Entrevue de Annick Mahnert, directrice exécutive de FRONTIÈRES, le marché de coproduction à FANTASIA
Une entrevue de Annick Mahnert, directrice exécutive de Frontières, marché de coproduction internationale à Fantasia par Marc Lamothe
« Comme nous revenons après deux ans d’absence, nous ne voulons pas surcharger le programme. Mais nous avons ramener les Power House (Meet the Sales Agents / Meet the Financiers) qui permettent à des producteurs de rencontrer des agents de ventes et des financiers lors de tables rondes, et nous proposons également une conférence sur les effets visuels numériques et pratiques, avec d’extraordinaires conférenciers. » Annick Mahnert
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CTVM.info – Votre feuille de route professionnelle est des plus impressionnante. Partons de vos débuts. Vous avez étudié la production cinématographique à la NYFA et travaillé comme assistante de production à Concorde-New Horizons, une société de distribution de films fondée par le légendaire Roger Corman. À quel type de carrière rêviez-vous lors de vos études à New York et que gardez-vous de votre expérience chez Concorde-New Horizons ?
Annick Mahnert — Depuis mes 15 ans, j’ai su que je voulais travailler dans le cinéma. À cet âge, on ne comprend pas trop les implications et on ne distingue pas encore toutes les professions qui se cachent derrière l’industrie du cinéma. Je savais que je voulais être dans les toutes premières phases de création et faire en sorte que le film prenne vie. Plus tard, j’ai compris que c’était ça la production. Et que c’était bien plus compliqué que je le pensais. La New York Film Academy proposait des cursus de production rapides de trois mois à l’époque. Ma famille n’avait pas beaucoup d’argent, mais mon père m’avait promis de m’y envoyer si j’obtenais mon baccalauréat. Une bonne motivation (rires). Mon séjour à New York a été bien rempli et j’ai appris à faire la différence entre les différents secteurs, et le chemin à parcourir entre tourner un film sur pellicule et le monter. J’ai surtout appris que, si tu ne prenais pas au sérieux le médium, ça ne valait pas la peine de continuer.
CTVM.info – Au fil des ans vous avez agi comme productrice ou productrice exécutive des œuvres de fiction telles que IT CAME FROM THE DESERT (2017), HUACHICOLERO (2019) LA LONGUE MARCHE (2019) CRABS ! (2021) et plus récemment sur FAMILY DINNER (2022). Vous avez aussi collaboré à certains documentaires, dont 78/52 (2017), MEMORY : LES ORIGINES D’ALIEN (2019) et LEAP OF FAITH : WILLIAM FRIEDKIN ON THE EXORCIST (2019). Avez-vous une préférence entre la fiction et le documentaire à titre de productrice ; et est-ce qu’il existe des différences importantes entre les deux types de production ?
Annick Mahnert — Pour être sincère, je suis « tombée » dans la production de documentaires par hasard. C’est suite à une rencontre avec le réalisateur Alexandre O. Philippe à Tallinn que le documentaire s’est offert à moi. Alexandre m’a pitché 78/52 en me disant que c’était un documentaire uniquement sur la scène de la douche dans PSYCHOSE. Je lui ai immédiatement dit que je ne savais pas comment l’aider, mais que je voulais absolument faire partie de l’équipe. Nous avons trouvé une entente et j’ai pu amener tout mon réseau et mon savoir du marché à la table. Et la collaboration a continué sur ses documentaires suivants. J’adore le documentaire. J’en suis devenue accro, à une période durant laquelle le cinéma de fiction apportait peu de renouveau. La production est différente, car dans le cas d’Alexandre, le réalisateur ne voyage en général qu’avec son chef opérateur, travaille de son côté, et les tournages sont moins fastidieux à organiser.
CTVM.info – Depuis 2013, vous œuvrez donc à titre de productrice indépendante, mais aussi à titre de consultante en acquisitions et programmatrice de festivals. Vous collaborez notamment avec l’Institut autrichien du film et le Centre national de la cinématographie d’Albanie pour le financement des films. Vous êtes aussi programmatrice au Festival du film fantastique de Sitges et responsable de la programmation du Fantastic Fest à Austin. À titre de programmatrice, que recherchez-vous exactement ? Est-ce qu’il y a une signature qui relie vos sélections ?
Annick Mahnert — Je recherche l’originalité, mais avant tout une voix. Je suis à l’affût des petits films dont personne ne sait rien. J’adore éplucher les soumissions qui sont envoyées à nos festivals via les plateformes de soumissions. La découverte d’une réalisatrice ou d’un réalisateur qui en est à son premier film. Tous les programmateurs ont ce souhait : être la personne qui a découvert LE nouveau talent. Mais je fais aussi confiance à mes tripes. Il m’est arrivé d’outrepasser mes collègues de programmation et de confirmer un titre que personne d’autre n’aimait et le titre en question est devenu un succès par la suite. Je pense que c’est aussi notre rôle, en tant que programmateurs, de pousser l’enveloppe et de bousculer un peu le public. J’ai la chance de programmer pour des festivals dont le public est très curieux.
CTVM.info – Les femmes s’imposent de plus en plus comme des voix majeures dans le cinéma de genre, et ce, depuis quelques années. Pensons à Julia Ducournau, Elza Kephart, Jen & Sylvia Soska, Nia DaCosta, Prano Bailey-Bond, Lucile Hadzihalilovic, Leigh Janiak, Kelsey Egan, Dasha Nekrasova et Roseanne Lang. En quoi ce type de cinéma s’avère un média intéressant pour porter notamment des préoccupations féministes ou un regard féminin sur un genre trop longtemps dominé par les hommes ?
