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Hommage posthume à Érik Canuel

Publié le 4 février, 2025
Publié le 4 février, 2025

Hommage posthume à Érik Canuel

Les témoignages de ses proches, amis, collaborateurs et artistes, par Marc Lamothe

 

Mardi 21 janvier 2025 aurait marqué les 64 ans d’Érik Canuel. Quelques mois après son décès, la famille et les proches ont convenu d’organiser une soirée hommage à la salle Lion D’or. Parents, amis, proches, collègues et fidèles collaborateurs étaient présents pour cette commémoration.

La soirée fut marquée par de précieux témoignages, de Nicolas Canuel (frère d’Érik) Julie Castan (conjointe d’Érik), Marie-France Lemay et Pierre Gill (anciens associés d’Érik dans la compagnie Kino Films) et Marc Lamothe (programmateur au festival Fantasia et ami d’Érik).

 

 

Voici pour commencer quelques photos de cette soirée hommage

 

 

De nombreux signets commémoratifs avaient été placés sur les tables. Le recto montrait une photo d’Érik avec son motto, Oh Yeah, Come On!  Au verso, on pouvait y lire une citation du livre IT (ÇA) de Stephen King :

“Drive away and try to keep smiling. Get a little rock and roll on the radio and go toward all the life there is with all the courage you can find and all the belief you can muster. Be true, be brave, stand.”

Cet événement se voulait lumineux, dans la joie et dans la nostalgie plutôt que la mélancolie. Vous trouverez ci-dessous la suite des photographies de cet événement prises par Vincent Fréchette qui témoigne parfaitement de l’ambiance qui régnait.

 

Nous avons aussi profité de cette soirée pour demander à plusieurs proches, amis, collaborateurs et artistes de nous parler d’Érik. Tous nous ont partagé une anecdote qui pour eux résume bien Érik Canuel.

La toute première mise en scène d’Érik Canuel, par Nicolas Canuel

La question posée à Nicolas Canuel : Qui a donné le premier emploi de metteur en scène à Érik dans sa carrière, tu dirais quoi?

«Étant plus jeune, je suivais des cours de théâtre avec Sita Ridez, un professeur de théâtre incroyable, qui connaissait à peu près tous les grands classiques par cœur. Professeur qui a d’ailleurs enseigné à mes parents et à peu près à toute la colonie théâtrale des années 50. C’est d’ailleurs chez Sita Ridez, que mes parents se sont rencontrés. Dans ses classes, j’avais formé avec des amis, une troupe de théâtre que l’on avait appelés Philanthroupe, nous avions monté LA CANTATRICE CHAUVE de Eugène Ionesco, et une autre pièce, en première partie, écrite par un copain acteur. Pendant la préparation du spectacle, le metteur en scène nous avait quittés pour d’autres horizons. J’ai donc demandé à Érik de prendre en charge la mise en scène de ces 2 pièces de théâtre. C’était donc la première fois qu’il me dirigea comme acteur et ce fut son tout premier travail de metteur en scène. »  – Nicolas Canuel, acteur, musicien, entrepreneur et frère d’Érik.

 

Érik Canuel de l’Université Concordia à Kino Films, par Marie-France Lemay 

Marie-France Lemay et Pierre Gill (à droite)

« Combien se souviennent de leur toute première rencontre avec Erik Canuel?  Pour ma part, j’étais finissante en cinéma à Concordia en 1986 et très impliquée dans la faculté, se souvient Marie-France Lemay. Arrive la fin de session et les entrevues pour ceux qui souhaitaient être admis au programme. Les sélections étaient basées sur deux entrevues devant un petit comité avec une élimination de candidats à chaque tour. Le comité était composé du doyen de la faculté, d’un professeur et d’un étudiant finissant. Cette année-là, c’était moi.  Erik se présente à sa première entrevue. Avec déjà à peu près tous les attributs qu’on lui connaît et quelques bagues en moins. Et je me dis « Non, mais quel numéro celui-là, j’ai bien hâte de voir ce qu’il va présenter ». On visionne son court métrage, une poursuite dynamique en voiture (et course à pied, si ma mémoire est bonne) avec son père Yvan Canuel en vedette, et, évidemment, il y avait une grosse explosion! Je suis renversée par son talent, on voit déjà une maîtrise de la grammaire visuelle, un sens du récit et du rythme ainsi qu’une stylistique qui se démarquent haut la main de la moyenne des autres étudiants.

