Entrevue avec Hugo Latulippe, directeur général du Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ) 2023

Depuis avril 2023, Hugo Latulippe, réalisateur et producteur actif dans le milieu du cinéma documentaire et de la télévision depuis plus de 25 ans, s’est joint à l’équipe et à l’organisation de la 12e édition du Festival qui se tenait dans la vieille capitale du 13 au 17 septembre dernier. 

Alors que le festival vient tout juste de se terminer, nous avons voulu parler avec lui et comprendre les objectifs qu’il visait cette année et recevoir a vif un court bilan de la plus récente édition.

Propos recueillis par Marc Lamothe

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CTVM.info — Parlons d’abord au cinéphile en vous? Quel genre de films vous branchent le plus au quotidien?

Hugo Latulippe  — Un peu toutes les formes d’art en fait me branchent. Je vois, lis, écoute des trucs de champs très divers. Je fréquente beaucoup le théâtre et j’aime la musique symphonique, les concerts. Les arts vivants m’intéressent par-dessus tout en ce moment. Je suis aussi un littéraire, je lis énormément. Pour ce qui est du cinéma, plus j’avance dans le métier, plus je suis exigeant (rires). Je suis friand de cinéma indépendant. J’aime beaucoup les premiers films et leurs énergies. Parmi mes cinéastes favoris, je dirais spontanément Theo Angelopoulos, Jim Jarmusch, Raymond Depardon, Terrence Mallick et les frères Dardenne. J’aime le cinéma qui réinvente cinéma. Je recherche toujours de nouvelles propositions de narration.

CTVM.info — Vous avez participé à un magnifique incubateur de talents, LA COURSE DESTINATION MONDE de Radio Canada. Quels souvenirs gardez-vous aujourd’hui de votre passage à cette émission et sur l’impact de celui-ci sur votre carrière? 

Hugo Latulippe  — Cette aventure folle a eu un impact décisif sur moi comme spectateur et sur ma carrière de cinéaste c’est certain. Je me souviens de Denis Villeneuve qui comparait La Course à une catapulte à réalisateurs. (rires). J’aime l’image. J’avais à peine 20 ans et à mon retour on parlait de moi comme d’un « réalisateur » alors que je n’avais même pas complété mes études universitaires. C’était à la fois absurde et fantastique. Dans la vingtaine, on porte une énergie importante et on est en mesure de s’investir. Faire le tour du monde avec une caméra à cet âge-là, avec une carte-blanche absolue, je considère que ça été la grande chance de ma vie. Ce genre de défi te force à explorer divers mode de narration, justement. Comment raconter différemment chaque histoire? Entre 1994 et 1995, j’ai eu la chance de réaliser 26 films différents. Autant comme réalisateur que comme directeur général d’un festival de films, j’ai envie de faire voyager le monde, d’initier des dialogues de faire entrer dans la vie du monde de nouvelles formes de narration, de nouveaux imaginaires.

CTVM.info — On vous connait aussi pour votre implication dans la production et la distribution grâce à esperamos films. Quelles différences fondamentales voyez-vous entre la production d’un film et celle d’un festival international de films?

Hugo Latulippe  — Lorsque je me suis présenté à la barre du festival pour mon entrevue, j’ai expliqué justement que je concevais la création d’un festival un peu de la même façon qu’une production cinématographique. On travaille avec une équipe où chacun a sa place, il y a une préproduction, une période intense de production et qui un après…  De plus, particulièrement ici au Québec, la pratique du cinéma se fait comme au sein d’une famille. Je viens de cette famille, je la connais et je crois que je comprends bien le projet de vie de cette famille. Mon travail est une affaire de liens ; chaque production devient une histoire humaine. J’aime manœuvrer avec un petite gang de monde et le travail d’équipe. J’aime être entouré de monde, épaulé d’une équipe bien choisie.  C’est toujours une aventure! Au-delà de la production, le travail de directeur de festival est une affaire de direction. Artistiquement et dans tous ces détails, la programmation doit avoir une couleur et une direction.

CTVM.info — Esperamos et votre œuvre de documentariste témoignent d’un volonté de parler des grandes questions de notre époque. Est-ce que cet idéal transcende aussi votre vision d’un festival de films?

