Claire Dion reçoit le Prix NUMIX Hommage au Gala des NUMIX 2019 !
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Entrevue avec Claire Dion à l’occasion de l’hommage qui lui sera rendue jeudi le 9 mai 2019 au Gala des Prix NUMIX
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Depuis son entrée à la SOGIC au début des années 80, Claire Dion, Directrice générale adjointe du Fonds indépendant de production (FIP), du Fonds Cogeco de développement d’émissions et du Fonds Bell, participe activement à la production de contenus québécois et canadiens francophones.
Au cours d’une carrière riche et remplie de défis pendant laquelle elle aura aidé à la naissance de très nombreuses œuvres reconnues tant au Canada qu’à l’international, Claire Dion aura participé à l’évolution des plateformes, des modes de diffusion mais aussi des pratiques.
À l’occasion de l’hommage qui lui sera rendu dans le cadre de NUMIX 2019, nous nous sommes entretenus avec cette pionnière dynamique et passionnée.
Cet hommage vient à point car il te permet d’exprimer ta vision, et de discuter de ton expérience dans un contexte d’intenses transformations de l’industrie. Ton CV, mentionne tes capacités d’adaptation; ce n’est pas par hasard…
Tu as débuté à la SODEC, en cinéma dans les années 80 ?
Oui, en effet. À cette époque, il y avait des conseillers à la scénarisation, à la production et à la distribution dans le secteur du long métrage.
À ton départ de la SODEC, tu as ensuite travaillé sur des projets de télévision. Qu’est-ce qui t’as amené dans cette voie?
En fait, je ne me suis jamais posé la question. Je n’avais pas de plan de carrière. Les choses se sont présentées à moi. La vie m’a fait de beaux cadeaux. Quand j’ai quitté la SODEC, en 1987, je n’étais pas certaine de ce que je voulais faire, je pensais même retourner aux études pour entreprendre un doctorat. Mais j’ai plutôt fondé mon entreprise. J’ai fait de la rédaction, j’ai été script docteur sur un long métrage et rédactrice pour une revue, bref, j’ai vraiment fait des choses très différentes.
En 1991, on m’a appelé pour mettre sur pieds le Fonds McLean-Hunter. Un poste à temps partiel qui tombait à point nommé puisque ma fille Marjorie était encore petite et qu’il me restait encore beaucoup de choses à faire avec elle. Seule, dans mon petit bureau, j’ai pu organiser ma vie en fonction d’elle. Puis, les choses ont progressivement pris de l’ampleur, Marjorie a grandi, j’ai pu me concentrer d’avantage et prendre de plus en plus de responsabilités. Donc, c’est un peu la vie qui m’a amené là.
Par la suite, le Fonds Cogeco s’est ajouté ainsi que divers autres, comme le Fonds Beck, un fonds de promotion. À l’arrivée du Fonds Bell, ce fut une toute nouvelle étape. En effet, à cette époque, je faisais du développement, de la production en long métrage ou en télé… c’était très varié et cela me plaisait énormément. C’était un grand terrain de jeu. Le Fonds BELL, c’était du nouveau pour nous tous qui venions d’un milieu traditionnel. Ce fut aussi très nouveau pour les producteurs qui pouvaient désormais produire du contenu, et non plus seulement des applications ou des logiciels.
À l’arrivée du Fonds indépendant de production, quels ont été les défis rencontrés ?
Avec le FIP, ce qui était nouveau c’était la notion de fonds privé après le Foundation to Underwite New Drama (FUND), créé en 1986 par Astral.
Le grand défi à relever pour moi au bureau Montréal au début du FIP a été d’apprivoiser la gestion de fonds pancanadiens pour les contenus francophones, au Québec mais aussi hors Québec. Les choses se sont progressivement organisées avec l’ajout des règles du CRTC… Cependant, depuis quelques années, on assiste à la la décroissance, car les fonds sont alimentés par les contributions des cablos distributeurs, et, ce n’est un secret pour personne, que depuis quelques années, les abonnements sont en baisse. Cela a un impact important sur des petits fonds comme les nôtres. C’est difficile à gérer car il y a toujours beaucoup plus de créateurs qui veulent continuer à créer.
