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Alain Saulnier : Les défis de la nouvelle présidente de Radio-Canada/CBC

Publié le 3 avril, 2018
Publié le 3 avril, 2018

Sur son blogue Alain Saulnier s’intéresse aux défis de la nouvelle présidente de Radio-Canada/CBC, Catherine Tait !

Catherine Tait est la nouvelle présidente de Radio-Canada/CBC. La ministre Mélanie Joly a mis fin à la valse hésitation qui avait provoqué le prolongement du mandat d’Hubert T. Lacroix à la tête de Radio-Canadas/CBC.

Catherine Tait est porteuse d’un renouveau. Elle est la première femme à la tête de la société d’État, ce qui est une bonne nouvelle. Elle possède également une connaissance directe de la production à l’ère numérique, ce qui constitue un atout indéniable en cette ère numérique. Quels sont ses défis ?

Faire de Radio-Canada/CBC un rempart contre les géants du web

Le principal défi de la nouvelle présidente sera de faire de Radio-Canada/CBC un véritable rempart contre les géants du web. Ces géants qui imposent une homogénéisation et une américanisation de la culture et de l’information. Une culture largement imposée par Netflix, par Google et son bras audiovisuel YouTube, par les liens privilégiés des algorithmes de Facebook et par les choix musicaux de iTunes et de Spotifiy. Et bien d’autres géants qui ont tous en commun de bousculer les cultures et les informations nationales au pays.

C’est ce rôle de défenseur des cultures et des informations nationales qui peut constituer le cœur du nouveau mandat de Radio-Canada. Un rempart contre l’américanisation des ondes et de l’univers numérique. Pour les mêmes raisons qui avaient été à l’origine de la création d’un radiodiffuseur public, en 1936, puis d’un télédiffuseur public, en 1952. Il s’agissait de contrer l’invasion des ondes américaines. Or, c’est le même phénomène d’invasion des territoires canadien et québécois qui se produit depuis l’avènement de l’ère numérique.

Les géants du web, principalement américains, veulent inonder notre marché et imposer leurs vues et leurs visions de la culture et de l’information. Du même coup, ils détournent les revenus publicitaires et commerciaux à leur avantage, comme Facebook et Google le font en accaparant 75% des revenus publicitaires en ligne. Comme Netflix le fait avec ses abonnements en constance progression dans le domaine des contenus télévisés et du cinéma.

En fait, ce sont eux, les propriétaires de l’univers numérique. Comment alors s’y trouver un espace? C’est là où un diffuseur public peut contribuer à occuper une partie du territoire. Aucun géant du web ne saurait remplacer des reportages d’Enquête ou des émissions culturelles de qualité comme ce qui est proposé (pas toujours à la perfection, on en convient… ) par le diffuseur public.

Indépendance à l’égard du pouvoir politique

Un rôle qui doit s’affirmer en toute indépendance du pouvoir politique à Ottawa. On a trop connu l’inverse durant le règne de son prédécesseur alors que la vaste majorité des membres du conseil d’administration avaient fait des contributions au Parti Conservateur. On n’insistera jamais assez sur un principe clé : Radio-Canada est un diffuseur au service du public, et non un diffuseur au service de l’État canadien. Cela a des implications, certes, pour le service de l’information de Radio-Canada, mais aussi pour les autres secteurs qui doivent avoir toute la latitude nécessaire pour traiter de tous les sujets, en toute indépendance.

Distinguer les marchés de Radio-Canada et de CBC

Du même coup, les services français de Radio-Canada doivent conserver leur marge de manœuvre au sein de l’entreprise. Mettre fin à cette idée d’une seule entreprise le « one company » qu’avait imposée Hubert T. Lacroix.

