Entrevue : « 2011 » réalisé par Alex Prieur-Grenier en grande première à Fantasia
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« 2011 » réalisé par Alex Prieur-Grenier en grande première à Fantasia
– Une entrevue de Marc Lamothe
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« Tout le film a été tourné en décor naturel, d’abord par choix, mais aussi par contrainte financière. Le fait d’avoir mon propre appartement comme lieu principal nous a permis d’étaler le tournage sur plus de deux ans à raison de 2 à 4 jours de tournage par mois. Cela faisait partie d’une des essences conceptuelles de 2011. En s’appropriant un lieu banal et en le transformant en laboratoire créatif, nous étions libres de faire évoluer le projet dans le temps…. En général, le temps est un des ennemis numéro un pour un plateau de tournage, mais cette fois-ci, le temps était notre allié. »
— Alex Prieur-Grenier
Alex Prieur-Grenier lance en grande première mondiale le long métrage québécois 2011 à FANTASIA. Il y signe un premier long métrage indépendant qui utilise une grande liberté et une créativité festive en repoussant le médium du cinéma tant sur le plan visuel que narratif. Le film met notamment en vedette Émile Schneider, Hugolin Chevrette, Catherine Chabot et Tania Kontoyanni. Le film est actuellement disponible sur demande sur le site du festival Fantasia jusqu’au 2 septembre. Nous avons voulu nous entretenir avec le réalisateur et discuter avec lui de la genèse et du tournage de film réellement singulier.
Votre film est présenté en grande première au Festival international de films Fantasia, un festival spécialisé en films de genre ? Que représente pour vous ce festival et dans quel genre tenteriez-vous d’inclure votre film ?
Alex Prieur-Grenier : En ce qui me concerne, c’est un honneur de présenter 2011 au festival Fantasia. J’ai grandi à Montréal et ce festival a depuis ses débuts accompagné mes étés. Il m’a influencé en tant que cinéphile, comme cinéaste et comme personne. J’ai donc l’impression de boucler une boucle en étant sélectionné. Malgré son créneau de cinéma de genre, Fantasia a toujours présenté une belle diversité de films et ça semble encore s’élargir à chaque édition. J’adore leur sélection qui prend des risques et permet toujours d’année en année de tomber sur des films qui arrivent à nous surprendre. Les limites sont repoussées, souvent brouillées et parfois dissoutes. 2011 est un produit de cette exploration du cinéma. Son genre est pluriel et en constante métamorphose. L’horreur et le thriller psychologique côtoient le film d’auteur qui se mélange à la série B tout en badigeonnant ses recoins d’un humour malaisant. En bref, c’est un film qui métisse cinéma expérimental et film de genre. C’est un thriller d’angoisse surréaliste. C’est une exploration avant tout.
2011 se présente comme un film qui s’amuse à mêler les codes, un univers où le rêve et la réalité se chevauchent mystérieusement, une réflexion sur le film dans le film et un exercice de paranoïa filmique. Pouvez-vous me parler un peu de la genèse du projet. Quelle fut la pulsion initiale derrière ce premier long métrage réellement intrigant ?
Alex Prieur-Grenier : Le film se déroule et a été tourné presque entièrement dans mon appartement de l’époque, un petit 3 et demi dans Rosemont. Le chiffre 2011 fait référence à l’adresse de ce lieu réel/fictif. Les idées sont nées à cet endroit. Le premier germe narratif vient des nuits passées à entendre mon voisin jouer en boucle un court extrait sonore que je n’arrivais pas à décrypter. J’ai fini par comprendre qu’il s’endormait en écoutant des films et que le menu DVD jouait en boucle à un niveau sonore très élevé pendant toute la nuit. Cela m’a amené à réfléchir à ce qui se passait dans mon bloc d’appartements… À imaginer comment nos vies sont liées même si on ne communique qu’indirectement. De là, la contamination est devenue une thématique centrale. Dès qu’un sujet a conscience d’être observé, il modifie son comportement. Je trouvais intéressant d’explorer l’idée de la contamination idéologique et comportementale même si parfois la communication est impossible. Voir comment un personnage sensible peut se fragmenter psychologiquement par l’arrivée d’intrus aux pulsions déstabilisantes. Nous trouvions intéressant de mettre en parallèle la fragmentation du réel que vit le protagoniste en lien avec le cinéma et celle du monde des rêves. Aborder l’idée que toute réalité est avant tout une construction.
Vous nous avez déjà offert trois courts métrages et un premier long métrage, INBOX, en plus de la coscénarisation et la coréalisation du moyen métrage LA DOUCE AGONIE D’UN DÉSIR DÉROBÉ. Vous avez choisi le chemin du film entièrement indépendant tant pour vos films précédents que pour 2011. Que pouvez-vous nous dire de ce parcours atypique ?