Sans surprise, lorsque la websérie est arrivée, l’engouement a été très fort.
Qu’est ce qui est radicalement différent dans la production de websérie par rapport aux autres médias, télé, cinéma?
En 2010 au FIP, lorsque nous avons commencé à financer de la websérie, nous étions les premiers à le faire. À l’époque c’était très différent de ce que l’on connait aujourd’hui. En 2010, on était dans le format court, des épisodes punchés, beaucoup d’humour, des récits de genres et de styles qui ne se faisaient pas à la télé.
Depuis, les frontières entre les genres bougent. On le voit à chaque comité de jury.
Netflix a aussi expérimenté ces nouveaux modèles avec des épisodes de longueur différente, un générique qui arrive cinq minutes après, des courts « repackagés »… Chez nous, lorsque la télé va éclater, il va y avoir de la place pour des formats et des genres différents. Il reste à voir quels modèles adopteront les grands diffuseurs.
Pourquoi le format de la websérie est-il si populaire?
Je ne suis pas analyste d’auditoire, mais la consommation de contenu en ligne explose dans tous les genres. Au point où c’est de plus en plus difficile de suivre! La websérie s’insère très bien dans les horaires chargés, ça se consomme plus facilement. Ça s’écoute peut-être mieux sur un téléphone, en déplacement… En plus, c’est du contenu qui, pour l’instant, ne coûte pas trop cher.
Actuellement, on est devant deux types de webséries. Celles qui ont des budgets plus importants et celles qui bénéficient de subsides plus limités. De manière importante, la websérie, permet à beaucoup de jeunes talents d’expérimenter. Réalisateurs, scénaristes et producteurs, tous peuvent acquérir de l’expérience et ‘se faire la main’ sans trop de risques. Pour l’instant c’est un secteur qui n’est pas complètement organisé, on n’est pas encore dans la pression des cotes d’écoute, les systèmes de comptabilisation des auditoires demeurent différents…
Une chose importante au FIP, c’est que vous accompagnez les gens. Je crois que c’est un élément très important pour toi.
Oui, en effet, l’accompagnement est un élément important, autrement, on est un simple guichet. Surtout que l’on commençait quelque chose. On ne pouvait laisser les jeunes de la relève sans direction, on s’est toujours dit qu’on devait les accompagner. Leur donner des outils. C’est ce que nous avons fait, par exemple, lorsque les crédits d’impôts ou la découvrabilité sont arrivés, on s’est renseigné, on a développé des balises et on a créé des outils.
Dans le même esprit, on a aussi développé un partenariat avec Marseille Web Fest, en France. Je trouvais qu’il y avait peu de place pour les séries francophones. Finalement, on a une belle relation avec le directeur Jean-Michel Albert, qui est d’ailleurs devenu programmateur à CannesSéries, le festival international des Séries de Cannes. Créer des liens comme celui-là, ça donne un vrai coup de main à ceux qui en ont besoin. Ça a rendu mon travail plus intéressant. C’est une particularité que nous avons développé au FIP et à laquelle nous tenons beaucoup!
Peut-on dire que le multiplateforme c’est la véritable révolution dans ton domaine?
Aujourd’hui… la véritable révolution, c’est Netflix! Le jour où les plateformes ont été assez robustes pour supporter la diffusion en continu, ça a tout changé. Évidemment, maintenant, ils se rendent compte que ça coûte cher de produire du contenu de qualité… Au Canada, on est choyé d’avoir du financement public et de bénéficier de mesures comme les crédits d’impôts.
