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CES ARTISTES QUI ONT FAIT DES VIDÉOCLIPS, une entrevue de Marc Lamothe avec Yves Jacques

Publié le 4 février, 2021
Publié le 4 février, 2021

Saviez-vous que Yves Jacques a fait ses débuts dans les années 70 avec le groupe Slick and the Outlags.

Une entrevue de Marc Lamothe dans le cadre de la série CES ARTISTES QUI ONT FAIT DES VIDÉOCLIPS (1), une entrevue de Marc Lamothe avec Yves Jacques

Yves Jacques, c’est bien entendu l’homme de scène, de théâtre, de cinéma et de télévision. Officier de l’Ordre du Canada depuis 2009 et Chevalier des Arts et Lettres de France depuis 2001, il a fait ses débuts dans les années 70 avec le groupe Slick and the Outlags.

En 1981, Yves Jacques, avec les membres de son groupe précédent, écrit et produit le 45 tours ON NE PEUT PAS TOUS ÊTRE PAUVRE sous le nom de Yves it Jacques.

Il pousse ainsi plus loin l’idée du concept global d’un groupe musical et de son univers visuel et sonore en produisant et réalisant lui-même le tout premier vidéoclip québécois indépendant. L’idée était d’autant plus audacieuse puisqu’il existait à cette époque peu d’émissions télévisées investies dans la promotion du vidéoclip.

Nous avons voulu revenir sur la carrière musicale de Yves Jacques et faire la lumière sur ce 45 tours culte et ce vidéoclip mythique.

 

CTVM.info – Puisque nous allons aujourd’hui parler musique, vidons la question éternelle : Êtes-vous plutôt Beatles ou Rolling Stones?

 

Yves Jacques — (Rires) Très drôle… je dois répondre: les Beatles, car musicalement pour moi, tout a commencé à l’âge de 8 ans. J’avais demandé une batterie ou un saxophone pour Noël. Mon père m’a offert une batterie croyant sincèrement que ça n’allait être qu’une lubie de quelques jours. Ç’a duré plus de 10 ans. (éclats de rire) J’ai passé une partie de mon enfance à accompagner les disques des Beatles à la batterie. Les Beatles ont été pour moi la meilleure des écoles.   Mes amis de l’époque Pierre Gagnon et Richard Taschereau s’étaient eux acheté des guitares et nous avons commencé à répéter des chansons. Un vrai groupe de sous-sol. On s’appelait Les Poppies. On a fait de la pop, du rock et même de la musique progressive pendant un petit moment. C’est avec eux que nous allions finalement développer Slick and the Outlags, le groupe Taxi et la chanson  ON NE PEUT PAS TOUS ÊTRE PAUVRE. Je me souviens encore d’avoir vu Les Beatles au Ed Sullivan Show et j’avais littéralement intériorisé la performance, le battement de pied de John, les hochements de tête de Paul et la façon dont Ringo tenait ses baguettes. 

 

Comment êtes-vous passés des Poppies à Slick and the Outlags?

 

Yves Jacques – La musique n’était qu’un passe-temps. Le théâtre m’attirait depuis l’âge de 7 ans. Et c’est rendu au Cégep que j’ai finalement opté pour le théâtre. Je n’ai pratiquement plus  joué de musique durant ces années d’études. Après mes trois ans de collégial à Saint-Hyacinthe, j’ai recommencé à faire de la musique avec les gars. J’avais besoin de ce défoulement après des années cérébrales à étudier intensément. Mon frère, Marc, qui nous entendait jouer dans le sous-sol nous avait fait une proposition. « Vous devriez monter des pièces de rock and roll des années 50! Nous préparons une soirée rétro au Séminaire de Québec, je pourrais vous proposer à l’équipe qui organise l’événement. ». L’idée nous a emballés et nous avions été retenus pour jouer à cette soirée.  Nous avons alors plongé dans le projet tête première. Nous avions monté un répertoire, trouvé des costumes et sollicité un ami, André Gosselin, un extraordinaire percussionniste rencontré au Conservatoire de musique de Québec alors que j’ai étudié un semestre en percussion, notamment avec Monsieur Roger Juneau qui aurait bien aimé me garder comme étudiant. La soirée rétro s’est avérée être un vif succès. Mais il faut comprendre que nous étions dans l’air du temps. En effet, en 1977, la bande sonore du film AMERICAN GRAFFITI faisait encore fureur et l’émission HAPPY DAYS (LES JOURS HEUREUX) était l’un des succès du moment.   

