Une entrevue avec Claire Legendre, réalisatrice de Bermudes(Nord)

« Le cinéma c’est un médium qui fait partie de ma culture, encore plus que la littérature »

Une entrevue avec Claire Legendre, par Charles-Henri Ramond

Dans Bermudes (Nord), son premier long métrage, la romancière Claire Legendre nous emmène sur l’île d’Anticosti faire la connaissance de quelques insulaires qui ont fait le choix de quitter leur vie citadine pour s’installer loin de tout, selon un mode de vie qui leur correspond mieux. Documentaire d’une grande beauté formelle, Bermudes (Nord) a été tourné au printemps 2017, grâce au soutien financier du Fonds de recherche du Québec Société Culture.

Le film prend l’affiche le 31 mai  2019 à la Cinémathèque québécoise.

Rencontre avec la réalisatrice, qui est également professeure de création littéraire à l’Université de Montréal.

 

Qu’est-ce qui t’a attirée dans ce lieu et pourquoi l’avoir traité en cinéma et non en littérature ?

Le lieu, c’est vraiment une attirance pour la mer, pour les îles… Je travaille sur un roman qui s’appelle Bermudes depuis longtemps… Je ne suis pas allé écrire sous les îles, mais des gens m’avaient conseillé d’aller faire un tour à Anticosti. Donc, j’y suis allée, seule, avec mon sac à dos, en 2014. À l’origine, j’étais partie avec mes appareils photo et mon ordinateur avec comme projet d’écrire un livre. J’ai toujours eu une relation particulière avec le cinéma. J’ai étudié le cinéma au lycée, j’ai réalisé quelques courts métrages quand j’étais ado… Sur place, je me suis rendue compte que je ne pouvais pas faire vivre dans un livre la beauté des personnages, des paysages. Même mes photos ne rendaient pas grand-chose de la splendeur des paysages, surtout en cette saison de l’année, c’est- à-dire avril et mai. Le Saint-Laurent glacé c’est juste magique pour moi qui suis niçoise… J’ai donc décidé de revenir avec une caméra et une toute petite équipe de trois personnes pour tourner exactement à la même période que mon premier voyage.

Est-ce qu’il y a un lien entre tes romans et ce film. Une quête personnelle ?

Oui, bien sûr. Il y aura le roman qui s’appellera Bermudes… il faut juste que j’arrive à le terminer. Il y aura aussi un spectacle avec une compagnie montréalaise. En 2020. J’ai tendance à aller de plus en plus vers des récits autobiographiques ou autoficitonnels, même si au départ je suis vraiment une romancière. Ce film c’est l’occasion pour moi de réunir ce qui m’intéresse dans le réel en art: l’autobiographie et le documentaire. Parler de soi et parler des autres et finalement la rencontre de ces deux choses-là, c’est le réel. C’est d’ailleurs plus un film qu’un documentaire. Il y a une histoire, un récit, c’est très subjectif, et ça, j’y tiens beaucoup. C’est une enquête sur les autres.

Est-ce que dans cette enquête tu as trouvé des similarités entre leurs parcours et le tien ?

Évidemment. Quand je vois le film, j’ai vraiment l’impression de voir un autoportrait (rires)… mais tout ça s’est construit petit à petit, au montage, principalement. Les gens rencontrés sur l’île sont tous très différents les uns des autres, mais ont des parcours identiques. Du moins ceux qui sont dans le film. Ce sont des gens qui ont migré sur Anticosti. Il y avait une cohérence dans leur parcours d’immigré. Des gens qui décident aujourd’hui d’aller vivre sur une île déserte ou presque, c’est incroyable, un geste complètement à contre-courant! Ce sont des gens qui ont eu une vie avant et qui reconstruisent une vie ailleurs là où ils sont. Et là, forcément, je me reconnais.

La production d’un film n’a rien à voir avec l’écriture d’un roman. Comment as-tu vécu cette première expérience de cinéma ?

C’est génial de ne pas être seule parce que la solitude dans l’écriture c’est difficile… et en même temps, c’est compliqué de ne pas être seule, parce que je n’ai pas l’habitude. Pendant trois semaines, je me suis retrouvé à vivre au quotidien avec trois garçons qui attendaient que je leur dise quoi faire le matin, pendant trois semaines (rires). Je crois que c’est surtout pendant la postproduction que j’ai adoré ne pas être seule… maintenant, quand je suis en train d’écrire, j’ai envie d’appeler ma monteuse [Natalie Lamoureux, NDLR] pour lui demander quoi faire (rires). J’ai adoré écouter ces gens, soutenir leurs regards pendant qu’ils me racontaient leurs histoires, souvent très fortes… Quand ils ont compris qu’on n’était pas là pour leur demander de parler de forage, ils nous ont fait confiance. Ils étaient contents qu’on s’intéresse à eux. Je leur suis vraiment très reconnaissante qu’ils nous aient permis de rentrer dans leur intimité. Même si tout n’a pas été facile pour eux.

Je me souviens de ce moment passé avec Marie, la mère de famille qui nous raconte une histoire douloureuse, les techniciens du film sont sortis à ce moment. Je suis restée seule avec elle, avec une caméra sur pieds, un micro sur pieds, on a passé une heure et demie en tête à tête. C’était très fort. Quand je revois le film, je les remercie de leur grande générosité.

Entrevue réalisée par Charles-Henri Ramond, à Montréal, le 27 mai 2019.

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