétention. Nous téléphonons donc à Martyne pour lui faire part de notre proposition. Au départ, elle s’avère réellement surprise, car elle avait non seulement une autre chanson en tête, mais ON JASE DE TOI est une chanson atypique comparativement aux autres chansons du groupe. Il y avait même une certaine valse-hésitation à garder la pièce sur l’album. À force d’insister, le label et le groupe nous ont suivis dans la production de ce clip.

 

Quelques semaines plus tard, il fallait transporter et héberger une équipe de 20 personnes à Saint-Georges en Beauce. Toute l’équipe a dormi à la ferme des parents de Jean-François Dubé, le chanteur du groupe. Certains dormaient dans le sous-sol, d’autres dans la grange et même certains dans le poulailler, si je ne m’abuse. Ce genre de proximité, ça a créé un réel sentiment de gang et de communauté au sein de l’équipe et c’est un peu pour ça que le clip fonctionne et que j’en garde le meilleur des souvenirs. Sur place, il fallait aussi recruter une foule de 400 figurants pour le tournage d’une scène du clip dans ce qui, je crois, était le tout premier ciné-parc au Québec. Il n’y avait pas de réseaux sociaux à l’époque. Alors, un membre du groupe appelait un ami qui lui en appelait deux et ainsi de suite pour recruter le plus de figurants et bénévoles possible. Le concept du vidéo en gros est que Samuel Busque, guitariste du groupe, a l’inspiration de donner un spectacle le soir même devant l’écran du ciné-parc de la place. Il part à motocyclette pour regrouper les autres musiciens et préparer l’événement. Durant ce temps, la rumeur court dans la ville qu’un spectacle s’organise et les jeunes se préparent. Tous se retrouvent, le soir venu, pour le spectacle où le groupe interprète

« ON JASE DE TOI ». L’équipe de techniciens et la majorité de la foule présente n’avaient jamais entendu la chanson avant le tournage. Dès le moment où on a fait jouer les premières notes de la chanson «full blast» pour les fins du tournage extérieur, on a tout de suite senti un large élan d’enthousiasme pour la chanson.

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  • Noir Silence (1)

Noir Silence, photos du clip ON JASE DE TOI (1995)

Le reste appartient à l’histoire. MusiquePlus et la radio ont littéralement propulsé le groupe à des années-lumière d’où ils étaient avant. L’album atteindra les 150 000 exemplaires et gagnera un Félix, celui du meilleur disque rock. Une histoire d’amour est née entre les disques MPV, SPYKEFILM et le groupe Noir Silence avec lequel, j’ai réalisé quatre autres clips et SPYKEFILM plusieurs autres encore.

Discutons de la vidéo tournée pour la chanson LIFE (1995) du groupe B.A.R.F.

 

François Bégin — Un autre clip à tout petit budget et armé d’un concept technique. Comme la pièce durait moins que deux minutes, 1 min 49 pour être précis, nous n’avions pas obtenu le plein montant d’une subvention de base, sous le prétexte que notre clip était moins long que la moyenne des clips du moment. On a donc tourné ce clip la même journée qu’un autre tournage chez SPYKEFILM afin d’amoindrir la structure et les coûts et pouvoir livrer le clip pour 2 000 ou 3 000 $. J’ai oublié quel autre clip nous avions tourné ce même week-end.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Comme la pièce s’appelait LIFE, je voyais les membres du groupe suspendus par les pieds, pris dans des cocons au moment de l’éclosion. On voit volontairement les rails, car tout est circulaire, le Dolly tourne autour du band. Je voulais capturer le côté LIVE du groupe et je voyais dans la mise en scène un hommage au cercle de la vie. Je voulais du mouvement et accentuer la performance de Marc Vaillancourt, le chanteur du groupe étant une réelle bête de scène. Les gars ne pouvaient évidemment pas rester longtemps pendus par les pieds.

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  • BARF - LIFE (1)

On avait organisé un système de poulie attaché par le haut, dont la corde traversait le hangar et était reliée à ma voiture, une Caprice Classic 1990, avec des pneus d’été en hiver. La corde passait sous une porte du garage laissé entrouverte, le groupe et l’équipe étaient frigorifiés. Il faisait frette comme chez le diable ce jour-là. Les gars du groupe étaient à l’envers, à moitié nus, enduits de gélatine Jello et recouverts de coton à fromage.