Annick Mahnert — Je pense que les femmes ont une sensibilité différente et qu’évidemment nous sommes mieux placées pour parler de notre corps et de nos sentiments. Le corps d’une femme est une machine compliquée et un grand nombre de réalisatrices ont utilisé le cinéma de genre pour exprimer les transformations et les changements par lesquels nous passons. Ceci dit, les hommes doivent avoir la possibilité de faire des films sur les femmes et vice versa. C’est la perspective qui est différente. Je suis une fan énorme de Kathryn Bigelow. C’est une réalisatrice qui domine dans un cinéma très masculin. Pensons à THE HURT LOCKER, POINT BREAK, NEAR DARK. Si vous regardez le film sans savoir qui l’a réalisé, vous diriez immédiatement que c’est un homme qui est aux commandes. Ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui les femmes cinéastes ont un meilleur accès au médium et jouissent d’une meilleure diffusion et visibilité.
CTVM.info – Au printemps 2020, vous êtes devenue DIRECTRICE EXÉCUTIVE de Frontières, le marché de coproductions internationales du festival Fantasia. En pleine pandémie, vous avez su tirer profit de la formule en ligne et créer des éditions virtuelles extrêmement populaires. 2022 sera finalement votre première édition en « présentielle ». Quels sont les grands défis de cette édition 2022 ?
Annick Mahnert — Même si je suis sereine, car je travaille avec une équipe extraordinaire, je vous avoue que je suis très préoccupée. Les deux dernières années, j’étais assise derrière mon ordinateur et j’ai pour ainsi dire organisé Frontières virtuellement toute seule, dans mon bureau, avec mon chien Mochi à mes côtés pour le soutien moral (rires). Revenir à une édition physique implique penser à énormément de choses, comme le déplacement des invités, la location des salles, l’organisation d’évènements, souffrir de la météo changeante… Dans un monde post-pandémique, nous sommes beaucoup plus vulnérables lors des voyages. Et nous devons faire face à plus d’imprévus qu’avant. Nous avons des invités qui ont été infectés par la COVID et qui ne peuvent plus voyager, d’autres qui risquent de ne pas avoir leur visa de voyage dans les temps. Il me semble aussi que certains participants ont aussi oublié comment fonctionnent les marchés et ils nous bombardent de questions. Nous avons plusieurs évènements en même temps, ce qui signifie jongler ma présence entre différents lieux, répondre à toutes les questions logistiques qui peuvent surgir et s’occuper des invités en même temps. Mais comme je l’ai dit, notre équipe est formidable et super efficace.
CTVM.info – Récemment, vous avez organisé la Plateforme Frontières à Cannes, organisée en collaboration avec le Marché du Film du Festival de Cannes, en quoi consiste brièvement cette Plateforme et quel bilan dressez-vous de votre récente édition ?
Pour de nombreux réalisateurs, Frontières leur permettra de présenter leurs idées à des producteurs intéressés par la coproduction internationale. Comment les projets retenus sont-ils sélectionnés ?
Annick Mahnert — La plateforme Frontières est une collaboration entre le Marché du Film de Cannes et Frontières. Nous avons deux programmes, le Buyer’s Showcase (Vitrine pour les acheteurs) qui met en avant des films de genre en postproduction et le Proof of Concepts (Preuves de concepts) pour des projets au stade de développement. Mai 2022 a été le grand retour de Frontières à Cannes et l’évènement a été un grand succès. Les cinéastes de genre ont enfin pu reconnecter avec la branche du cinéma de genre et nous avons pu offrir deux évènements de réseautage.
En ce qui concerne Frontières, nous ouvrons les soumissions entre janvier et avril. Nous travaillons avec trois professionnels de l’industrie qui sélectionnent les projets sur la base du concept, de l’originalité et de la faisabilité.
CTVM.info – Qu’est-ce qui distingue selon vous la cuvée de projets de Frontières 2022 ? La COVID a-t-elle eu un impact sur l’écriture ou les sujets traités cette année dans les projets soumis et retenus ?
Annick Mahnert — Nous avons reçu énormément de projets de pays qui n’en soumettaient pas par le passé. Je pense que la pandémie a donné le temps aux créateurs d’écrire, mais aussi de prospecter les évènements qui font sens pour eux. En termes de films finis, il y en a eu beaucoup sur le thème des maladies infectieuses, de la pandémie, mais cela s’est calmé et nous recevons maintenant beaucoup de projets ancrés dans une culture propre aux cinéastes. Il semble que les cinéastes retournent aux sources et vont creuser dans leurs propres mythes et légendes. C’est magnifique !
CTVM.info – Outre les activités de pitchs et de maillages, quelles activités spéciales attendent les participants à Frontières cette année ?
Annick Mahnert — Comme nous revenons après deux ans d’absence nous ne voulions pas surcharger le programme. Mais nous avons repris avec les Power House (Meet the Sales Agents / Meet the Financiers) qui permettent à des producteurs de rencontrer des agents de ventes et des financiers lors de tables rondes, et nous proposons également une conférence sur les effets visuels digitaux et pratiques, avec d’extraordinaires conférenciers.
CTVM.info – D’un point de vue cinéphile, quels films attendez-vous impatiemment dans la programmation de Fantasia 2022 ?
Annick Mahnert — Ha ha, si seulement j’avais le temps d’aller voir des films ! Les films qui m’intéressent sont évidemment les projets Frontières comme POLARIS, CULT HERO ou encore DARK NATURE. Sur un point personnel, je suis intéressée par PIGGY, RESURRECTION, ONE AND FOUR et HUESERA. Mais malheureusement, je n’aurai pas le temps de les voir ici. Je les rattraperai avec ma casquette de programmatrice immédiatement après avoir bouclé Frontières ce dimanche (rires).