La théorie Lauzon de Marie-Josée Saint-Pierre est un court métrage documentaire intrigant : c’est à la fois une étude sur Jean-Claude Lauzon — le mythique « mouton noir » du cinéma québécois — et sa trop brève carrière et, comme son titre l’indique, une profonde exploration hypothétique de la relation du cinéaste avec son père. Ou, peut-être, de celui qu’il n’a pas eu.
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« Il [Jean-Claude Lauzon] avait honte de son père », dit Saint-Pierre, précisant que l’inspiration pour son essai sur Lauzon lui est venue après avoir discuté avec Claude Fournier, un autre géant du cinéma québécois, lors d’une réception à un festival de films en 2014. « Son père se comportait mal. Il ne voulait pas travailler. Il se tenait dans des bars et se bagarrait souvent. Il a fait de fréquents séjours dans des hôpitaux psychiatriques, et Jean-Claude lui-même était terrifié à l’idée de souffrir d’une maladie mentale… disant même ne pas vouloir d’enfant pour cette raison. »
Lauzon est un sujet parfait pour Saint-Pierre, professeure en animation à l’Université Laval, car elle est passée maître dans le réalisme animé et la réalisation de films sur des cinéastes (son film sur Norman McLaren, Les négatifs de McLaren, a remporté l’Iris du meilleur film d’animation en 2007). « J’enseigne, ce qui occupe une grande partie de mon temps », dit-elle. « Ça me plaît énormément, car ça me donne le sentiment de transmettre quelque chose à la prochaine génération d’animateurs et d’animatrices. » Dans La théorie Lauzon, elle fusionne deux acteurs de la filmographie de Lauzon — Roger Lebel qui joue le père dans Un zoo la nuit (1987), et Gilbert Sicotte qui a fait la narration du film ainsi que de Léolo (1992) — pour raconter l’histoire, en fin de compte, d’un père songeur à la recherche du fils qu’il a perdu.
Marie Josée St-Pierre
C’est un gros défi — et beaucoup de rotoscopie — que Saint-Pierre relève avec une impressionnante créativité et, surtout, une imagination sensible. « Ma façon de faire des portraits n’est plus la même », dit Saint-Pierre, qui déplore le fait qu’il y a peu de séquences filmées sur Lauzon. « Je réalise maintenant qu’on ne peut pas vraiment connaître quelqu’un [juste] à travers les archives. C’est une approche plus expérimentale du documentaire, mais il reste que je suis heureuse de pouvoir prendre le père d’un Zoo la nuit et de le faire interagir avec les archives de Lauzon. »
De ce qu’elle a réussi à compiler, les archives sont effectivement fascinantes. Outre des scènes tirées de l’œuvre de Lauzon, Saint-Pierre a découvert des clips HD du cinéaste où il s’exprime avec franchise au sujet de l’industrie, et ses opinions sur le financement des films canadiens demeurent pertinentes (« Jean-Claude Lauzon gagnait sa vie grâce à la publicité, et non au cinéma », indique Saint-Pierre). Ces séquences sont captivantes en elles-mêmes, mais superposées aux animations originales dessinées à la main par Saint-Pierre, elles prennent vie et ont quelque chose de mythique. « Mettre toutes les techniques ensemble et faire en sorte qu’elles s’harmonisent est un long processus, parce que ça pourrait ressembler à une grosse poutine », dit Saint-Pierre à la blague. « C’est vraiment un mélange de différents éléments, et réussir à équilibrer le tout peut s’avérer un réel défi. »
Le court métrage de Saint-Pierre est présenté ce mois-ci dans le cadre du volet Cannes Court Métrage du Festival de Cannes, un événement qui a catapulté la carrière de Lauzon sur la scène internationale après avoir lancé la Quinzaine des Réalisateurs en 1987 (Un zoo la nuit) et concouru pour la Palme d’or en 1992 (Léolo). Nous voyons des scènes où Lauzon foule le tapis rouge, donnant d’autant plus un caractère « méta » à La théorie Lauzon et l’impression que le film « boucle la boucle », comme dit Saint-Pierre. « J’ai fait ce film 30 ans après [la première de Léolo] », d’ajouter la cinéaste. « Le but, c’est que les gens sortent et qu’ils aillent revoir ses films. »
La théorie Lauzon est l’un des sept courts métrages sélectionnés pour
« Générations », dernière itération du programme Talent tout court de Téléfilm Canada.
En plus d’enseigner, Saint-Pierre est en train de développer un long métrage qui retrace l’histoire des créatrices féministes au Québec.
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