 

Parlons un peu du clip Y’A TU KELKUN? (1996) réalisé pour Groovy Aardvark

 

François Bégin — Groovy Aardvark. J’ai réalisé trois clips pour eux et Vincent Peake, le chanteur, porte le même maudit chandail de laine un peu  « décâlissé » dans les trois clips. Il le portait en spectacle, il le portait tout le temps. Au 3e clip, je lui ai dit, t’as encore mis ton chandail de laine et lui de répondre « Ben oui, c’est mon trade-mark ». Y’A TU KELKUN? est le premier de trois clips que j’ai tournés avec eux. Ça se voulait assez conceptuel. J’aime les concepts en vidéo, souvent inspiré de gimmicks techniques. Ce n’est pas du cinéma, mais bel et bien un vidéoclip exploitant une idée technique dans un univers fermé de 3 ou 4 minutes.

 

J’avais demandé à Vincent d’apprendre les paroles de la chanson à l’envers. En fait il devait mémoriser l’inversion phonétique du texte à rebours. Un peu comme le nain de la série TWIN PEAKS avec son phrasé inversé. Il avait trois semaines pour apprendre des mots genre « Émerdixatd unklek ut-a-ya. Étoc ertuald unklek ut-a-ya » au lieu de « Y a-tu kelkun d’taxidermé. Y a-tu kelkun d’l’autre côté ».  Je voulais tourner le clip en un plan-séquence en jouant la chanson à l’envers, en filmant Vincent lipsynchant sur les paroles à l’envers.

Ainsi, en jouant le clip à l’envers, tout le monde bougerait aussi à l’envers à l’écran alors que Vincent chanterait à l’endroit dans un mélange de partys de loft, de cirque et de bandes bigarrées de musiciens ainsi que des amis du groupe. On y voit notamment Julie Slater danser avec ses longs cheveux, on voit des cracheurs de feu, du body surfin’ et un méchant party!

  • Groovy Aardvark (2)
  • Groovy Aardvark (1)

Malheureusement, Vincent n’a jamais réussi à apprendre les paroles par cœur à l’envers alors on a changé l’idée du plan-séquence en une série de vignettes tournées lors de cette soirée. J’avais assez de pellicule pour faire trois prises du clip. Je me rappelle qu’on avait monté le vidéoclip de nuit à l’UQAM, Jean-Pierre Gauthier et moi.

On était heureux et fiers d’aider une formation qui commençait à se faire un nom. Groovy Aardvark était à nos yeux les porte-étendards d’une nouvelle génération d’artistes québécois qui,  avec d’autres groupes de la même période, dont Grim Skunk,  allaient définir une partie de la scène locale du moment.

 

J’aimerais qu’on aborde maintenant SOUS UN CIEL ÉCARLATE (1996), réalisé pour le groupe Banlieue Rouge.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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François Bégin — Un clip que j’aime beaucoup. Un autre tournage grégaire reposant sur les amis du groupe pour rassembler plusieurs figurants. Safwan, le chanteur du groupe est aussi un artiste-tatoueur et j’ai eu le goût de tourner avec un clip avec un look un peu tribal, avec du feu et des tatoueurs. Safwan a recruté plusieurs de ses clients, de ses collègues et des clients de ses collègues pour avoir une foule habillée un peu comme des Vikings et axée vers un look clanique que je recherchais. On est dans le piercing, le tatouage et le marquage de la peau. On avait tourné le clip dans l’ancienne poudrière de l’île Sainte-Hélène qu’on voit près du pont Jacques-Cartier.

 

Le clip reposait sur un trip de montage, de lumière, de flammes et une série de jeux de mots avec le mot feu. Comme mettre le feu aux poudres ou comme le feu est dans la poudrière. J’ai travaillé très fort avec Safwan pour monter le clip avec une très grande précision. Tout le monde a été extrêmement généreux. Je dois avouer que c’est un de clips qui me désole de ne pas avoir de belle copie à partager.

 

Vous avez réalisé trois vidéoclips pour le groupe Okoumé, dont

À L’ENFANT QUE J’AURAI (1997) qui s’est avéré être votre premier buzz clip à MusiquePlus.

