Une entrevue de Marc Lamothe avec Annick Blanc, réalisatrice de JOUR DE CHASSE
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Diplômée de Concordia, Annick Blanc parle de son parcours cinématographique de productrice et de réalisatrice qui l’a amenée à son premier long métrage, JOUR DE CHASSE, présenté en première canadienne à Fantasia
Une entrevue de Marc Lamothe avec des photos du plateau de tournage
Annick Blanc est une réalisatrice, scénariste et productrice. Elle a produit et réalisé de nombreux courts-métrages, dont AU MILIEU DE NULLE PART AILLEURS (2010), qui a raflé de nombreux prix à l’international. Elle a également produit une douzaine de courts-métrages ayant eu du succès ici et à l’étranger, notamment TOUT SIMPLEMENT (2016) de Raphaël Ouellet, SURVEILLANT (2011) de Yan Giroux et ACROBAT (2012) d’Eduardo Menz (Locarno). Son premier long métrage, JOUR DE CHASSE, aura sa première canadienne au festival Fantasia ce jeudi 1er août, avant de prendre l’affiche en salle le 16 août prochain.
Rappelons que JOUR DE CHASSE a été présenté en première mondiale à la mi-mars au festival South by Southwest (SXSW) à Austin (Texas), dans la section «Midnighter» qui présente des films effrayants, sexys, drôles et provocateurs.
CTVM.info — Vous avez écrit, produit et réalisé plusieurs productions depuis 2010? Quel est le thème unificateur de tous ces films, s’il y en est un?
Annick Blanc — Les films que j’ai réalisés ont en commun de jouer avec le mélange de genre, le mystère et l’onirisme. Dans la vie comme au cinéma, j’ai peu d’intérêt pour l’uniformité et les moments beiges. J’aime rêver, être bouleversée et dérangée. Je suis une fan d’hypnose et je débloque parfois mes scénarios en rêvant (surtout quand j’ai une bonne fièvre). Le domaine des rêves et du subconscient est ainsi très important pour moi et ça se reflète dans mes œuvres. Ceci me donne également l’occasion d’explorer avec la forme visuelle et sonore. Je trouve que le 7e art est fait pour parler par l’image et le son, plus que par les mots. Et je crois que lorsqu’on arrive à faire ressentir les émotions et le propos au spectateur par le traitement cinématographique et non uniquement par le scénario, l’expérience est plus immersive et donc plus profonde et plus riche.
CTVM.info — Vous aviez produit de nombreux courts avant de passer à la caméra? Avez-vous toujours su que vous vous consacreriez un jour à la mise en scène?
Annick Blanc — Ma passion a commencé par la scénarisation et la réalisation. J’ai commencé par produire mes propres courts-métrages à la sortie de l’université Concordia dès 2010 avant de commencer à produire ceux des autres. Ce faisant, j’ai découvert une passion tout aussi grande pour le métier de producteur. C’est très riche d’accompagner un auteur de si près sur les plans humain et créatif et de l’aider à atteindre sa vision.
CTVM.info — JOUR DE CHASSE est un sujet particulier. Parlez-nous de la genèse de ce projet. D’où est venue cette idée d’une femme dans un microcosme masculin?
Annick Blanc — Comme cela arrive souvent, lorsqu’on ne se sent pas prête à parler de quelque chose de très personnel comme scénariste, je me suis longtemps cachée derrière un autre sujet. À l’origine, je voulais revisiter des relations toxiques que j’ai vécues et parler des effets de la manipulation, du « gaslighting », mais je ne me sentais pas prête. J’ai alors décidé de m’accrocher à un thème extérieur à moi en construisant la trame autour d’une fable, une métaphore, sur notre tendance comme société à couler dans l’inertie, à continuer la fête perpétuelle alors que le monde brûle autour de nous. Et il est certain que cette allusion est présente et mène la trame de JOUR DE CHASSE. Mais au fil des entrevues et des Q&A, je vois bien que ce qui ressort le plus pour les spectateurs c’est le sujet de la masculinité toxique. Donc ce thème originel s’est malgré moi immiscé dans le film, et l’habite même. Je trouve fascinant le rôle du subconscient dans la création d’une œuvre, qui est parfois plus fort que le désir du scénariste.