Alex Prieur-Grenier : 2011 est en fait mon second long métrage indépendant, mais c’est définitivement mon premier dans le sens qu’il est vraiment plus proche de mes ambitions cinématographiques. C’est mon amie Roxanne Geoffroy qui m’a offert l’occasion en 2015 de tourner INBOX, un long métrage indépendant qui s’influençait beaucoup du courant mumblecore. (Mumblecore est une tendance du cinéma indépendant américain née au tournant du siècle. Ces productions se caractérisent généralement par un budget minime, souvent réalisées en numérique, avec des sujets tournant autour des relations entre personnes dans la vingtaine, des dialogues en partie improvisés et l’utilisation d’acteurs non professionnels. NDLR).
Elle avait l’envie, les moyens et les contacts pour se lancer dans un projet de long métrage autofinancé et ça m’a fait plaisir de la rejoindre avec un tel projet.
Cela fait déjà plus de dix ans que je travaille avec plusieurs membres clés de notre bannière artistique Nesto Cienfuegos avec qui je partage cette urgence de création. Ce qui est drôle ou du moins ce qu’il vaut mieux prendre avec humour dans ce désir d’indépendance au cinéma, c’est l’absence de reconnaissance face aux projets qui ne s’inscrivent pas dans les circuits habituels de production, de diffusion et de distribution. Cette impression de toujours recommencer à zéro peut être lourde par moments, mais en même temps, c’est nous qui nous mettons dans cette situation. Notre besoin intense de création et notre désir de mettre en branle des projets qui nous ressemblent s’accordent souvent mal aux longs processus bureaucratiques des institutions et aux nombreux refus de financement. Notre patience finit par s’épuiser. Donc on a tout fait nous-mêmes.
Cependant, on s’épuise et c’est bien souvent arrivé à l’étape de la distribution que l’énergie nous manque. Pendant longtemps, le but était avant tout de créer, c’est pourquoi nous continuons d’avancer malgré tout. Par manque de moyens, la collaboration est devenue un mode opératoire, le pilier de tous nos projets. La liberté que l’on s’octroie avec cette façon de faire nous amène la possibilité de commettre des erreurs, d’apprendre et de grandir organiquement. Les films ne sont plus des produits, mais des voyages que l’on partage. Je ne regrette en rien ce chemin que nous avons défriché à grand coup de projets ambitieux portés par la générosité de tous ses artisans.
Votre film se regarde comme un manifeste de liberté dans la manière de tourner et de présenter un film à la fois narratif et expérimental. Quels réalisateurs vous ont inspirés ?
Alex Prieur-Grenier : David Lynch a définitivement été une grande inspiration pour 2011. Son premier long métrage Eraserhead (1977) est un hymne à la liberté de création et aux désirs d’explorer les confins du subconscient. Les premiers films de Shinya Tsukamoto comme Tetsuo : The Iron Man (1989), Tokyo Fist (1995) et A Snake Of June (2002) m’ont aussi appris énormément. Ils m’ont fait voir qu’il est possible de construire un film en mettant la forme en avant-plan sans pour autant perdre l’intérêt du spectateur. Cette immersion sensorielle se retrouve aussi dans l’œuvre d’Hélène Cattet et Bruno Forzani, dont le film Amer (2009) qui m’a grandement inspiré.
Par ailleurs, je ne peux pas passer sous silence Peter Greenaway et son cinéma qui semble venir d’une autre planète. Je trouve fascinant d’observer comment tous ces cinéastes ont réussi à leur façon à construire des films narratifs tout en expérimentant pour pousser le cinéma plus loin. Je pourrais continuer cette énumération d’influence éternellement, mais je mentionnerais ultimement Méliès. Cela peut sembler étrange vu qu’il est un des pionniers du cinéma et que la vie a bien évolué depuis les années 1900, mais Méliès m’a beaucoup influencé par son approche cinématographique où le rêve et le fantastique remplissent l’écran de magie.
Le travail de certains acteurs se démarque particulièrement. Nous pensons notamment à Hugolin Chevrette-Landesque qu’on a connu enfant avec TROIS POMMES À CÔTÉ DU SOMMEIL (1989) et SIMON LES NUAGES (1990). Dans 2011, il s’investit à fond dans un rôle difficile. Avais-tu pensé à lui dès l’écriture ou tu l’as trouvé en casting ? Idem pour Émile Schneider qui défend ici un rôle très complexe.
Alex Prieur-Grenier : Le casting de ce projet a été très atypique. Lors de l’écriture du scénario et la construction du découpage technique, j’envisageais d’interpréter le protagoniste principal. Lorsque j’ai réalisé que je n’aurais pas suffisamment de temps à me consacrer au rôle en faisant à la fois la réalisation et la production, j’ai décidé de céder le rôle à Maxime Duguay qui a coécrit 2011. Je croyais qu’aucun acteur professionnel ne serait intéressé de travailler pendant une aussi longue période de temps et surtout sans rémunération.