 

Ce qui m’intéressait de notre concept rétro, c’était de réussir à placer les diverses chansons dans un certain ordre et ainsi raconter l’histoire d’un « bum » vivant un amour impossible avec une fille de la haute bourgeoisie qui finit par mourir dans un horrible accident de motocyclette, un peu comme James Dean ou le protagoniste de la chanson THE LEADER OF THE PACK du groupe The Shangri-Las.  C’est vraiment ainsi que Slick est né. J’ai découvert un personnage de scène et un cadre pour le faire évoluer. Mon personnage parlait un français avec un fort accent anglophone, comme s’il était originalement américain et qu’il baragouinait le français. On a fait plusieurs spectacles dans la région de Québec lorsqu’un ami de Roland Smith, le propriétaire du Cinéma Outremont à Montréal, a convaincu ce dernier de venir nous voir en spectacle à Québec. Roland qui produisait aussi quelques spectacles à l’époque nous a aidés à obtenir des contrats qui ont débouché sur une belle série de concerts.  George-Hébert Germain avait d’ailleurs écrit à cette époque qu’un spectacle de Slick And the Outlags était l’équivalent d’une thèse universitaire sur les débuts du rock and roll. 

Vers 1979, après deux ans de spectacle dans la peau de Slick, je voulais passer à autre chose. Ma carrière d’acteur commençait à s’établir, je commençais à recevoir des offres de télé, de théâtre et de cinéma. Je voyais le concept comme une forme de parodie musicale, le genre de chose que je pourrais revisiter de temps à autre. À cause de Slick, j’ai dû notamment refuser un rôle dans le film, AU CLAIR DE LA LUNE, d’André Forcier. Depuis mes années de conservatoire, Janine Sutto et Gaëtan Labrèche parlaient de moi aux gens de l’industrie.  Le problème est que les autres membres du groupe voulaient que je ne fasse que de la musique et entrevoyaient une vraie carrière de groupe de rock avec ce véhicule. Ils voulaient tenter de percer aux États-Unis, mais je n’y croyais pas. D’une part, les États-Unis me semblaient avoir déjà des groupes rétro, dont Sha Na Na et les paradigmes musicaux étaient plutôt la punk, la new wave et les nouveaux courants alternatifs du moment.  Ma décision d’abandonner Slick pour me concentrer sur mon métier d’acteur avait été reçue avec une certaine déception, mais ils ont fini par comprendre et respecter mon choix. 

 

Dans une entrevue donnée au magazine JEU, Revue de théâtre, en 1984, vous décrivez Slick and the Outlags un peu comme une création théâtrale vous permettant notamment d’investir à fond un personnage en pleine liberté d’expression. Pourriez-vous revenir un peu sur cette idée de personnage rock and roll de théâtre, tout en étant en dehors d’un cadre théâtral classique? Pourriez-vous élaborer un peu sur cette idée?

 

Yves Jacques — En fait, ce qui m’intéressait, c’était la théâtralité dans le rock and roll. On avait vu ça entre autres avec David Bowie et Peter Gabriel.  Les musiciens du groupe aimaient cette idée du personnage de scène différent de ce que je suis dans la vie. Le batteur du groupe, André Gosselin, m’encourageait beaucoup dans cette direction.  Sur scène, je me servais beaucoup de la pantomime et du jeu physique pour incarner des trucs. En mimant des mains sur le guidon, j’étais soudainement à motocyclette sur scène, en jouant avec mes mains, de dos au public, j’évoquais une danse avec une femme qui n’existait pas. On adaptait aussi le matériel pour les besoins du spectacle. Par exemple, la chanson LEADER OF THE PACK avait été adapté en français et nous avions masculinisé les paroles. Ce n’était plus la fille de la chanson qui racontait l’histoire de son chum décédé, mais Slick qui racontait sa propre histoire. À cette même période, plusieurs personnes se montraient déçues lorsqu’ils réalisaient que Slick était en fait un acteur francophone de Québec et non ce chanteur américain… En termes simples, je ne me voyais pas comme un chanteur, mais plutôt comme un acteur qui utilise le chant pour certains rôles.

 

Toujours en compagnie de Pierre Gagnon et Richard Taschereau, vous fondez un autre groupe en 1980, TAXI. Que pouvez-vous nous dire de ce groupe?