CTVM.info — Combien d’années s’échelonnent entre les premiers balbutiements du scénario et la fin du montage? Diriez-vous que le film est resté fidèle à son essence ou qu’il a évolué au fil des ans et des réécritures?
Annick Blanc — Il s’est passé 10 ans depuis la première subvention en écriture! Bien sûr, ça n’a pas été 10 ans à temps plein. Des courts-métrages, des projets alimentaires (et oui, il faut manger!), les défis du financement, une pandémie suivie d’un bébé sont venus se glisser dans les pattes de ce projet. Ce qui est fascinant, c’est que je ne m’en suis jamais lassée. Je dirais que je suis restée très proche du sujet d’origine; et même si j’ai essayé de l’abandonner à un certain moment, il est revenu au galop, sans même que je m’en rende compte. Ceci dit, la trame a beaucoup évolué et s’est ancrée mi-parcours. La prémisse était complètement autre au départ. Je crois que ces changements, et les défis grandissants m’ont permis d’alimenter la flamme tout au long de ces années.
CTVM.info — Parlez-nous un peu du casting de Nahéma Ricci que l’on avait vu notamment dans ANTIGONE? Le rôle a-t-il été écrit pour elle ou vous l’avez découverte en audition?
Annick Blanc — Ça paraît absurde aujourd’hui, tant le rôle semble écrit pour elle, mais Nahéma nous a été proposée à trois reprises en réponse à notre casting call, et nous avons refusé à chaque fois de la voir. J’imaginais une Nina légère, sensuelle et plantureuse. J’avais justement encore la vision en tête de Nahéma « tom boy » dans Antigone, très dramatique, je ne pouvais pas l’imaginer dans ce rôle. Mais je ne trouvais pas la comédienne avec la force et la rage que je cherchais. À un moment, je me suis dit : bon, depuis le début on refuse de voir Nahéma… et si pourtant! J’ai donc appelé une amie commune qui m’a dit que Nahéma en était complètement capable, mais surtout qu’elle rêvait de jouer ce type de rôle de femme forte et affirmée. On comprendra que lors de l’audition, ça a été une révélation de la voir arrivée vêtue pour le rôle, avec ses longs cheveux, mais surtout d’arriver à incarner si parfaitement ce personnage.
CTVM.info — Parlez-nous un peu du casting des hommes. Marc Beaupré, Maxime Genois, Alexandre Landry, Bruno Marcil et Noubi Ndiaye.
Annick Blanc — Le casting de Bruno a été une évidence. Un ami m’avait déjà dit en lisant le scénario : c’est Bruno Marcil ton Bernard. Et lorsque nous avons fait l’audition, ça s’est rapidement confirmé.
J’ai été assez touchée par Alexandre Landry qui a demandé à me rencontrer dès qu’il a lu le scénario avant même que démarre le processus d’audition. Il voulait absolument le rôle : tout l’appelait chez lui, il s’y retrouvait. Puis ça s’est confirmé en audition : il était le seul capable de livrer un LP à la fois si candide, égocentrique et attachant. C’était un mélange dur à obtenir. Il est également aussi fort dans la force, la confiance en soi et la fragilité. Ce qui est très rare.
Pour Marc Beaupré ça a été un parcours assez surprenant. Nous l’avons d’abord fait venir pour le personnage de Bernard, puis de Kevin. Pendant cette deuxième audition, ma directrice de casting Marjolaine Lachance et moi avons eu exactement la même idée au même moment : on s’est confiées en chuchotant : zut, c’est Philippe! Marjolaine m’a confié qu’elle n’oserait pas le faire venir une troisième fois! Et m’a demandé de me débrouiller pour confirmer notre impression durant cette audition. J’ai donc, sans l’en aviser, dirigé Marc pour jouer cette scène écrite pour le doux et candide Kevin, à la manière du cinglant et vif Philippe. La scène n’était pas du tout écrite pour ça, et pourtant Marc s’est prêté au jeu avec brio, c’était complètement en contre ton du texte, mais dans le mille. C’était sûr : il était Philippe.