«Et là, je sais qu’il ne passera pas. Trop commercial. La ligne directrice de la faculté était orientée vers le film d’auteur et le film expérimental. Au dépouillement,  le doyen et le prof rejetèrent la candidature d’Érik. Je fais valoir les aptitudes impressionnantes d’Érik et le fait qu’il devrait au moins avoir une 2e chance. On me le concède. Je rentre chez moi et je suis totalement habitée par ce gars-là et son petit film. Je fais les 100 pas dans mon appartement, il faut qu’il soit accepté dans le programme, ça n’a aucun sens qu’un talent comme ça soit mis à l’écart. Je tourne en rond. Et là, j’ai fait quelque chose d’un peu fou. J’avais la liste des candidats et leurs numéros de téléphone, mais c’était interdit d’entrer en contact avec eux. Au risque de graves sanctions à mon égard, j’ai appelé Érik. Je lui ai expliqué que je faisais quelque chose que je ne devais pas faire, mais que c’était plus fort que moi, car je trouvais son talent exceptionnel et qu’il fallait revenir en seconde entrevue avec du matériel plus personnel.

Première planche contact de la première séance de photos officielles pour Kino Films 1990. Photographe: Pierre Charbonneau

«Il est revenu au 2e tour avec un portfolio beaucoup plus près des attentes de l’école. Et sa candidature a été retenue pour la cohorte de l’automne suivant. Quelques mois plus tard, j’habitais à ce moment sur NDG, près de Décarie. Je vais au coin de la rue pour faire une course et en tournant le coin, Érik qui tourne le coin en sens inverse au même moment me fonce dedans ! On s’est reconnus, on s’est raconté notre année, moi qui allais maintenant m’orienter à produire, lui qui avait fait un clip ou deux avec Pierre Gill; on s’est dit qu’on devrait se voir et faire des projets ensemble. Je vous épargne des étapes et détails, mais toujours est-il qu’au final, environ 1 an plus tard, nous avons chacun emprunté 1000$ à nos parents pour démarrer l’entreprise (Kino Films 1989 inc). Un local minuscule. Trois téléphones, un fax, trois vieux bureaux, une papeterie, un compte bancaire avec des chèques et une convention d’actionnaires pour le moins inusitée. Envers et contre tous, les conseils reçus de notre comptable et de notre avocat, nous tenions fermement à une convention où toutes décisions seraient prises à l’unanimité. Si un de nous trois n’est pas d’accord, ça ne passe pas. Tous pour un, un pour tous!  Parce que c’est ça Érik ! Un type solidaire et fidèle en tout et jusqu’au bout. »

– Marie-France Lemay – productrice et ancienne associée de l’agence Kino Films

Kino Films 1991 : Érik et Pierre, en haut en partant de la gauche: Sylvie LaSalle (adjointe à la production), Martin Ulrich (producteur) et Marie-France Lemay. Photographe: Pierre Charbonneau

Érik et la publicité – Pierre Gill

Pierre Gill, directeur photo et ancien partenaire d’Érik Canuel dans Kino Films

« Chez Kino Films, créé par Marie-France Lemay, Canuel et moi, nous avons produit de nombreux vidéoclips et des centaines de publicités. Début des années 90, un soir, Érik et moi étions accoudés au bar à prendre un drink au di Salvio. Comme ça arrive souvent, on se met à parler à notre voisin de coude. Il se présente comme un publiciste œuvrant pour une grande compagnie de publicité internationale ayant un bureau à Montréal.  Nous lui disons avec empressement que nous sommes producteurs et réalisateurs de publicités. Ce dernier nous explique qu’il a peu de considération pour les publicités tournées au Québec, que nous n’avions pas de réels talents et que nos productions manquaient d’envergure. À titre d’exemple, il mentionne une publicité qu’il a vu sur grand écran quelques jours plus tôt à Montréal. Une pub pour le défunt magasin de vêtements AMERICA. Il nous dit que cette pub n’a pu qu’être tournée à l’étranger par les grands avec un budget dépassant le million… Il nous cite en exemple les magnifiques plans dans les champs de coton probablement tournés dans un endroit exotique. Bouche bée, nous lui répondons avec amusement que nous avions réalisé cette pub quelques mois plus tôt.  Le champ de coton en question était un champ de patates situé à St-Édouard sur la Rive-Sud de Montréal. Nous avions acheté des sacs de boules de coton que nous avions installées une à une sur les plans de patates pour donner l’illusion d’un champ de coton. Le lundi suivant, nous étions tous les 3 invités à cette agence pour nous lancer sur de nouvelles publicités. »

