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Zoé Protat directrice de la programmation de la 53e édition du FNC en entrevue avec Marc Lamothe

Publié le 12 octobre, 2024
Publié le 12 octobre, 2024

Zoé Protat – directrice de la programmation de la 53e édition du Festival du nouveau cinéma (FNC) 

Une entrevue de Marc Lamothe pour CTVM.info

 

Critique de cinéma depuis sa maîtrise à l’Université de Montréal, la directrice de la programmation du Festival du nouveau cinéma (FNC), Zoé Protat, a aussi travaillé à la radio. Elle a également produit pas mal de balados. À l’occasion de la 53e édition du FNC, nous avons voulu parler cinéma, programmation et de l’importance des festivals de films dans cette ère post-Covid.

 

 

CTVM.info — Comme vous êtes la plus rock and roll des programmatrices de films au Canada, nous aimerions savoir si vous êtes plus près des Beatles ou des Rolling Stones?

Zoé Protat — En fait, ni l’un, ni l’autre. (rires) Je suis plus près du groupe The Kinks. J’aime leur coté glam, leur tendances théâtrales. J’apprécie leur approche, leur identité résolument anglaise et le coté cabaret d’une partie de leur discographie. Je suis touchée par leur écriture raffinée, leur humour, leur approche un peu intello et leurs tenues vestimentaires. 

 

 

Vous souvenez-vous du tout premier film que vous avez vu?

Zoé Protat — Le cinéma a toujours fait partie de ma vie. Je ne me souviens pas de mon premier film en salle, mais je me souviens que mon premier film marquant avait été Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau que j’ai dû revoir des douzaines de fois. Je pleure à chaque visionnement. On parle ici d’un film qui fait encore partie de ma vie.  C’est à mon sens la plus belle histoire d’amour de l’univers. Je suis dans la découverte et le partage d’œuvres qui me tiennent à cœur. Faire connaitre des œuvres et des artistes au public. 

Vous qui êtes pratiquement enfant de la balle, avez-vous déjà envisagé un autre domaine d’activité que le cinéma?

Zoé Protat — Je n’ai jamais considéré le cinéma comme un métier. J’ai n’ai jamais voulu travailler sur des plateaux, je n’ai jamais souhaité tourner ou écrire un film. Si le cinéma s’est imposé très tôt chez moi, c’est clair qu’il s’agit d’une approche d’historienne et de théoricienne. J’ai aussi œuvré à la radio et dans l’événementiel, donc par la bande les festivals et la programmation en festivals sont entrés dans ma vie. Le podcast est un média que j’adore pour parler cinéma. 

 

 

Pourquoi aimez-vous tant les cinémas de l’Est? Parlez-nous un peu de cet amour.

Zoé Protat — Tout d’abord, je suis très sensible à leur humour. L’humour tchèque et polonais me rejoigne directement. Un humour parfois noir, parfois dry, parfois pince sans rire et très souvent absurde. Ainsi, les comédies de l’Europe de l’Est sont celles qui me font le plus rire. Cet humour est souvent basé sur des réalités historiques ou sociologiques. Ils ont cette capacité d’aborder des thèmes graves et profonds, mais avec une dérision remarquable. Quand on parle des grandes époques de cinéma tchécoslovaque ou soviétique ou polonais des année 60 et 70, l’humour était nécessaire pour aborder l’histoire et établi cette discussion entre l’histoire, le cinéma, le passé et le présent. J’aime qu’on y utilise l’histoire contemporaine pour réfléchir sur le passé ou vice versa, partir du passé pour commenter le présent. 

Si vous pouviez passer une soirée à discuter avec un personnage d’un de vos films favoris, qui choisiriez-vous?

Zoé Protat — Ohhh, je n’y ai jamais pensé je t’avoue.  Un réalisateur, ça aurait été facile mais un personnage d’un film fétiche… hummm (valse-hésitation). Clairement mon obsession de l’entre deux guerres mondiales me guide vers Cabaret de Bob Fosse, donc à Berlin en 1939. Passer une soirée avec Sally Bowles au Kit Kat Klub. C’est aussi un choix pratique, car vivre l’entre deux guerres impliquent de subir la première et la deuxième guerre mondiale. Mon choix d’y passer une seule soirée est donc tout à mon avantage car je n’ai ainsi accès qu’au meilleur de cette période.