 

François Bégin — Un beau trip, en effet. Écoute, au début, j’écoutais la chanson en boucle et aucune idée ne s’imposait. Habituellement, j’écoute quelques fois de suite une pièce et une idée se faufile. Mais dans ce cas-ci, rien : pas d’images et aucune idée. Je lisais les paroles et j’ai soudainement pensé au clip de Lionel Ritchie, DANCING ON THE CEILING (1986) avec la pièce qui tourne sur elle-même et les gens qui dansent sur les murs et le plafond. Le concept était cette pièce rotative et une multiplication d’époques évoquées selon les plans, passant des années 20, 30 et 40 et ainsi de suite pour souligner l’universalité du thème de la paternité. On voulait insister sur l’humanité de la relation père-fils à l’écran avec, par exemple, le père et le fils qui se disputent de chaque côté de la pièce où le fils qui rentre d’une brosse pour se coucher au plafond.

Clip officiel : https://vimeo.com/505062480

https://vimeo.com/505062480?fbclid=IwAR0W_haZpEsRN_l6VGTej326oKHhvSJYBsHR8ClsVESFoR9vJtyo6GUUDdM

 

Making of du clip :

Le défi était de construire cette pièce où les gens pouvaient marcher sur les murs et le plafond. La pièce tenait sur une structure avec des rigs en métal. Des fois, la caméra était à l’endroit; des fois, à l’envers, selon les perspectives désirées. Nous n’avions pas les moyens de la faire tourner sur elle-même à l’écran, mais nous pouvions l’inverser ou jouer avec les perspectives entre les plans. On avait aussi à l’époque tourné un making of du clip où l’on voit bien comment la pièce était construite et articulée. Nous n’avions jamais partagé cette vidéo avant la réalisation de cette entrevue.

 

Quels souvenirs gardez-vous du tournage du clip TON VISAGE (1998) réalisé pour Nancy Dumais ?

 

 

 

 

 

 

 

 

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François Bégin — SPYKEFILM avait déjà travaillé avec Nancy. Miryam Bouchard avait déjà réalisé ses deux premiers clips, des projets plus atmosphériques, SOUDÉS À JAMAIS et PARLER AUX ANGES. Des clips où on montrait une Nancy plus sage, plus près d’une auteure-compositrice. Avec le 3e clip, Nancy et son agence visaient un changement d’image, plus sexy et plus enjouée. La chanson se prêtait bien à ce genre d’exercice avec son côté funky et ses paroles nostalgiques qui nous renvoient à son adolescence. J’ai donc joué sur la nostalgie et j’ai regroupé des objets qui évoquaient les années 70, comme un jeu Lite-Brite, un Slinky, des décorations à gogo et des figurines LEGO. La maison que l’on voit au début du clip dans le long mouvement de Dolly est celle de mes parents où j’ai grandi à Laval, car je cherchais une architecture des années 70.

 

Le stop motion était réalisé avec une Bolex qu’on avait payée 400$ en argent comptant. Dans un clip que j’avais tourné juste un peu avant, pour le groupe Oblik. J’avais besoin de filmer en time lapse un repas dans une assiette en train de pourrir en accéléré et le chanteur du groupe, Charles-Robert Henley, « Bob le tech », nous avait proposé de bizouner un intervallomètre, c’est-à-dire une tige de métal qui sort à intervalle régulier pour activer le mécanisme de photographie.

  • Nancy Dumais (2)
  • Nancy Dumais (1)

 

On a utilisé ce mécanisme maison durant des années, dont notamment sur les stop-motions du clip TON VISAGE et pour filmer New York en time lapse pour le clip WHAT IS THE COLOR OF LOVE de l’artiste jazz Yannick Rieu.

 

Parlons-en donc du clip STAY AWAY (1998) réalisé pour le groupe anglo-montréalais Oblik

 

François BéginOblik faisait partie de la scène locale depuis un bon moment déjà. Quand le premier album est enfin sorti, j’étais vraiment heureux de pouvoir travailler avec le groupe. J’étais alors un peu blasé des clips de rock avec montage rapide et saccadé. Oblik est arrivé à la croisée des chemins. Je voulais sortir de la performance d’un groupe à l’écran et me consacrer à des clips plus cinématographiques. Je prenais une bière avec Podz et lui disais que j’étais un peu à court d’idées pour ce projet-ci. On est partis dans une volonté de déconstruction avec des scènes lentes. Podz a vite soumis l’idée d’un couple dans une chambre d’hôtel. Celui-ci vient de faire l’amour, mais on comprend que la relation s’est effritée. La relation est en train de pourrir à l’image de la nourriture en putréfaction sur la table à café. La télévision est allumée et l’homme regarde un vidéoclip. Le faux clip, jouant dans la télé, est un peu une satire du genre de clip que je ne voulais plus réaliser. Le groupe s’était beaucoup impliqué dans la conception du clip, du brainstorming au montage final. J’aimais bien ça quand les groupes s’impliquaient, car après tout, c’était eux qui vivraient avec le produit final.