Pierre Gill, directeur photo et ancien associé de l’agence Kino Films

Lien pour voir la publicité en question : https://youtu.be/kQc9qs32LMc

Kino 1991 : En partant de la gauche 1ère rangée du bas: Éric Beauséjour (directeur de production), Éric Couture (directeur de production), Jacinthe Arsenault (coordonnatrice), moi (présidente, productrice exécutive et associée), Isabelle Lindsay (réceptionniste), Bruce Chun (assistant-réalisateur), Sylvie Lasalle (adjointe à la production), Pierre Gill (directeur photo at associé), Sylvain Gingras (directeur artistique). Rangée du haut : Jean-Marc Piché (réalisateur) et Érik Canuel (réalisateur et associé) –  Photographe: Pierre Charbonneau

Érik et son agente, Nathalie Brunet 

« Jamais je n’oublierai Érik et toute l’importance que cet homme a eue pour moi, tant sur le plan personnel que professionnel.  Quand j’ai lancé notre agence OMADA, j’étais à la recherche de mes premiers clients.  Érik Canuel s’était illustré avec de nombreuses publicités et me semblait prêt pour un premier long métrage. Je l’ai donc contacté pour lui donner rendez-vous à mes bureaux. Je lui ai expliqué mes plans et ce que j’anticipais pour sa carrière en lui disant qu’à défaut de lui offrir des années d’expérience, il aurait toute mon attention et jouirait de toute ma détermination.

«En sortant, je lui ai proposé de prendre quelque temps pour penser à mon offre. Il me serre alors fortement la main et me dit que c’était tout réfléchi, que j’étais déjà son agente.  Érik a été mon premier client, n’en déplaise à Pierre Gill qui aime croire qu’il était le premier (rires).  Érik m’est toujours resté fidèle et il a amené plein de talents avec lui à notre agence.  Dans les premiers temps, il aimait se pointer sans rendez-vous et ouvrir ma porte brusquement en criant « OH YEAH, COME ON!! ». Je faisais toujours le sursaut, d’autant plus qu’à une certaine époque, il changeait régulièrement de couleurs de cheveux, passant de jaune, à blanc, à bleu…il me surprenait donc à chacune de ses visites. Mon agence n’existerait peut-être pas si ça n’avait été de cette rencontre avec Érik. »

Nathalie Brunet, avocate et fondatrice de l’Agence Omada

La générosité d’Érik vue par PODZ 

Podz en compagnie de Pierre Gill et Sylvain Gingras

« Dès l’âge de 11 ans, j’ai su que je voulais être cinéaste. À 17 ans, je me suis inscrit à l’université Concordia dans le programme “Production.” Je savais ce que je voulais faire, c’était évident pour moi que ma carrière devait être dans le cinéma. Mais Concordia m’a refusé. J’étais détruit, mon monde s’écroulait. Je me suis inscrit dans le programme “Film Studies” pensant tenter de nouveau ma chance pour une deuxième année. J’ai fait le programme d’été en production pour avoir les crédits nécessaires en vue de continuer mes études durant la nouvelle session. Concordia m’a de nouveau refusé. Je devais tout de même présenter le court métrage que j’avais fait avec les autres étudiants de la classe aux profs.

