Une entrevue de Marc Lamothe avec Patrice Sauvé, réalisateur de La petite et le vieux, en ouverture du FCVQ 2024
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« Cette grande première en ouverture du FCVQ vient boucler la boucle avec un film tourné en partie à Québec, avec une jeune comédienne de Québec qui sera célébrée dans son propre environnement », nous confie Patrice Sauvé, le réalisateur de LA PETITE ET LE VIEUX
Une entrevue de Marc Lamothe
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En 1981 à Québec, la jeune Hélène qui souhaite plutôt se faire appeler Jo, 10 ans, se donne comme mission de sauver son père, trop occupé à être malheureux. Mais son voisin d’en face, Roger, un vieux mal commode, lui fera voir un univers bien différent. Voici la prémisse de base du film La Petite et le Vieux réalisé par Patrice Sauvé. Alors que son film fera sa grande première en ouverture du FCVQ ce mercredi 11 septembre, nous avons voulu parler du film avec son réalisateur.
CTVM.info — Comment êtes-vous tombé sur ce sujet, à travers le livre de Marie-Renée Lavoie ou le scénario de Sébastien Girard ?
Patrice Sauvé — C’est vraiment à travers le scénario de Sébastien Girard, que je connais depuis longtemps, notamment parce que nous avons le même agent. Sébastien porte cette histoire depuis au moins huit ans. Le premier projet avait avorté, il a lui-même récupéré les droits du roman et il a trouvé une boîte à Québec qui désirait produire ce film; il a ainsi pu en continuer le développement. On m’a alors approché, et quand j’ai lu le scénario, j’ai tout de suite su que c’était un projet pour moi. Un scénario qui a un grand cœur et qui rejoint ma sensibilité et mon idée de ce que le cinéma doit faire, c’est-à-dire communiquer aux gens et les confronter positivement face à un sujet. Nous avons travaillé ensemble sur une nouvelle mouture du scénario tout en impliquant Marie-Renée, l’auteure du livre, car cette histoire c’est son enfant et une adaptation romancée de sa propre enfance. D’ailleurs, elle est souvent venue sur le plateau et nous avons eu une belle relation tous ensemble.
CTVM.info — Trois de tes dernières séries télévisées La Faille, Le Monstre et Victor Lessard donnaient dans un ton plus lourd et encré dans le cinéma de genre. Ici, tu adaptes une œuvre plus lumineuse et tu choisis d’ailleurs une direction photo, disons étincelante ? Parle-nous un peu de la mise en scène et de ta collaboration avec François Gamache, ton directeur photo ? François Gamache qui est un gars de Québec d’ailleurs et qu’on avait remarqué avec Farador, Feuilles mortes et Le club Vinland.
Patrice Sauvé — Écoute, ce fut une rencontre extraordinaire. François reste encore l’un des trésors les mieux gardés de l’industrie, probablement parce qu’il habite toujours Québec. À la base, je voulais travailler avec Steve Laflamme avec qui j’ai collaboré sur La Faille, mais ce dernier était déjà engagé avec 1995 de Ricardo Trogi, et c’est Steve qui m’a dit « tu dois rencontrer François qui est un être exceptionnel ». Non seulement il possède un immense bagage technique, c’est aussi un directeur photo qui ne cherche pas nécessairement la composition d’image, mais qui s’intéresse plutôt au sens narratif de l’image et de sa cohérence avec l’ensemble du film.
Ainsi, on s’est mis à l’échelle de l’héroïne du film, une enfant de 8 ans. La caméra était plus basse qu’à l’accoutumée. Il était naturellement essentiel pour nous de dépeindre le monde ouvrier et d’exposer la dureté de ce monde, l’alcoolisme qui le baigne, et aussi la mélancolie et la maladie mentale, mais l’image de cet univers passe par le regard d’une enfant qui ne voit pas la misère, qui voit son monde, son enfance avec la naïveté de son âge. Jo cherche un chemin de lumière et il était important de lui offrir à l’écran cette avenue.
Nous voulions la montrer un peu comme Ulysse dans son Odyssée qui découvre le monde à travers certains périples. Son monde est coloré et vivant, tout en étant confrontant. Contrairement à Léolo de Jean-Claude Lauzon, elle n’utilise pas son imaginaire pour fuir une réalité, elle l’utilise pour transformer son univers et y faire pénétrer la lumière.
CTVM.info — Le choix de l’époque, 1981, a-t-il été un défi de plus à mettre en scène ?
Patrice Sauvé — C’est toujours une question où toute décision implique des coûts, mais je dirais que chaque époque est un défi en soi. Même filmer le présent est un défi, car le présent est un peu invisible, il faut y réfléchir pour le rendre compréhensif à l’écran. Mais l’univers de Jo est campé dans une époque qui appartient à un autre temps, où passer les journaux, permettre à un enfant d’aller à plus de 200 mètres de la maison et écouter la télévision en direct s’inscrivaient dans la dure réalité de l’époque. Il fallait en soi respecter l’univers du livre et la singularité qui en découle. C’est certain qu’au niveau de la syntaxe, ça implique des champs de vision restreints pour cacher la modernité réelle des lieux.
CTVM.info — Il y a quelque chose de rétro et un peu atemporel dans le film, à part bien entendu la série télé japonaise et les choix musicaux (québécois, il faut le dire) ? Il y a comme un air des années 70 dans le choix des autos et des accessoires. Quelle en était l’intention ?