  • Stay Away Video  (4)
  • Stay Away Video  (3)

 

Le clip avait été tourné sur deux semaines. Le premier jour de tournage, nous avions vidé notre salle de montage chez SPYKEFILM, repeint tous les murs en blanc et tournée avec les membres du groupe entassé dans un coin. Le batteur du groupe, Stéphane Gaudreau insistait pour avoir sa batterie transparente dans le clip. Nous avons ainsi tourné plusieurs prises d’Oblik en train d’interpréter la pièce musicale. Ça s’était pour le clip dans le clip. Le second samedi, nous avons tourné dans un motel dans l’Est de Montréal. Je cherchais un motel kitsch avec un bain en forme de cœur. Dans la chanson, il y a une courte pause. Nous avions décidé d’allonger cette pause, de passer d’une photographie en noir et blanc à une photographie riche en couleur avec comme seul bruit de fond le robinet du bain. Quelque part, ça se voulait antinomique. Je voulais littéralement priver le spectateur de couleur, mais pour un court instant, je lui ai offert des couleurs et des sons pour sublimer ce moment de réalité et ensuite revenir en contexte noir et blanc. C’était l’idée de la cassure dans le clip, comme l’instant de cassure pour le couple.

Le vidéoclip officiel :

Le clip dans le clip :

 

Avec le clip JE VIS AVEC réalisé pour Gaston Mandeville vous avez reçu une nomination au Gala de l’ADISQ 1998 comme Meilleur réalisateur de l’année. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience humaine et artistique?

 

 

 

 

 

 

 

 

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François Bégin — Le clip le plus émouvant que j’ai eu à réaliser. Quand j’ai rencontré Gaston, il était déjà malade et très faible, mais il voulait s’impliquer dans la création de ce vidéoclip. Le titre JE VIS AVEC renvoyait à son cancer des os. On a déposé ensemble une demande de subvention, mais malheureusement, lorsque nous avons reçu une réponse positive pour réaliser le clip, Gaston nous avait déjà quittés. Avec sa veuve, Linda, nous avons fouillé dans les souvenirs de Gaston afin de rendre un dernier hommage à sa vie. Nous sommes allés dans son sous-sol et avons ouvert des dizaines de boîtes, car Mandeville gardait littéralement tout.

 

Tout ce qu’on voit dans le clip, c’est la vie de Gaston en quelque trois minutes. J’avais aussi fait scanner des lettres qu’il avait écrites pour pouvoir utiliser sa calligraphie en bas d’écran durant le clip. On y voit toute sorte de choses, des objets personnels, des dessins qu’il avait faits, des extraits de vidéoclips précédents qu’il avait tournés, dont L’HOMME DE LA MAISON. Le concept du clip était qu’une caméra entre dans le grenier de Gaston comme si elle entrait dans sa mémoire. Nous découvrons l’homme et l’artiste à travers ses souvenirs. Nous avons tourné en 35 mm avec une immense caméra qui enregistre et répète les mêmes mouvements préprogrammés. On a fait deux prises consécutives, mais en enlevant ou ajoutant des objets dans le parcours de la caméra. Ainsi au montage, on pouvait faire apparaître et disparaître des objets à volonté.

 

Quels souvenirs gardez-vous de vos années SPYKEFILM?

 

François Bégin — On était habité par un sentiment de communauté. On était comme une gang de guerriers décidée à tourner malgré le frette, l’humidité, des heures éprouvantes et des conditions parfois précaires. Les équipes étaient réellement dévouées. Ç’a été une très grande aventure. J’y ai réalisé 101 vidéoclips et j’en ai monté plus de 50 autres. Parmi les réalisateurs qui ont passé par SPYKEFILM, mentionnons notamment Robin Aubert, Jean-François Asselin, Miryam Bouchard, Alexis Durand-Brault, Patrick Gazé, Rafaël Ouellet, Podz, Jean-François Proteau et Nadia Simaani. Encore aujourd’hui, je vois plein d’artisans qui s’illustrent dans l’industrie et suis fier quand je réalise qu’ils ont fait leurs premières armes avec nous.

 

 

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