Vous êtes à la fois programmatrice et critique de films. Voyez-vous une différence entre ces deux métiers?

Zoé Protat — J’y vois deux métiers qui comportent en effet un espace de contamination. Mais en même temps, la visée est différente. La programmation, c’est une question d’ensemble, un ensemble de programmateurs et un lot de films qui se complètent ou qui forment un tout réfléchi. Il faut garder en tête l’effet que nous souhaitons créer avec nos choix et nous devons garder le public en tête. Après le résultat peut baigner dans une certaine cohérence, ou au contraire créer des ruptures ou des dysfonctions et ça peut être animé par autre chose que les œuvres elle mêmes, en l’occurrence un souci de représentation, une volonté de représenter un plus grand nombre de pays, plusieurs territoires, plusieurs genres et plusieurs voix. On peut chercher des films qui se répondent ou au contraire, des films hétéroclites qui témoignent d’une diversité.

 

 

Comme j’oeuvre pour des magazines de cinéma et des podcast spécialisés, le travail de critique est plutôt à mes yeux de s’attaquer à un seul film et de le regarder en profondeur.  J’ai la chance de pouvoir choisir les films sur lesquels je décide de me pencher dans un contexte très très libre. Je n’ai jamais eu à couvrir l’actualité filmique. Si mes critiques sont notamment guidés par mes coups de cœur, mon travail en programmation doit plutôt tenir compte de nos publics et non pas la simple diffusion de mes préférences. En programmation, il faut savoir mettre ses coups de cœur de côté et plaire à un public cible.

 

Quelle est la place des festivals de cinéma à l’ère post Covid et à l’heure des changements de paradigmes entre la diffusion en ligne versus présentielle?

Zoé Protat — Plus que jamais, je crois que le monde a besoin des festivals de films. Les gens peuvent se fédérer à un festival dont ils partagent les enjeux et la signature artistique. Je crois que les festivals et les grands événements en présence deviennent de plus en plus importants avec le temps.  Il y a quelque chose de beau dans le choix de fréquenter un festival parce que tu t’y reconnais dans sa ligne éditoriale. Tu y choisis tes films et tu peux voyager en gang, voir en groupe de grandes créations. Tous les choix, allant de l’excès à la prudence et de l’essai jusqu’au coup de chance.  Et si ce festival a un mode de curation solide, tu es assuré comme public d’y découvrir des choses, même si tu y choisis tes films à l’aveugle. Cette année, j’invite tout le monde à essayer des films au FNC et de prendre des chances en pigeant dans une programmation réellement variée.

 

 

Un peu comme un DJ qui doit faire danser sa foule et tenir compte de l’identité du bar et de la soirée. Mais dans ce contexte, le DJ peut avoir une signature ou passer en douce certains coups de cœur, mais il doit garder la piste de danse, la salle ou l’événement en tête.

Zoé Protat — Exactement, j’aime bien cette analogie. 

Parlant signature. Quelle serait la signature de Zoé Protat en tant que programmatrice?

Zoé Protat — La programmation, je me répète, c’est un travail d’équipe et nous avons la chance de vraiment bien nous entendre au FNC. Nous sommes assez bien soudés ensemble avec nos distinctions, nos préférences et nos ensembles communs. 

D’un point de vue plus personnel, je suis quelqu’un d’appliqué, de minutieuse, qui aime prendre le temps de bien faire les choses, de peser le pour et le contre. Mes décisions sont toujours réfléchies, jamais émotives. Tout est choisi pour une raison et tout doit avoir une raison d’être. Je ne suis vraiment pas dans la peinture à numéros. J’espère que les gens verront la personnalité et la pertinence de mes choix.  Pour revenir à ton analogie de DJ, le DJ prépare sa soirée, pense à ses transitions et la direction de la soirée. Même s’il a un plan de travail. Il doit constamment s’adapter à la foule sur place.  Dans les deux cas, on parle d’une curation réfléchie. 