Patrice Sauvé — Heureux que tu aie remarqué cela. J’ai toujours trouvé qu’on faisait une erreur en tentant de trop meubler un film historique de son année, de ses modes et ses accessoires. On parle ici d’un milieu ouvrier, donc des gens qui en arrachent et qui ne peuvent se payer les voitures ou les frigos de l’année. Par exemple, le réfrigérateur dans la cuisine où habite notre héroïne date de 1974. Notre directrice artistique a beaucoup réfléchi et travaillé en ce sens. L’appartement principal a été créé de toute pièce par nous avec cette idée en tête. Ces gens-là ne vivent pas avec le dernier cri et les dernières modes. Ils achètent des trucs usagés et vivent dans des appartements dont les murs ont été peints huit fois sans jamais être décapés.
CTVM.info — Une des forces du film est son casting ? Parle-nous du casting et du travail avec Juliette Bharucha ?
Patrice Sauvé — Le choix était primordial, car l’actrice principale est systématiquement dans toutes les scènes. Cela a donc été un long processus et nous avons avancé prudemment. Nous avons évidemment commencé par les agences de talents, mais nous avons gardé nos antennes grandes ouvertes. Pas nécessairement un casting sauvage, mais un casting ouvert. Nous cherchions tant à Montréal qu’à Québec.
Dieu merci, j’ai travaillé avec Nathalie Boutrie que je connais depuis plus de 35 ans, elle était déjà impliquée à l’époque de Grande Ourse. Juliette n’a aucune expérience professionnelle, mais elle suivait des cours de théâtre et son professeur lui a conseillé de venir passer une audition. On a tout de suite eu des atomes crochus, ce qui est important, car nous allions travailler 30 jours ensemble. Elle allait devenir une compagne de travail sur un long laps de temps. J’ai été tout de suite touché par l’intelligence de son regard et son ouverture. Nous avons fait des tests, et nous sommes passés de 10 à 5 à 2 enfants. Pour les deux derniers, j’ai demandé à Gildor de faire des répliques avec les jeunes, de même qu’avec deux ou trois autres comédiennes et notre choix s’est finalement arrêté sur elle.
Cela a été un gros risque de prendre une comédienne sans expérience, mais au final, ça s’est avéré une expérience de tournage magique. C’est très satisfaisant pour un réalisateur d’amener ainsi une enfant à jouer devant la caméra et porter le film sur ces épaules.
CTVM.info — Parle-nous du casting de Gildor Roy qui campe ici son meilleur rôle au cinéma depuis Requiem pour un beau sans-cœur ?
Patrice Sauvé — En lisant le scénario, je n’avais personne en particulier en tête. Puis un jour, alors que je me promenais en auto, j’entends une entrevue de Paul Arcand et Gildor Roy durant laquelle il raconte qu’il prend une pause du tournage de District 31 et qu’il voit au loin, derrière une clôture, un homme qui le regarde attentivement. Gildor s’approche de l’homme qui tient dans une main une petite voiture de police. Au même moment, une automobile arrive et le père de l’homme débarque et explique que son garçon est un homme de 4 ans, prisonnier dans le corps d’un homme de 40 ans et que District 31 est son émission favorite. Gildor ouvre la guérite et fait visiter le plateau de tournage aux deux hommes.
Arrivé dans le décor du bureau du commandant Chiasson, Gildor propose à l’homme de prendre sa voiture et de la déposer sur la bibliothèque derrière son bureau et lui dit : « La semaine prochaine, quand tu verras ta voiture derrière moi, tu te souviendras de ta visite sur le plateau et que nous sommes maintenant des amis ». Écoute, j’en ai eu les larmes aux yeux et j’ai tout de suite su qu’il était notre Roger dans le film. C’est cette grandeur d’âme et de cœur que je recherchais sans le savoir exactement. Je lui ai envoyé le scénario et en moins de 24 heures, je recevais un texto me disant simplement, « Je suis ton homme ».
CTVM.info — Dans le roman, la fillette regarde Lady Oscar, série télévisée japonaise culte ici au Québec, alors que dans votre film, elle suit les péripéties de Joséphine la petite mousquetaire ? Est-ce une question de droits ou un choix délibéré ?
Patrice Sauvé — Bonne question. D’une part, il était en effet très difficile d’obtenir les droits de la série Lady Oscar, mais c’était aussi une embûche, car lady Oscar, une femme travestie membre de la Garde royale de Marie-Antoinette est blonde avec les yeux foncés alors que notre actrice a les cheveux noirs et les yeux bleus. Au final, nous avons créé un personnage fictif qui collait davantage à notre comédienne, une jeune mousquetaire avec des airs de garçon manqué.
CTVM.info — La solitude des personnages est un facteur important dans tes longs métrages, Cheech, Ça sent la coupe et même Marc Messier dans Grande Ourse, la clé des possibles. Quelle place occupe La Petite et le Vieux dans ta filmographie ?
Patrice Sauvé — En effet, Biron dans Grande Ourse devient un héros avec l’aide de certains personnages et Max Lamontagne, le personnage joué par Louis-José Houde, cherche de l’aide sans trop savoir à qui demander. Le personnage de Jo dans mon dernier film reçoit de l’aide de divers personnages de son entourage. Ce sont des personnages en apparence solitaires, mais qui s’en sortent avec l’aide d’autrui. C’est aussi un grand hasard, car j’ai eu la chance qu’on me propose de beaux projets sans qu’il y ait nécessairement un thème unificateur.
CTVM.info — La Petite et le Vieux sera le film d’ouverture du FCVQ. Comment penses-tu que le public va réagir ?
Patrice Sauvé — Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais tellement content. Écoute, ça vient comme boucler la boucle avec un film en partie tourné à Québec, avec une jeune comédienne de Québec qui sera célébrée dans son propre environnement, idem pour François Gamache. C’est une ville qui me fascine et qui est un miroir incroyable pour raconter des histoires. L’accueil sera pour moi comme un grand cadeau à toute l’équipe. Tout ça est comme un petit clin d’œil complice du destin, un peu comme la fin heureuse de mon film finalement.
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