Mais oui, la démocratisation des contenus, ça a été une grande révolution. Même si les plateformes n’ont pas encore des modèles d’affaires soutenables. Jusqu’à présent, Netflix avait le gros bout du bâton, mais on voit arriver les nouvelles plateformes de contenus d’Amazon, Apple, Google… Ce qui m’inquiète dans cette montée des GAFAM, c’est la part des productions francophones. Netflix a fait beaucoup d’efforts pour apaiser le climat et faire plaisir aux politiques, et c’est vrai que les contenus sont traduits ou sous-titrés, mais je m’inquiète de l’avenir réservé à nos créations qui sont le reflet de nos valeurs, de notre vision du monde.
Est-ce qu’il n’y a pas un risque justement que les contenus francophones soient uniformisés en fonctions de goûts et de saveurs internationales?
Tout à fait. On le voit bien d’ailleurs. On le lit de plus en plus dans les contenus qui nous sont proposés et dans les intervenants de spécialistes du secteur. En ce moment, ce sont des polars qui sont à la mode. Les gros budgets, les lieux exotiques, les effets spéciaux… Alors oui, c’est un risque. Si l’on examine l’époque des grands diffuseurs télé américains, il n’y avait pas ce risque. C’est HBO qui a parti le bal…. Il faut dire que notre écosystème reste assez fragile. Et nos diffuseurs ne veulent pas toujours prendre des risques… sans oublier que ce sont parfois des projets ambitieux difficiles à financer…
Alors maintenant, d’après toi, quels seraient les défis qui attendent nos créateurs?
Oh, mon Dieu! La question à un million de dollars… Je ne sais pas. J’en parle d’un point de vue strictement culturel, de québécoise de langue française… Des podcasts, ça ne coûte pas cher, on en fait beaucoup, des webséries, on en fait beaucoup aussi, mais est-ce vraiment ça notre avenir? Je ne sais pas… Au Québec et au Canada , on est tributaires des volontés politiques… que va-t-il se passer dans l’avenir? Je ne sais pas.
Ce que je sais par contre, c’est qu’au Québec, même si on râle souvent contre les institutions, il y a énormément de monde qui se battent pour l’augmentation des crédits pour soutenir une industrie en pleine expansion… Là, je vais ouvrir une porte toute grande, au risque de me faire lancer des tomates, mais je pense qu’à l’avenir, tout le monde devra travailler ensemble, incluant les syndicats. Le monde a changé et le monde continuera de changer. Présentement, il y a des façons de faire qui nous limitent. Il va falloir que tout le monde mette la main à la pâte pour explorer ce nouveau monde et imaginer le futur de nos productions…
Dans le cas des webséries, par exemple, il y aurait une place pour faire des petites ventes, mais les droits de suite sont tellement chers que les producteurs n’y ont pas accès. Notre modèle de financement, qui fonctionnait bien jusqu’à maintenant, et dans lequel on arrivait à se nourrir, aujourd’hui n’est plus protégé. Il va vraiment falloir que les gens s’assoient à la même table…
Et pour la suite de votre carrière ?
Comme projet de retraite, j’aimerai travailler sur la découvrabilité. C’est le nerf de la guerre! La promo, c’est important, mais ça se perd vite. Ce qui compte, à mon avis, ce sont les données structurées. Les nouveaux « majors » du web contrôlent toutes les données. Les moteurs de recherche ne cessent de se perfectionner… Il faut être présent sur ce front-là. C’est quelque chose que j’aimerai faire… j’y pense… on verra. Je quitte le Fonds Bell à la fin de l’année. Je reste encore un peu au FIP pour assurer la transition. Depuis quelques années, il y a énormément de changements, dans l’industrie et dans nos organisations. Je me sens un peu usée (rires), mais j’ai vécu de très belles expériences qui effacent nettement tous les moments difficiles.
Entrevue réalisée par Jean-Pierre Tadros et Charles-Henri Ramond, à Montréal, le 3 mai 2019.
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