Une entrevue de Marc Lamothe avec Carolyn Mauricette, directrice de la nouvelle section  « OMBRES DU SEPTENTRION » à Fantasia 2022

Une entrevue avec Carolyn Mauricette, Directrice de la section  « OMBRES DU SEPTENTRION» une nouvelle section du festival Fantasia dédiée au cinéma de genre canadien

par Marc Lamothe

« Je suis très heureuse d’avoir l’occasion d’apporter des visions canadiennes uniques aux fans de Fantasia et j’espère qu’ils vont s’éclater ! » Carolyn Mauricette

 

 

 

CTVM.info – Partagez-nous un de vos premiers coups de cœur au cinéma, un moment où vous avez réalisé que les films de genre occuperaient une partie importante de votre vie ?

 

Carolyn Mauricette – Je pense que le cinéma de genre a toujours fait partie de ma vie. Ma mère m’a donné le nom de Carolyn Stoddard, de sa série télévisée favorite, DARK SHADOWS, et j’ai toujours aimé les contes de Grimm, les livres de fantasy et de science-fiction ; de plus, je regardais une tonne de films de la Hammer et de Godzilla quand j’étais enfant. Ma mère avait aussi l’habitude de nous raconter, à mes sœurs et à moi, des histoires effrayantes qui venaient des îles, et nous avons été élevés dans la religion catholique, donc le diable était toujours dans les parages. Pour ce qui est de mes coups de cœur cinématographiques, je dirais Luke Skywalker quand j’étais enfant et maintenant, Keanu Reeves et Idris Elba !

 

Quels étaient les premiers films canadiens qui vous ont littéralement branché ?

 

Carolyn Mauricette – Enfant, je regardais davantage la télévision canadienne que les films, donc je dirais THE LITTLEST HOBO (LE VAGABOND), SEEING THINGS, SCTV, et THE BEACHCOMBERS (SUR LA CÔTE DU PACIFIQUE). En grandissant, j’ai découvert des films comme SCANNERS (1981), PROM NIGHT (1980), et HAPPY BIRTHDAY TO ME (1981) que je n’ai pas revu depuis des années, mais je me souviens que mes cousins et moi avions absolument adoré.

 

 

Vous avez publié de nombreux textes, vous avez donné des conférences et vous avez collaboré avec d’autres festivals canadiens. Parlez-nous un peu de votre parcours avant de vous joindre à l’équipe du festival ?

 

Carolyn Mauricette – J’aime deux choses par-dessus tout, l’écriture et les films de genre, alors je les ai d’abord combinés dans un premier blogue, puis je me suis rapidement fait des amis dans le monde de la critique cinématographique. J’ai rejoint le festival Blood in the Snow Film Festival de Toronto comme programmatrice, et mon rôle s’est développé au fil des ans pour devenir coordinatrice du développement des cinéastes sous-représentés pour la section Horror Lab qui en est à sa deuxième année. Ma première conférence a été donnée au Black Museum de Toronto en 2019 sur l’afro-futurisme et THE OMEGA MAN (1971), et j’ai ainsi découvert que j’aimais vraiment plonger dans différents aspects du cinéma de genre. Les occasions se sont développées à partir de ça. Il faut aussi dire que j’aime parler d’horreur sur des podcasts !

 

Vous êtes connue pour examiner et écrire sur le cinéma de genre du point de vue d’une femme de couleur, ce qui est fascinant. En quoi le cinéma de genre est propice pour réfléchir sur des questions de race, d’ethnicité et de féminisme, et ce, plus particulièrement le cinéma d’horreur ?

 

Carolyn Mauricette – J’entends souvent les gens dire que le cinéma – et le genre de l’horreur – n’est pas politique et l’argument selon lequel l’horreur doit être prise au pied de la lettre. Pour moi, presque tout ce avec quoi nous interagissons en tant qu’êtres humains comporte plusieurs couches, et il y a différentes perspectives, qu’elles soient politiques ou sociales. Mon point de vue sur les films de genre est unique et personnel en raison de mon expérience en tant que femme noire, et je crois que cette perspective n’est pas suffisamment explorée. J’ai récemment donné une conférence pour le Miskatonic Institute for Horror Studies sur les films BELOVED (1998) et HEREDITARY (2018). Il y a un fil conducteur entre les deux films, et c’est le chagrin. Je voulais explorer la manière dont les Noirs, et plus particulièrement les femmes noires, l’ont historiquement réprimé parce que nous étions punis pour avoir montré nos émotions, alors que la famille blanche de la classe moyenne supérieure du deuxième fils est tellement déséquilibrée sur le plan émotionnel, mais contrairement à la famille du premier film, il a accès à une certaine liberté de s’exprimer à ce sujet. Le lien n’est pas immédiat, mais quand on creuse un peu, il y en a tellement, c’est fou. C’est ce type de réflexion qui m’épanouit vraiment.

 

 

Qu’est-ce qui caractérise selon vous la génération émergente de réalisateurs et de producteurs canadiens actuelle en opposition à la génération précédente ?