J’avais remarqué Hugolin Chevrette et Émile Schneider dans le long métrage indépendant, Les poètes de Ferré (2016), coréalisé et coscénarisé par mon collègue et bon ami Emmanuel Jean. Pour 2011, je les avais castés dans des rôles secondaires sans savoir qu’ils se connaissaient depuis longtemps. Lorsqu’ils se sont aperçus qu’ils allaient être dans le même film, ils ont échangé à propos de leur rôle respectif. Hugolin a convaincu Émile qu’il serait idéal pour jouer le personnage principal et que lui-même pourrait jouer celui qu’Émile était censé interpréter. Ils m’ont approché avec cette proposition qui était tout simplement parfaite et surpassait mes attentes les plus folles.
En plus de garder le même look pour la cause, pendant près de 2 ans, Émile s’est glissé dans la peau du locataire du 2011 avec une aisance surprenante même si le personnage était très loin de sa propre personnalité et malgré les longues pauses entre chaque bloc de tournage.
Hugolin avec son esprit d’équipe et son énergie endiablée a réussi à amener son personnage de ‘‘douchebag philosophe’’ vers des dimensions encore plus complexes.
Les deux se sont vraiment impliqués à fond autant devant que derrière la caméra. Ils m’ont présenté Carole Mondello, une productrice merveilleuse qui m’a aidé avec la production. Elle nous a même trouvé des commandites pour de l’équipement auprès des studios Mels, entre autres.
Le projet qui devait être très secondaire est devenu un monstre mutant qui n’a cessé de grandir. Catherine Chabot s’est jointe au casting et s’est donnée avec la plus grande générosité malgré son horaire très chargé et ses nombreux projets professionnels. Je n’aurais pas pu espérer un meilleur casting. Fanny Migneault-Lecavalier, David Strasbourg, Martin Skorek et Tania Kontoyanni complètent merveilleusement la palette de personnages principaux de 2011. Les voir revenir mois après mois au cours de ses deux années de tournage avec toujours la même énergie et passion a été un réel cadeau du ciel.
Le film joue beaucoup sur les aspects huis clos des quelques lieux de tournage privilégiés. Que pouvez-vous nous dire sur le tournage de ce film ?
Alex Prieur-Grenier : Tout le film a été tourné en décor naturel, d’abord par choix, mais aussi par contrainte financière. Le fait d’avoir mon propre appartement comme lieu principal nous a permis d’étaler le tournage sur plus de deux ans à raison de 2 à 4 jours de tournage par mois. Cela faisait partie d’une des essences conceptuelles de 2011. En s’appropriant un lieu banal et en le transformant en laboratoire créatif, nous étions libres de faire évoluer le projet dans le temps. Le montage se faisait au fur et à mesure et chaque journée se terminait par l’écoute des dailies en équipe dans le décor même où les scènes avaient été tournées quelques heures plus tôt. Cette approche a permis à toute l’équipe de s’adapter et s’améliorer au fil des mois tout en créant un esprit familial. En général, le temps est un des ennemis numéro un pour un plateau de tournage, mais cette fois-ci, le temps était notre allié.
D’autre part, vu la petitesse des lieux nous n’avions d’autres choix que d’essayer de se partager le peu d’espace et de transformer cet état claustrophobique que l’on retrouve dans le film, en une communion symbiotique derrière la caméra.
Évidemment, cette approche a aussi son lot de défis. N’étant en général que 4 à 6 personnes derrière la caméra, nous étions forcés de porter de nombreux chapeaux. Le générique ne l’indique pas toujours, mais disons que tous les gens qui ont posé un pied sur ce plateau ont servi de machinos, d’électros et j’en passe. C’était très demandant par moments, mais nécessaire, car l’espace empêchait d’évoluer avec une plus grande équipe.
Lors du tournage, tout le monde a travaillé bénévolement et de les voir revenir envahir mon appartement encore et encore avec la même motivation a été une expérience unique que je chérirai pour toujours. Certains des plus beaux aspects de l’humanité ressortent quand la motivation première d’une communauté ou d’un projet n’est pas économique.
Avez-vous déjà des projets de films qui se pointent à l’horizon ?
Alex Prieur-Grenier : Le doute est une vipère sournoise est le long métrage sur lequel je travaille présentement avec Emmanuel Jean et Maxime Duguay.
C’est un whodunit qui se déroule en huis clos dans un restaurant qui est aussi une coopérative. Il y a eu un vol à l’interne et les membres décident lors d’une assemblée générale de ne pas quitter les lieux tant et aussi longtemps qu’ils n’auront pas trouvé le coupable.
Nous allons encore une fois mélanger les codes du cinéma de genre et une approche plus conceptuelle qui donnera suite à l’exploration que nous avions commencée avec notre moyen métrage La douce agonie d’un désir dérobé.
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