 

Yves Jacques — À Québec, la place pour danser sur de la musique alternative était le Shoeclack déchaîné, un bar qui était situé à place D’Youville. Celui-ci avait ouvert à l’automne 1980, mais le grand party d’inauguration n’avait eu lieu qu’en décembre. Le propriétaire de la place nous avait invités à donner un spectacle, car les gens se souvenaient de Slick and the Outlags qui jouissait encore d’une belle réputation.  De plus, j’aimais vraiment cette salle que je fréquentais régulièrement.  J’ai donc convaincu Pierre Gagnon et Richard Taschereau de monter le spectacle avec des chansons plus contemporaines. Nous avons présenté ce spectacle sous le nom de groupe Taxi.  Je portais une ceinture jaune avec des carrés noirs comme les taxis new-yorkais. On se voulait métropolitains.  Un ami batteur, Jeff (Jello) Côté, s’était joint à nous pour le spectacle. Nous avions monté des pièces de groupes de l’époque, dont The Police et Blondie, et nous avions écrit quelques nouvelles chansons pour l’occasion. Le tout était plus proche de ce qui allait devenir Yves « it » Jacques. Taxi n’a existé que le temps d’un spectacle.

 

Comment êtes-vous passé du groupe Taxi au tournage d’un clip solo?

Yves Jacques — Début 1981 s’annonçait comme une année fort occupée pour moi. Je devais notamment jouer dans LE JOURNAL D’UN CURÉ DE CAMPAGNE avec Jeannine Sutto à Radio-Canada, mais la production fut retardée en raison d’une grève du syndicat des techniciens. Grâce à nos contrats, nous avons tout de même tous été payés et j’ai profité de cette pause pour aller me promener en Europe.  Je suis allé en France, en Italie et en Angleterre. Arrivé à Londres, j’ai découvert la culture des punks et toute une scène musicale. J’ai fréquenté quelques bars, découvert des groupes comme Orchestral Manouvres in the Dark  et j’y ai découvert les vidéoclips. Un clip m’avait particulièrement inspiré à l’époque, MAKING PLANS FOR NIGEL du groupe anglais XTC.  

 

 

J’ai tout de suite été attiré vers ce média et j’ai eu le goût de réaliser moi-même un clip et d’allier le chanteur, l’acteur et la théâtralité en moi à l’écran. J’avais des idées pour une chanson et je me suis investi à fond dans le projet, j’ai même dessiné des story-boards pour bien expliquer mes intentions au caméraman. 

 

Je suis donc allé voir Le Groupe Image, une boîte de production audiovisuelle de Québec. Richard Cloutier, le fondateur a trouvé le projet sympathique et a accepté de m’aider dans la réalisation du vidéoclip. J’étais le producteur et réalisateur et Richard Cloutier agissait comme assistant-réalisateur et directeur photo.  Il n’avait qu’un technicien avec lui en guise d’équipe. 

 

On a tourné des scènes extérieures devant la maison de mon oncle, un riche radiologiste, car je voulais vraiment donner un look bourgeois au clip. Les scènes intérieures ont été tournées dans la maison de mes parents que l’on voit d’ailleurs tous deux assis à table dans la scène de la salle à manger. Les scènes extérieures de ruelle ont été filmées dans un endroit que l’on appelait la ruelle New-York à Québec qui existe toujours, mais qui a été converti pour être un quai de chargement à la salle Le Diamant de Robert Lepage. Cette ruelle menait auparavant au Théâtre le Capitol et nous l’avions choisie, car les murs étaient déjà couverts de graffitis, renvoyant donc à cette image qu’on se fait de New York.  

 

Le vidéoclip a peu joué à la télé. Notre première diffusion a été à une émission dédiée aux vidéoclips, RADIO VIDÉO, sur une chaîne de télé communautaire, TVJQ, l’ancêtre du Canal Famille. C’était une émission produite par Pierre Marchand et animée par Claude Rajotte. Le clip a aussi joué à l’émission LAUTREC 82. Puis la vidéo a disparu quelques années, mais à la création de MusiquePlus, le clip s’est mis à jouer de nouveau et un culte s’est construit autour.

 

 

 

 

Le 45 tours a été lancé par les disques CONSTELLATION, une étiquette qui ne compte que quatre parutions en 1981. Que pouvez-vous nous dire de l’enregistrement de cette chanson?

 

Yves Jacques — Toujours accompagné notamment de Pierre Gagnon et Richard Taschereau, nous avons enregistré la chanson au Studio PSM dans le quartier du Vieux-Port de Québec. J’avais en tête une version encore plus nouvelle vague avec notamment des claviers évoquant la chanson ENOLA GAY d’Orchestral Manouvres In the Dark, mais mon guitariste Pierre Gagnon a préféré adapter la partition à la guitare. Au final, la guitare colle au sujet et donne probablement une légèreté au propos de la chanson. 