 

Carolyn Mauricette –  Il est difficile de définir ce qui rend un film canadien « canadien ». Je pense qu’aujourd’hui, on assiste à une fusion des cultures. Les nouveaux cinéastes qui sortent et qui sont des Canadiens de première ou de deuxième génération embrassent à la fois le Canada et leurs origines, et leur travail montre qu’ils peuvent être les deux à la fois. THE PROTECTOR, présenté cette année à Fantasia, en est un bon exemple. Il associe les croyances sud-asiatiques au mystère d’une petite ville canadienne. Je pense également que les voix indigènes et homosexuelles se font entendre avec force. Je pense que nous pouvons nous attendre à des œuvres incroyables de la part de cinéastes indigènes et homosexuels dans un avenir proche.

 

Vous vous êtes jointes officiellement au festival cette année ? Parlez-nous de vos premiers contacts avec le festival et de l’élément déclencheur qui a fait que vous avez joint l’équipe du festival ?

 

Carolyn Mauricette – Couvrir Fantasia en tant que critique a toujours été un objectif pour moi, et j’ai pu le faire pleinement en raison de la pandémie en 2020. On m’a demandé de donner quelques conférences à Fantasia, ce qui m’a complètement époustouflé. J’ai ainsi appris à connaître le directeur artistique Mitch Davis, et il m’a demandé de me joindre à l’équipe de programmation, ce qui m’a abasourdi ! Jamais, en un million d’années, je n’aurais pensé que je ferais partie de cet immense festival international. J’ai encore besoin que quelqu’un me pince pour s’assurer que je ne rêve pas !

 

Vous êtes directrice de la section  « OMBRES DU SEPTENTRION », une section dédiée au cinéma canadien de genre. Comment se distingue selon vous le cinéma canadien actuel des autres cinémas nationaux de genres ?

 

Carolyn Mauricette –  Je pense que le Canada a cette réputation d’être « bon » et plein de gens polis, et donc quand quelqu’un comme Cronenberg est arrivé et a commencé à faire ces films gores qui jettent un regard glauque sur la nature humaine, plusieurs acteurs de l’industrie ont été surpris, car cela ne faisait pas la promotion du Canada en tant que culture. La promotion de l’identité canadienne a pris une tournure aigre avec les questions politiques et sociales qui nous divisent actuellement. Je pense que la fusion des cultures et le fait que les cinéastes actuels examinent de près la façon dont nous avons réussi à être un « bon » pays est un point de vue intéressant. COMPULSUS, qui sera présenté au festival, traite de la violence à l’égard des femmes, tandis que THE PROTECTOR se déroule dans une ville où la criminalité est inexistante, mais cela a un coût. Ces deux films montrent comment la société, et la société canadienne en particulier, évite de s’intéresser de plus près à ces questions.

 

 

 

Le film d’ouverture est la première mondiale d’un film canadien, POLARIS de la réalisatrice  Kirsten Cathrew. Que pouvez-vous nous dire sur ce film et pourquoi l’avoir choisi comme film d’ouverture ?

 

Carolyn Mauricette –  J’ai été totalement intriguée par cette proposition. Il y a une jeune fille asiatique qui joue un rôle important dans un film d’action, qui combat brutalement ses ennemis; et en parallèle, il y a cette veine d’amitié qui est vraiment touchante. J’ai dit à Mitch Davis d’y jeter un coup d’œil, et il est tombé complètement amoureux du film, de ce qu’il porte et de ce qu’il représente. C’est à Mitch que revient réellement le mérite de l’avoir choisi comme film d’ouverture. Quand il a annoncé à Kristen Carthew que son film serait présenté en ouverture du festival, elle était aux anges ! C’est un film unique : un conte science-fiction écologique tourné dans le Yukon, avec un casting entièrement féminin, mettant en vedette un VRAI ours polaire et présentant des cascades folles… c’était le film parfait pour ouvrir Fantasia !

 

 

Parlez-nous un peu de votre programmation pour cette édition ?

 

Carolyn Mauricette – Je suis contente qu’on y retrouve un bon mélange d’horreur, de comédie, de science-fiction et de thrillers. DARK NATURE est un film de survie et d’horreur génial. Sans vendre la mèche, sachez qu’une bonne surprise vous y attend. J’ai mentionné THE PROTECTOR et COMPULSUS, et il y a RELAX, I’M FROM THE FUTURE, qui est tellement amusant ! Rhys Darby est un voyageur du temps qui doit sauver le monde. CULT HERO est une comédie réellement déjantée avec un chef de culte fou. Il y a deux films écrits par l’auteur de films d’horreur Craig Davidson, ce qui est un heureux hasard : THE BREACH un film d’horreur lovecraftien filmé dans les forêts du Nord sur une musique de Slash, le guitariste de Guns N’ Roses, et THE FIGHT MACHINE, un drame sombre sur la masculinité toxique et les obligations familiales. Enfin, il y a OUT IN THE RING, un documentaire sur les lutteurs de la communauté LGBTQ2IA+ qui est tellement riche en histoires et anecdotes de toutes sortes. Ce film m’a littéralement captivée. Je suis très heureuse d’avoir eu l’occasion d’apporter des visions canadiennes uniques aux fans de Fantasia et j’espère qu’ils vont s’éclater !

 

 

 

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