Parlons un peu programmation 2024, est-ce qu’il y a un thème,  un fil conducteur ou des tendances fortes cette année dans votre sélection ?

Zoé Protat — C’est une année intéressante du point de vue géographique.  Je pense notamment à deux films vietnamiens, VIÊT AND NAM de Trương Minh Quý et CU LI NEVER CRIES de Phạm Ngọc Lân. On y découvre une nouvelle scène et de nouvelles voix dans le cinéma contemporain. Ces deux films sont tous deux en compétition, ce qui est notable car ces films ont su souffler notre équipe. Nous aurons d’ailleurs de nombreux invités vietnamiens cette année grâce à notre marché de co-production et dans les rencontres pro canadiennes du cinéma étudiant.   Ainsi, nous avons voulu donner une voix à cette nouvelle génération d’artistes qui s’emparent de la discussion entre le passé et le présent; on y remarque une réflexion sur les traumas et l’histoire du pays, le tout partagé entre un cinéma plus contemplatif que l’on associe souvent au cinéma asiatique, mais aussi une approche parfois poétique et souvent décalée. 

Nous avons aussi programmé de nombreux films sud-américains ou d’Amérique centrale. Vous y ferez assurément de très belles découvertes. Chaque année est différente. On commence le processus de programmation sans trop savoir ce qu’il en sortira et je dois avouer que ce cinéma nous a beaucoup touché et nous permet de sortir un peu de l’hégémonie du cinéma européen d’auteur qui se taille habituellement une bonne part du lion dans nos programmations. Ainsi, en compétition cette année, on ne trouve que deux films européens, donc on assiste à l’avènement de quelque chose de très intéressant.  Donc, somme toute, notre programmation est sous le signe cette année d’une grande diversité des territoires.

 

Parlez-nous un peu de la section, Les nouveaux alchimistes. En quoi le travail de ces réalisateurs émergents se distinguent des générations qui les précèdent? Un nom ou deux à surveiller cette année?

Zoé Protat — C’est une section distinctive car elle est notamment une section compétitive, mais contrairement aux autres sections de la compétition, qui sont soit consacrées aux réalisateurs émergents ou aux réalisateurs établis, nous avons voulu créer une discussion entre des réalisateurs plus expérimentés et de jeunes réalisateurs émergents en début de carrière. Par le passé, cette section a su accueillir des noms comme Pedro Costa ou Albert Serra qui ont su dialoguer avec des réalisateurs plus jeunes. Cette année, on reçoit notamment Ben Rivers qui nous présente son nouveau film, Bogancloch. Un grand nom du cinéma expérimental qui nous fera l’honneur d’une visite au festival. Nous sommes aussi très fiers de présenter Through The Graves The Wind Is Blowing de Travis Wilkerson, un cinéaste américain très engagé que j’aime énormément et qui s’avère l’un des mes grands coups de cœur de cette section. Il s’agit d’une farce noire décapante sur la Croatie contemporaine et à une explosion de tourisme qui se heurte à une droite complétement galopante. Plus près de nous, nous aurons le nouveau film du Québécois Dominic Gagnon, Space Down. Dominic trouve des images sur Internet et les manipulent pour en faire une vertigineuse réflexion sur la solitude humaine et l’espace. 

 

 

Les nouveaux alchimistes est une section très variée et j’invite les lecteurs à la découvrir. Certains films sont plus expérimentaux que d’autres. Au-delà de l’expérimentation classique, vous y trouverez de l’animation déjanté, The Hyperboreans  du duo chilien Cristóbal León & Joaquín Cociña. Je conseille fortement aussi le très beau Historia De Pastores de Jaime Puertas Castillo qui mêlent les technologies.  Bref, une très grande variété de films non classiquement narratif, très formalistes et teintés de poésie et d’humanité. 