«En vue de cette présentation qui ne servait, je croyais, finalement à rien, j’ai dû faire affaire avec le projectionniste. Un jeune homme, un peu plus vieux que moi, qui terminait son propre programme, mais qui avait connu aussi des difficultés à l’école. Ils ont mis du temps à accepter sa candidature. Il avait les cheveux noirs en bataille, comme en mouvement perpétuel; il portait du cuir, un jeans déchiré, des bracelets en argent, des colliers et des bagues… beaucoup de bagues! Il parlait très rapidement et ne cessait de bouger. Il débordait d’enthousiasme et d’énergie. Il était curieux. De tout. Il voulait tout savoir, sur moi, sur mon film, sur ma position vis-à-vis Concordia. Il m’a écouté lorsque je lui parlais de ma famille, de ma déception, de mon désarroi.

Il me dit alors: «Moi, je l’ai aimé ton film. J’tourne un clip en fin de semaine. Une affaire d’un nouveau chanteur. On va être ‘une gang cool’, pis si ça te tente, tu pourrais venir nous aider, genre, être assistant de production?»   Je n’avais aucune idée ce qu’était un assistant de prod, mais je n’ai pas osé lui demander. Je ne voulais pas montrer mon ignorance.  “Tu tournes un clip? Comment tu réussis ça?” et lui de me répondre  «Viens en fin de semaine, pis tu vas toutte comprendre. T’es fait pour ça. Moi aussi! On va avoir du fun!»

Érik Canuel m’a trouvé dans un moment très noir. Il m’a fait confiance à un moment où je ne croyais plus du tout en moi. Il m’a montré que c’était possible. Que tout était possible ! Merci, Erik. »

Daniel Grou (Podz) – réalisateur et scénariste

Érik et la musique – le témoignage de Michel Corriveau

« Je terminais la dernière pièce pour la bande sonore du film IMAX HEMINGWAY: A PORTRAIT, mon premier gros projet avec Érik, avec orchestre, chanteur classique, etc. Le film est épique, magnifiquement tourné, avec des scènes à Pampelune où les taureaux sont lâchés dans les rues, ou encore une scène grandiose de la Première Guerre mondiale… Bref, la totale.

Pour la finale, la musique accompagnait un magnifique plan sur la mer avec un pull-up vers le générique, un classique d’Érik. Je lui avais proposé une musique rythmée, avec un groove de basse un peu dans l’air du temps, inspiration un peu Sting – Daniel Lanois. Lorsque je lui ai présenté, après quelques mesures, il s’est mis à chanter « Haut les mains! » de la formation Ottawan en faisant le geste de la danse avec ses deux mains. Son grand rire résonnait, et il m’avait fait comprendre que j’avais complètement raté la cible.  En 2000, son film IMAX HEMINGWAY: A PORTRAIT a remporté le Génie Award du meilleur court métrage documentaire. Ce geste est resté entre nous : sur tous les films que nous avons faits ensemble, lorsque la musique s’éloignait de son intention ou paraissait trop convenue à son goût, il refaisait le geste des deux mains et fredonnait « Haut les mains! » en souriant. Son rire me manque terriblement; et Érik me manque tellement. »

Michel Corriveau, compositeur de la majorité des films canadiens d’Érik Canuel.

Érik sur le plateau de LA LOI DU COCHON vu par Catherine Trudeau 

« Érik Canuel, c’était une bombe d’énergie. Il m’a fait confiance pour deux projets déterminants de ma carrière, LA LOI DU COCHON et LE SURVENANT. LA LOI était mon troisième film, je crois.  C’était impossible de ne pas embarquer dans ses ‘trips’. Érik était plus grand que nature.  Sur le plateau, il courrait partout. Avant une prise, il nous mettait en stand-by pour corriger un accessoire ou replacer une mèche de cheveux et allait se rasseoir en vitesse en criant Action! Je me souviens d’une scène dans la cuisine; on avait pris un peu de retard… alors pour précipiter les choses il criait une ‘émotion’ successivement à chaque acteur en le pointant du doigt : OK, t’as chaud (vers le premier), t’as mal (en me pointant), t’es en crisse (vers un autre), tu as peur (vers le dernier). Oh Yeah, Come On… Action!