En ce sens, Radio-Canada doit être résolument au service des francophones du Québec, de l’Acadie et des autres provinces. Cela doit être réaffirmé énergiquement dans le nouveau mandat. Pour ce faire, donner l’autonomie nécessaire à l’entité Radio-Canada au sein de l’entreprise pour bien servir les marchés propres aux francophones. Cela implique que la nouvelle présidente devra mieux assimiler les particularités du marché québécois en particulier et laisser une large part d’autonomie à la vice-présidence des services français.

Investir à fond l’univers numérique

Investir à fond l’univers numérique en privilégiant la création et non pas que l’achat des technologies « dernier cri ». Privilégier les nouvelles expériences comme celle de RAD, issue d’un laboratoire qui a regroupé l’énergie et la créativité de jeunes radio-canadiens.

L’expertise de Catherine Tait sera très utile car elle pourra comprendre les enjeux que comporte cet univers, sur les plans de la production, de la création et de l’exportation des contenus. Aujourd’hui, les frontières des territoires autrefois occupés par la télévision, la radio et même ce qu’on appelait, il y a quelques années à peine, les « nouveaux médias » sont en train d’éclater. Tous les médias sont dépassés par les nouveaux formats, les nouvelles habitudes d’écoute, les nouvelles plateformes, l’arrivée de nouvelles applications et surtout l’invasion des géants du web. Il faut une force solide pour occuper une partie de ce territoire. Cette nouvelle réalité change radicalement la donne.

Enrichir par cette production numérique nos cultures destinées au public d’ici tout en l’offrant massivement partout dans le monde.

Radio-Canada peut être un leader à ce titre en faisant de la production originale et des partenariats avec les producteurs et les créateurs d’ici. Cela inclut toute cette nouvelle production exceptionnelle issue du milieu de l’art et de la créativité numérique au Québec. Pourquoi ne pas favoriser également un rapprochement avec l’Office national du film qui s’est déjà inscrit dans la modernité numérique depuis les dernières années ?

Le diffuseur public peut donc jouer un rôle majeur dans ce nouvel écosystème mondial en favorisant le rayonnement et l’exportation de cette production partout dans le monde.

La culture et l’information destinées aux francophones

La situation particulière des francophones au pays nécessite une offre de programmation ciblée, sur toutes les plateformes et tous les territoires de l’univers numérique. Le défi est d’aller chercher en particulier les francophones de moins de 35 ans qui s’informent principalement par le truchement de Facebook. Leur offrir aussi massivement des contenus culturels francophones sur leurs appareils mobiles et leurs ordinateurs afin de contrer l’invasion de Youtube, Netflix, et les diffuseurs de contenus musicaux.

Offrir aux francophones une place de choix pour les reportages d’enquête. Leur proposer davantage d’information internationale. Ce sont là, les façons de distinguer l’offre de contenus de Radio-Canada des diffuseurs privés.

L’éléphant dans la pièce

Enfin, l’éléphant qui est dans la pièce est la trop grande dépendance de Radio-Canada des revenus publicitaires et commerciaux. Aujourd’hui, cette dépendance s’établit à 34% du financement du diffuseur public. C’est beaucoup trop, surtout qu’il n’y a pas de publicité à la radio. Cela éloigne le diffuseur public de son mandat. On l’a souvent vu lorsqu’il a été question de faire des choix de programmation en heure de grande écoute en direct à la télévision. Nul doute, que si cette approche « commerciale » n’est pas modifiée, elle sera transférée au secteur de la programmation numérique. Cela contaminera inévitablement toute stratégie future de programmation dans l’espace numérique.

Immense défi, que celui de Catherine Tait. Elle a entre ses mains un superbe joyau de la culture et de l’information. Elle peut constituer ce rempart contre les géants du web. Le défi est énorme, mais il n’est pas impossible.

Alain Saulnier
Ancien directeur général de l’information de Radio-Canada
Professeur invité
DESS en journalisme
Université de Montréal

Lien vers le blogue: https://alainsaulnier.blogspot.ca/2018/04/0-0-1-1180-6493-universite-de-montreal.html

 

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