Hugo Latulippe  — Forcément! Mais en même temps, il faut tracer une certaine ligne. Quand je prépare un film, je pense à moi et à mon sujet. Un festival se conçoit en gardant le public en tête. Étant citoyen de mon époque, je souhaite témoigner de grandes questions car j’ai toujours cru que c’est notre devoir de citoyen de se mêler de tout. Et je pense que comme artiste ou comme directeur de festival, on a le devoir de se mêler ou de considérer les grandes questions qui traversent notre époque, à commencer par la question écologique. Je pense que les arts peuvent contribuer à l’enrichissement de la pensée. De manière libre et oblique, bien sûr. Toujours. L’art est libre. Ceci dit, je ne vise pas à faire du festival un véhicule politique ou militant, mais j’ai envie de développer ce qu’on va appeler « la personnalité du FCVQ ». Chaque festival doit trouver sa propre personnalité.  Notre regard doit ratisser large mais notre personnalité propre sera cette lunette avec la quelle on regarde le monde et ce qui le traverse. Est-ce- que les films qu’on programme au festival contribuent à faire avancer la pensée? C’est ce qui m’intéresse, tout en gardant en tête qu’un festival est un service public. C’est pourquoi je suis si fier d’avoir ouvert cette année avec SOLO de Sophie Dupuis. Le film « parle «» autant qu’il est sur la coche point de vue cinéma.

 

CTVM.info — Est-ce que le fait d’avoir été juré et d’avoir voyager dans de nombreux festivals internationaux vous donnent un avantage en tant que Directeur général?  Votre connaissance du revers du miroir vous offrent-elles une vision plus nuancée de l’expérience recherchée par l’industrie et ses artisans?

 

Hugo Latulippe  — Clairement. J’ai été un peu partout, de Cannes à Sundance, mais je ne peux pas dire que les gros festivals fassent partis de mes meilleures expériences. J’aime les festivals de moyenne taille, comme celui de Namur par exemple. Le genre d’événement où l’on peut échanger, où les gens se rencontrent et où les salles se répondent.  Vivre une expérience un peu plus familiale et dans un contexte festif où la ville est mise en valeur.  Je sens que l’avenir des festival passe par ce genre d’expérience. Ce qui distingue réellement les festivals, c’est l’ambiance et la personnalité. Les films, on pourra toujours les voir ailleurs ultimement.

CTVM.info — Le festival était de retour avec une édition où le cinéma de fiction et de documentaire, local et international ainsi que le court québécois est fortement mis en valeur? Parlez-nous un peu de ce positionnement stratégique?

Hugo Latulippe  — Ce qui était particulier cette année était le fait que notre sélection « étoile » du festival, nos tapis rouges tout comme nos classes de maitres, donnait à voir un cinéma dominé par des femmes de tous horizons. Le tout s’est construit naturellement, sans préméditation.  On a réalisé après avoir bouclé la programmation que c’était ça le portrait de cette année. Et je m’en réjouis! Je célèbre ça! Car je pense que c’est le reflet de ce qui est en train d’arriver dans le milieu et, je le souhaite, dans le monde… Les politiques mises en place par les institutions fonctionnent. Plus politiquement, je suis d’avis qu’on est rendu à une autre narration du monde, à celle des femmes. Dois-je rappeller que depuis le début de cinéma (du monde) les hommes ont été ceux qui narraient le monde. Voyez où nous en sommes!

 

 

CTVM.info — Quel serait l’élément du festival que vous souhaiteriez particulièrement travailler ou développer au fil des ans?

Hugo Latulippe  — Bonne question. Il y a une équipe à Montréal dont je suis le travail depuis les débuts vers 2010, le Cinéma sous les étoiles de Funambules Médias. J’aime l’idée d’une brigade qui amène le cinéma dans les quatre coins de la ville, dans les quartiers, vers les écoles, les institutions, les maisons de retraite, les milieux de travail… vers les gens. Je rêve d’une telle brigade à l’année ici pour desservir les quartiers, les arrondissements les écoles, les résidences privées pour aînés, les centres communautaires. J’aime l’idées de désacraliser le cinéma, de l’éloigner un peu des tapis rouges et des discours et de revenir vers le monde, vers les gens. Mais c’est seulement l’une de mes idées pour le FCVQ!

CTVM.info — Vous êtes revenus avec des projections extérieures et des événements gratuits. Parlez-nous un peu du retour des projections extérieures et de l’importance de celles-ci?