Au théâtre, tu penses au public, au cinéma tu veux faire plaisir à ton réalisateur. Le film sera monté plus tard et on pourra le revoir bien des lustres après.  Alors, notre lien avec l’image est dans l’instant présent et je pense avoir bien servi Canuel puisqu’il m’a fait de nouveau confiance avec Le Survenant.  Jouer pour Érik, c’était jouer avec Érik. »

Catherine Trudeau, actrice

Le premier à m’avoir donné une chance sur grand écran – Jean-Nicolas Verreault, acteur

« Érik est le premier à m’avoir donné une chance sur grand écran.  J’ai fait 3 ou 4 projets avec lui. Il m’a choisi. Ceux qui ont travaillé avec Érik le savent bien, c’est un réalisateur complet, qui connaît et comprend tous les corps de métier sur le plateau, qui respecte chacun de ces métiers. Il était lui-même capable de tout ajuster sur le plateau, de l’éclairage, à la caméra en passant par tous les aspects techniques.  Plus qu’un geek, il était un ‘wizz kid’ à mes yeux.  Il avait une culture incroyable; il était une encyclopédie du cinéma.  Un grand technicien doublé d’un humanisme profond avec un œil particulier pour nous aiguiller dans notre travail. Il avait une telle énergie que c’était difficile de ne pas le suivre dans son bateau. Même vers 18 ou 19 h pour les dernières prises, il criait toujours avec le même enthousiasme OH YEAH, COME ON!.  Veux ou veux pas, ça te giflait et t’inspirait à donner ton meilleur. »

Jean-Nicolas Verreault, acteur

 

Érik et les acteurs. Les souvenirs de Marie Brassard 

« J’ai eu la chance de jouer dans deux films d’Érik Canuel. Ce que je retiens c’est son sens de l’humour si particulier et son sens inné du jeu. Le cinéma était un jouet avec lequel il semblait éprouver tellement de plaisir et il nous invitait à jouer avec lui. Il n’avait aucune limite. Il chérissait ses acteurs, tout comme il respectait ses équipes de tournage. Son père lui disait : « Aime tes acteurs ».  Il nous laissait jouer, improviser même, mais toujours en sachant ce qu’il cherchait ultimement. Il avait un réel amour des acteurs. Un amour du jeu, mais aussi le goût de faire tripper le public. Il n’y avait pas de hiérarchie sur ses plateaux, nous étions tous des amis déterminés à aider Érik à réalise ses visions artistiques.  Je me suis souvent dit que ça serait le ‘fun’ de refaire des films avec Érik, mais le temps ne l’a pas voulu ainsi. Je garde en moi son humour, son amour, son intelligence et son audace. »

Marie Brassard, actrice

Un humour noir – Isabel Richer 

« Érik nous rappelait constamment que jouer, c’est avoir du plaisir. Ses plateaux étaient des terrains de jeux incroyables. Je me souviens de LA LOI DU COCHON comme une colonie de vacances, mais avec un capitaine dédié à fond. J’ai rarement rencontré un être humain aussi rassembleur. Il avait tellement de plaisir à nous regarder travailler, à nous regarder jouer et à nous stimuler.  En regardant LA LOI pour la première fois en 24 ans, j’ai été surprise de constater que plusieurs personnages du film meurent à la fin, mais je me souviens de ce plan qui a été coupé au montage.  À un moment donné, le personnage de Marie Brassard dépose par terre le bébé qu’elle tient pour aller défendre son mari à la sortie du champ de maïs.  Plus tard, on voyait une moissonneuse-batteuse passer dans le champ, nous laissant croire un instant que le bébé a été tué, mais dans le plan suivant on voyait le personnage jouer par Catherine mettre le bébé à l’abri dans son auto. Ce plan, n’a pas fait le final cut, mais il résume l’humour et l’audace d’Érik. »