 

Avant l’enregistrement de ce 45 tours, on m’avait présenté à une jeune entrepreneure qui lançait son étiquette de disques. L’idée pour nous d’avoir une compagnie de disques dans la ville de Québec signifiait qu’on n’avait pas besoin de passer par une étiquette de Montréal. Malheureusement, cette jeune femme n’avait pas les moyens de ses ambitions et le 45 tours s’est avéré difficile à trouver en magasin. La radio commerciale n’a pratiquement pas fait tourner le disque. On me disait que ça ne cadrait pas dans les courants du moment. À la télévision, j’ai fait quelques émissions de variétés où je devais chanter en direct, mais accompagné par l’orchestre attitré de l’émission. Ça ne livrait pas vraiment bien l’esprit de la chanson. 

 

 

Ce projet musical se nomme Yves it Jacques. Est-ce une référence à it (INTERNATIONAL TIMES), le magazine anglais de sous-culture underground fondé en 1966?  Vous portez en effet sur la pochette du 45 tours un macaron à l’image du magazine

 

Yves Jacques — (Éclats de rires) C’est extraordinaire comment la vie est faite. Tu m’apprends quelque chose. Le mot « it » pour moi vient du fait que jeune enfant, j’avais de la difficulté à prononcer Yves, alors je disais « it Jacques » au lieu de « Yves Jacques ».

 

Ma sœur Louise en voyage à Toronto  avait trouvé ce macaron sur lequel était écrit « it » et elle me l’a acheté en honneur de

cette anecdote de jeunesse. C’est ainsi que le projet est devenu Yves it Jacques, car ça se voulait mon premier projet solo, davantage collé à qui je suis comme acteur et à mon histoire.

Ça me ramène aussi à ce que faisait David Bowie qui changeait de personnage d’album en album. De Slick, je suis passé à « it » en quelque sorte. Dans ma tête, le personnage avait 17 ans alors que j’en avais 24 à ce moment-là. Un personnage plus jeune que moi et que je joue avec la naïveté d’un ado. Je ne connaissais absolument pas l’existence de ce magazine ou ce que devait en fait représenter ce macaron. Pour ma sœur et moi, ce macaron avait une signification très particulière. Ma sœur m’appelle encore  «it».

   

 

En 2011, vous avez repris votre rôle de Yves it Jacques dans la reprise de la chanson ON NE PEUT PAS TOUS ÊTRE PAUVRE du groupe Les Incendiaires.  Parlez-nous un peu de votre participation à cet enregistrement et du tournage de ce clip?

 

Yves Jacques — Rudy Berhnard, le chanteur des Incendiaires m’avait approché avec son projet de reprise de la chanson. Il m’a fait écouter un démo et j’aimais bien. En fait, les arrangements de sa reprise sont plus près de ma vision initiale de la chanson.  Il avait aussi approché Chloé Robichaud pour la réalisation, car elle avait déjà travaillé avec le groupe sur un vidéoclip précédent. Ils voulaient réaliser une reprise du vidéoclip, mais dans un contexte plus contemporain. J’allais d’ailleurs retravailler avec Chloé plus tard sur son film PAYS.

 

Pour ce qui est du clip, je crois que Chloé a eu un regard de cinéaste sur le sujet et non un regard de vidéaste. Ça donne quelque chose d’intéressant. 

J’aime notamment les scènes de course dans le clip.  Je devais jouer un des bums dans ce clip et non reprendre mon rôle de « it », car il était en fait joué par Rudy. J’ai eu beaucoup de plaisir à jouer ce bum qui tyrannise le chanteur dans le clip.  Mais Chloé voulait vraiment qu’on me voit aussi en veston cravate comme dans la version originale alors on a aussi filmé des scènes de moi en « it » qui sont placées à la toute fin de la chanson.

Ça se voulait, je crois, un clin d’œil à Yves Jacques, l’acteur que je suis devenu.

 

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Remerciements 

Pour le lancement de ce premier entretien, nous sommes on ne peut plus fiers de souligner l’inestimable collaboration de MELS pour la restauration du vidéoclip ON NE PEUT PAS TOUS ÊTRE PAUVRE dont il n’existait malheureusement plus de belles copies en ligne.

Grâce à Paul Bellerose et son équipe de chez MELS, le lancement de cette série d’articles peut donc être accompagné de la mise en ligne d’une version en haute résolution de ce tout premier vidéoclip québécois. 

La voici: 

 

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