Hugo Latulippe  — Les formats se confondent et il y a de moins en moins de frontières entre les formats. C’est pourquoi on tente de varier les expériences, certaines plus bistro avec de l’alcool comme Kino et d’autres plus glamour au Diamant.  Le côté « street » est tout aussi important que l’aspect « glamour » au FCVQ. Notre diversité parle d’elle-même. Pensons à notre ciné-concert avec Gabriel Thibodeau, elle témoigne de la rencontre entre les arts, le cinéma muet et un orchestre à cordes. Cet événement en particulier me donne toujours des frissons car mon grand-papa était pianiste au cinéma en jouant sous les écrans noirs et blancs du quartier Saint-Sauveur à Québec, au début du siècle. J’ai une histoire personnelle, familiale, avec cette forme du cinéma…

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CTVM.info — Vous impliquez-vous dans la programmation du festival? Le cas échéant, de quel manière?

Hugo Latulippe  — C’est certain. Je pense qu’un bon directeur doit veiller un peu à tout, mais sans brider la créativité de tous ses collaborateurs. Je suis cinéaste d’abord et avant tout, comme pour un film, une production, mon mandat est de veiller sur une certaine direction artistique.  La couleur et la personnalité d’un festival débute évidemment avec la programmation. Je me suis joint au festival en avril dernier. Le train était déjà en marche. Paul Landriau avait fait un super travail qui est au cœur de notre programmation 2023. À l’automne, nous prévoyons organiser un lac-à-l’épaule avec un groupe d’amis du FCVQ afin de réfléchir à notre avenir. L’idée sera de définir ensemble les grandes lignes de ce qui vient, de ce qu’on veut faire de cette manifestation cinématographique.

CTVM.info — Visez-vous surtout le public de Québec avec le festival où vous avez des ambitions internationales à court terme? Le cas échéant, quels seront les éléments d’une formule gagnante selon vous? 

Hugo Latulippe  — Mon premier cheval de bataille est national. Je travaille d’abord pour les gens de la grande région de Québec mais je travaille aussi pour le Québec et les Québécois en général. Mon motto est de faire du festival de cinéma de la ville de Québec un événement d’envergure nationale. Cette ville mérite un festival majeur! Nous savons que 85 % de l’industrie du cinéma au Québec est basée à Montréal. On ne peut pas ignorer cela. Il faut travailler avec toute l’industrie et faire en sorte que nos créateurs et créatrices, que l’industrie, converge vers Québec à la mi-septembre chaque année. Nous avons notamment débuté un partenariat avec Via Rail et Amiga Express en ce sens. Faciliter le transit entre toutes les régions du Québec et notre capitale nationale. En évitant d’émettre trop de GES, bien sûr! Parce que ça aussi ça fait partie de notre vision! Je veux rassembler les gens, c’est ça mon sport! Puis, l’idée est de raffermir et préciser notre positionnement parmi les festivals québécois et canadiens. C’est ce qui fait venir les gens… le public comme le milieu. Un événement irrésistible. Artistiquement pertinent, populaire et festif! Et un événement qui fait sens.

CTVM.info – En terminant, quel bilan dressez-vous de cette récente édition?

Hugo Latulippe  — Je ne suis pas encore prêt à faire le bilan. Mon équipe va devoir examiner tous les aspects de l’événement et comptabiliser les succès comme les moins bons coups. On a besoin d’une couple de semaines pour ça. Mais je peux déjà dire qu’on a fait certains super bons coups. D’abord, le retour de notre spectaculaire cinéma en plein air à place d’Youville. Moi je dis… le plus beau cinéma du monde! Gratuit, devant les fortifications de Québec, avec food trucks et bar! Il fallait voir la soirée C.R.A.Z.Y. avec les acteurs du film qui s’étaient déplacés pour présenter le films aux centaines de gens assis sur la place! Il fallait voir les premières québécoises de SOLO et SIMPLE COMME SYLVAIN avec le Diamant plein à craquer… d’amour! Il fallait voir tous ces acteurs chouchous des québécois qui avaient fait le déplacement. Il fallait voir les séances documentaires suivies de conversations avec Roy Dupuis, Christine Beaulieu, Marie-Julie Dallaire… Il fallait voir nos deux heureuses gagnantes du Prix du public Jean-Marc-Vallée, Priscllia Piccoli et Laurence Turcotte-Fraser recevoir la statuette coulée par Marc Séguin des mains d’Alex et Émile Vallée les fils du mythique cinéaste. Bon, vous voyez… j’ai un peu de mal à me retenir de parler d’une édition enivrante!

 

 

 

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