Pour le personnage qu’incarne Noubi Ndiaye, nous cherchions un non professionnel et procédions tout d’abord par self-tape. C’est Maria, ma productrice, qui a trouvé Noubi sur Instagram et lui a envoyé le ‘casting call’. Lorsque nous avons vu la vidéo de Noubi, à la seconde où il est apparu à l’image c’était clair pour tout le monde que c’était lui. Le choc a été encore plus grand en personne pour l’audition : j’ai littéralement eu l’impression de voir le personnage qui vivait dans ma tête depuis 10 ans entrer dans la pièce. Noubi a un naturel et une profondeur désarmante et c’est une personne unique. C’était exactement ce qu’il me fallait pour ce rôle particulier qui s’exprime dans une langue qu’on ne comprend pas et qui doit surtout vivre par sa présence.
CTVM.info : Les personnages de Jour de Chasse sont-ils restés fidèles à votre écriture initiale ou ont-ils évolué au gré du tournage ?
Annick Blanc : Les personnages sont restés très proches de l’écriture originale. J’ai eu la chance de trouver des interprètes qui correspondaient parfaitement à ce que j’avais imaginé. Bien sûr, les comédiens ont ajouté une profondeur et une richesse supplémentaires à leurs rôles, mais ils ont suivi la direction que j’avais en tête. Leur apport a été précieux pour pousser les personnages encore plus loin dans cette direction.
CTVM.info : Sur le plateau, avez-vous dirigé les hommes différemment des femmes, ou avez-vous utilisé diverses techniques de mise en scène selon la nature du film ?
Annick Blanc : Chaque acteur a sa propre manière de travailler, donc mon approche s’adapte à chacun plutôt qu’à leur genre. Certains ont besoin de références ou de back story détaillés, tandis que d’autres préfèrent des indications plus concrètes. Ce qui était particulièrement difficile avec Jour de Chasse, c’est que je demandais aux acteurs de jouer des scènes très réalistes mais souvent absurdes ou contre-intuitives. Ils devaient faire un effort énorme pour croire en la situation et l’action. Nahéma, en particulier, a eu un tournage éprouvant en tant que seule femme entourée d’hommes. Une scène, où son personnage est encerclé par des hommes et doit rester forte malgré une situation menaçante, a été particulièrement difficile. Elle a dû lutter contre son instinct pour rester calme, ce qui a été épuisant mais elle a réussi avec brio, rendant le résultat totalement convaincant.
CTVM.info : Vous avez coproduit Jour de Chasse avec Maria Gracia Turgeon. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration et de la division des responsabilités ?
Annick Blanc : Maria et moi travaillons ensemble depuis presque dix ans et nous nous décrivons souvent comme un « monstre à deux têtes ». Nous nous complétons parfaitement et échangeons nos idées avec une grande fluidité. Notre collaboration a commencé lors d’un « blind date » professionnel organisé par une amie commune, et ce fut un véritable coup de foudre professionnel. En tant que réalisatrice, j’ai trouvé en Maria une productrice créative exceptionnelle. Nos échanges sont rapides et efficaces ; souvent, il me suffit de lui résumer une idée pour que nous puissions avancer rapidement.
CTVM.info : Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre sélection au festival international de films Fantasia ? Connaissiez-vous ce festival ?
Annick Blanc : Fantasia était le festival montréalais que je visais pour la première de mon premier long-métrage, surtout étant donné qu’il s’agit d’un film de genre. Fantasia a joué un rôle important dans le développement de mon identité cinématographique. Dès mon adolescence, mon frère et ma sœur m’ont initiée à ce festival. Nous enchaînions les films et rentrions à pied depuis l’Impérial jusqu’à Côte-des-Neiges avec une pizza à 99 sous, discutant des films et de l’énergie de la salle. C’est un souvenir précieux de cinéma en famille, donc c’est très symbolique pour moi de présenter mon premier long-métrage là-bas.
CTVM.info : Quels sujets vous intéressent pour vos prochaines productions ?
Annick Blanc : J’ai plusieurs projets en cours : un film pour enfants avec des sorcières, un long-métrage de science-fiction sur une autre planète, et un thriller d’horreur mettant en scène des jeunes ballerines, inspiré d’un fait réel. Bien que ces projets soient très variés en termes de ton, ils partagent tous un élément fantastique et des personnages féminins forts.
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