Isabel Richer, actrice

Érik à la puissance 10 – – Sylvain Marcel, acteur

« J’ai connu Érik lors d’une audition pour la série FORCIER dont il a dirigé la saison 2. J’auditionnais pour jouer un tueur.  En entrevue, Érik me disait : « Non, non, tu le joues trop agressif.  Notre tueur est un homme posé, pas un volcan.  Refais-moi ça, mais en diminuant de 10 %. … Refait là encore, mais en diminuant encore de 10 %. »   Au final, je n’ai pas eu le rôle dans Forcier, mais il a insisté pour me revoir en audition pour LA LOI DU COCHON. Le scénario parlait d’un colosse de 6 pieds 4, 250 livres. J’étais donc certain de ne pas avoir le rôle. En audition, il m’avait dit, « Tu te souviens de ton audition de Forcier, refais-moi ça, mais puissance 10!  Après un essai, il me disait c’est bon, mais ajoute encore une puissance 10.  Et encore une fois puissance 10. »  Il me disait que « Paquette est un psychopathe, un volcan en activité qui pouvait éclater à tout moment. Ça pousse fort en lui ».  Je craignais de tomber dans le cabotinage en jouant aussi gros, mais j’ai fait confiance à mon réalisateur et on a retravaillé ensemble. Je me souviens, il m’avait dit : « T’es tellement bon quand tu es vraiment mauvais ». Si vous surveillez ces films attentivement, il y a de nombreuses références à LA LOI DU COCHON. Dans BON COP BAD COP, il y a une scène où je m’allume une cigarette et mon briquet est en forme de cochon. Dans NEZ ROUGE, la voiture de mon personnage est la même que celle de mon autre personnage dans LA LOI. Pas juste le même modèle, mais la même voiture, la voiture du fils de Pierre Foglia. Dans ce même film, il y a cette scène où ils sortent du cinéma et on y voit une affiche de LA LOI DU COCHON 2.

Mais Érik m’a fait le plus beau cadeau qui soit, il m’a accepté et traité comme acteur alors que je n’ai pas de formation. Il m’a offert mon premier grand rôle. Et il m’a réengagé sur NEZ ROUGE, BON COP BAD COP et LAC MYSTÈRE. »

Sylvain Marcel, acteur

Érik et le montage – Jean-François Bergeron, monteur

Jean-Francois Bergeron avec Anick Jean

« J’ai été monteur pour Érik depuis l’époque de ses contrats publicitaires. J’ai beaucoup grandi avec Érik à force d’échanger des idées et points de vue. À choisir une anecdote, j’irais vers une des premières.  Alors que je terminais une version préliminaire du montage de La Loi du Cochon, les producteurs s’étaient pointés à ma salle de montage pour regarder ce que nous avions déjà monté.  Je les voyais chuchoter et je sentais monter leur inquiétude face au film. Ils m’avaient dit : continue avec ce director’s cut et on parlera à Érik pour le montage final.  Inquiet, j’ai appelé Érik pour lui décrire ce qui venait de se passer. « Yello », qu’il me répond, je lui explique que les producteurs semblent incertains du montage. Aucune pause, il me répond rapidement « M’en câlisse. Y’a tu autres choses? Bonne journée mon chum».  « M’en câlisse », Canuel répétait ça souvent. C’était son film et il avait une idée claire de quoi et comment faire et ne laissera personne dérogé. Au final, les producteurs ont vraiment aimé le produit final, gros câlins, poignées de main enthousiastes. Bref tout le monde croyait maintenant en ce film. »

Jean-François Bergeron, monteur de la majorité des films d’Érik Canuel

Érik et ses amis réalisateurs – Éric Tessier

Éric Tessier (au centre) en compagnie Frederick d’Amours (à gauche) et Sylvain Demers (à droite)

« Ma relation avec Erik en était une de respect et d’amitié, et de fraternité entre « faiseurs de films ». Lorsqu’on se rencontrait, c’était toujours ultra chaleureux, sans barrières, sans condescendance aucune et avec un immense respect.  Pour moi, Éric était un réalisateur que je respectais et qui m’inspirait. Et cela pour le simple fait qu’il évoluait avec brio dans le cinéma de genre qui est, comme tu le sais, souvent regardé de haut, voire dénigré par plusieurs. Le voir foncer, envers et contre tous, sans complexe, et qu’il y trouve sa place, juste cela, c’était pour moi super inspirant. Et il était généreux. Il répondait aux messages et aux appels sur le champ! Je me souviens d’un long lunch alors que j’avais sollicité son avis sur les manières à prendre pour se faire entendre, pour progresser et trouver son chemin dans le métier, et il m’avait dit qu’il ne fallait pas hésiter à « faire du bruit » et à déranger si nécessaire. Et c’est tellement vrai.