Parlez-nous un peu du film d’ouverture, UNE LANGUE UNIVERSELLE de Matthew Rankin et de la relation qui s’est développé entre le réalisateur et l’équipe du FNC au fil des ans?

Zoé Protat — Matthew a présenté tous ces films aux FNC. Nous le suivons depuis ses tout premiers courts métrages. Nous avions présenté 20th Century en 2019. C’est aussi quelqu’un qui a participé au festival de 1000 façons. Il a mis en scène une de nos soirées spéciales à l’Agora il y a quelques années. Il avait ressorti pour l’occasion des images de documentaires et de films publicitaires jamais complétés pour le gouvernement canadien qui devaient promouvoir les parcs du Canada et ses espaces protégés. Il se sert d’ailleurs de son expérience de fonctionnaire à Parcs Canada dans Une langue universelle. Ce film, nous sommes très fiers de le présenter car il représente bien ce que nous défendons au FNC et il représente tout ce que Matthew fait de bien. C’était une réelle évidence pour nous. On y retrouve son originalité, sa liberté, sa passion pour l’architecture et particulièrement l’architecture brutaliste. C’est aussi une lettre d’amour à sa ville natale, Winnipeg et, au final, une GRANDE émotion. Le film sera présenté à deux reprises durant le festival. 

Outre Matthew Rankin qui sera à Montréal pour la présentation de son film, quelle rencontre as-tu hâte de faire cette année au festival?

Zoé Protat — J’ai bien hâte de rencontrer et dialoguer avec Albert Serra dont le dernier film Tardes De Soledad vient tout juste de se mériter un grand prix au Festival international du film de San Sebastián 2024. C’est un documentaire à la Serra, donc ce n’est pas un documentaire au sens classique du terme. Un documentaire sans intervention de son réalisateur sur la tauromachie et la corrida dans lequel on suit Andrés Roca Rey, une réelle star dans l’univers des toréadors. On parlait de rock and roll en début de l’entretien, et bien, Roca Rey est réellement une star, une personnalité plus grande que nature que son entourage le traite comme un demi-dieu. C’est un film brutal et attirant. De plus, nous avons la chance de recevoir pas mal tous les réalisateurs de notre compétition internationale.

Le cinéma, ce sont notamment des rencontres avec de beaux personnages?  Quel est votre personnage de fiction favori dans votre programmation long métrage cette année?

Zoé Protat — Un de mes grands coups de cœur à Cannes cette année a été BIRD d’Andréa Arnold. C’est un film que j’ai trouvé renversant et il met en vedette un acteur et chorégraphe / danseur, Franz Rogowski, dont je suis assidûment le travail depuis que je l’ai découvert dans les films de Christian Petzold, considéré comme l’un des chefs de file de la « nouvelle vague » du cinéma allemand. Il a une manière d’occuper l’espace et de se déplacer à l’écran avec un style félin animal. Je ne peux trop en dire sur le film mais Franz y joue un personnage qui est à la fois dans la réalité et pas du tout dans la réalité…  C’est tellement un beau personnage qui apporte de la lumière et de l’espoir dans un monde tellement gris et difficile.  Je passerai bien une journée avec lui.

 

 

Quel est votre personnage de documentaire favori dans votre programmation long métrage cette année?

Zoé Protat – Ahhh! Ici, j’ai ta réponse sans aucune hésitation. Mon personnage favori est Libuše Jarcovjáková, cette photographe tchèque sujet du documentaire I’m Not Everything I Want To Be  de Klára Tasovská que nous présentons en compétition internationale. On dit d’elle qu’elle est la Nan Goldin tchécoslovaque car elle a documenté avec son appareil photo les contre cultures de son pays, les groupes marginalisés et les communautés queers.  Elle a vécu aussi à Berlin alors que la ville était encore divisée en deux mais aussi au Japon. Il y a quelque chose de très rock and roll dans son travail. On lui doit un nombre incroyable de portraits et d’autoportraits. La réalisatrice Klára Tasovská sera d’ailleurs au festival pour présenter de film magnifique et d’une formalité qui dépasse largement le sujet. 

 

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