Qu’il soit parti si tôt, c’est une perte immense pour notre cinéma. Mais qu’il ait été parmi nous, c’est une chance extraordinaire, d’abord pour l’être sensible et généreux qu’il était, mais aussi pour le formidable apport d’énergie, de passion, de diversité et de création décomplexée qu’il a donné à notre cinématographie.  Il nous manquera, assurément. Il me manque déjà. »

Éric Tessier, réalisateur et scénariste.

Érik et le festival Fantasia – Marc Lamothe 

Dernière apparition publique d’Érik Canuel l’été 2023 à Fantasia, avec Marc Lamothe

Érik a toujours été un grand admirateur de Fantasia, son festival favori. À preuve, il a été président du jury international en 2005 et président d’honneur en 2007 et 2008.  En 2006, il devait lancer BON COP BAD COP à la Place des Arts lors d’une grande première médiatique, mais voilà, Érik tenait à le présenter à ce qu’il considérait « le meilleur public au monde ». Quand Christian Larouche, le producteur du film, lui dit qu’il s’oppose à la projection du film en avant-première à Fantasia, sa réponse fut celle-ci: « M’en câlisse ». Il nous confirma tout de même la toute première projection publique de son film.  Si la Place des Arts avait sa première mondiale, Fantasia a pu présenter le film en avant-première dans le cadre d’une projection spéciale.  Plus de 800 personnes étaient présents et l’enthousiasme et l’énergie étaient si fort que j’ai cru que le toit du Théâtre Hall allait s’écrouler sur nous. Patrick Huard, visiblement surpris et ébranlé par la réaction du public m’a dit après la projection : « Ça devrait toujours être comme ça aller aux vues! ». Pour moi, c’est ça Érik Canuel, un ami fidèle prêt à tout pour défendre ses projets et appuyer ses amis. Et Érik avait de nombreux amis, signe de sa candeur et de sa grandeur de cœur.

Marc Lamothe, directeur des alliances stratégique, programmateur au festival Fantasia et curateur du prix Denis-Héroux.

Les derniers mots d’Érik Canuel – Francois Lambert

« Le samedi 15 juin, jour de son décès, Julie Castan, sa conjointe, m’appelle en me disant que si je voulais lui dire un dernier salut, le timing semblait bon. Alors, j’ai littéralement flyé à l’hosto, aux soins palliatifs où il y était depuis la veille. Quand je suis entré dans sa chambre, Julie m’y attendait avec Nathalie Brunet, son agente. Julie me dit: « Tu peux t’asseoir près du lit et lui prendre la main », il y a une chaise juste là. Je m’exécute. Je portais un masque, protocole oblige. Il dormait bien dur. Au bout d’un moment, il se met à se gratter et me lâche la main. Ses yeux papillonnaient et il finit par les ouvrir et il me voit. Un faible sourire apparaît sur son visage et il me tend les 2 mains en disant: Gueuxy boy!  Gueux était mon surnom, car Érik trouvait que j’avais une tête de gueux. Je baisse mon masque pour qu’il me voie clairement, je souriais de mon plus beau sourire bien entendu. Et il retourne doucement dans les bras de Morphée. J’étais tellement touché par ce geste et le fait qu’il me reconnaisse.

Deux heures plus tard, sa fille Élodie est arrivée. Il bouge faiblement et ouvre ses yeux à nouveau. Il me regarde et je baisse à nouveau mon masque et lui souris. J’entends à peine de ce qu’il me dit: « Oh yeah, come on! » C’était dit faiblement que je rigole un peu et lui demande: « As-tu bien dis Oh yeah come on !???» et il me sourit en opinant du bonnet. J’ai éclaté de rire! Sacré Son Ca, il m’aura fait rire jusqu’au dernier moment. Une heure plus tard, il poussait son dernier souffle.  Ça m’émeut terriblement et me fait sourire en même temps quand je relate ces derniers moments. Je me suis senti tellement privilégié et même, honoré d’avoir pu être là pour mon vieux pote. »

Francois Lambert, acteur, musicien et ami longue date.

 

Les photos de la réception-hommage à Érik Canuel : ©CTVM.info par Vincent Fréchette.

 

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