Entrevue de Johanne Larue qui présidait le jury de Cours écrire ton court 100 % région au Festival Regard 2023

Cours écrire ton court 2023, une thématique 100 % région au Festival Regard 

Johanne Larue, Directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle de la SODEC a présidé le jury qui a évalué les sept scénarios et choisi les lauréats. Nous avons voulu l’interroger sur ce processus !

 

Entrevue de Johanne Larue par Marc Lamothe

La SODEC, en collaboration avec les Rendez-vous Québec Cinéma, le Festival REGARD et la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), ainsi que L’inis comme partenaire de formation, organise Cours écrire ton court, un concours destiné aux scénaristes émergents de tous âges. Pour l’édition 2022-2023, la SODEC a choisi une thématique 100 % région. Johanne Larue, Directrice générale du cinéma et de la production télévisuelle présidait le jury qui a évalué les sept scénarios participants et choisi les lauréats des divers prix à remettre.

Nous nous sommes entretenus avec elle pour discuter du concours, de la réalité des courts-métrages en région et du prix remis cette année à Jeanne Carrière pour son prix remis au scénario BIGFOOT

 

CTVM.info : Tout d’abord, que représente le format court à vos yeux de cinéphiles ?

Johanne Larue — D’un point de vue personnelle, je compare souvent le court métrage à un petit joyau. C’est un lieu unique d’expérimentation où tu peux te permettre des libertés que ne permettent pas toujours les longs métrages avec de plus grosses équipes et des besoins financiers plus imposants. Un réalisateur peut s’exprimer de façon plus libre, car on peut aujourd’hui tourner un film avec un cellulaire et des bouts de ficelles. J’associe souvent court métrage et liberté. Le court permet de s’exprimer sans rendre de comptes à l’industrie ou au système. 

Pour nous, à la SODEC, il est primordial de bien financer le court-métrage. À travers ce financement, nous souhaitons que les équipes se payent, que les comédiens soient rémunérés en fonction des règles des divers syndicats de l’industrie. 

 

Que représente le concours Cours écrire ton court! aux yeux de la SODEC ?

Johanne Larue — Historiquement, Cours écrire ton court faisait partie de notre programme dédié aux jeunes créateurs. Ce programme était créé pour aider les individus, donc le programme se voulait une extension du programme Aide à la scénarisation des jeunes créateurs. Avec le remplacement du programme Aide aux jeunes créateurs a été remplacé par le Programme d’aide à la création émergente. Ce programme est dédié aux entreprises, alors il allait de soi que le concours Cours écrire ton court soit toujours destiné aux individus. C’est notre manière de stimuler la pépinière, de stimuler l’industrie et de générer une écurie. Ainsi, des scénaristes parfois plus éloignés de l’industrie ou des grands centres trouvent ici un tremplin pour se faire remarquer. Ce concours est notre manière de nourrir l’industrie de nouveau sang dont elle a constamment besoin pour se ressourcer. 

Pourquoi avoir choisi une édition 100 % régionale cette année et d’exclure les participants du grand Montréal ?

Johanne Larue — Écoute, chaque année on reçoit un grand nombre de scénarios, mais force est d’admettre qu’une forte majorité proviennent du Grand Montréal, et ce, même si c’est un concours réservé aux individus et non aux compagnies de production, et même si le concours est ouvert à toutes les régions. En guise d’exemple, l’an dernier, sur 100 soumissions, seules 4 provenaient de l’extérieur de Montréal. Il était donc nécessaire cette année de rétablir le lien de confiance avec les régions, ouvrir un meilleur dialogue et avoir une meilleure compréhension du phénomène. Avec ceci en tête, on ne vise pas à imposer de quotas particuliers, mais nous visions un effet miroir où la représentativité de l’industrie se reflète dans l’ensemble des soumissions.  

Notre équipe a longuement réfléchi à la question et on s’est dit que puisque nous avons parfois imposé des éditions spéciales avec thématique. D’une part, nous avons reçu cette année 75 scénarios, dont quelques 50 étaient admissibles en satisfaisant tous les critères. Un premier comité a lu attentivement les scénarios soumis et les fiches des divers participants et ainsi passer de 50 à 15 scénarios en tentant d’être représentatif des diverses régions. Puis nous sommes passés de 15 demi-finalistes à sept finalistes.

Un nouveau comité a ensuite été mis en place pour juger les sept scénarios finalistes, mais aucun des membres de ce jury ne connaissait l’histoire de Jeanne. C’est seulement après la délibération que René Livernoche, Chargé de projets au contenu et Directeur général, Développement et production audiovisuelle à la Sodec qui a partagé aux membres du jury l’histoire de Jeanne, de son accident il y a deux ans qui l’a laissée tétraplégique et de cette récente opération expérimentale qui lui a redonné une partie de l’usage de ses mains. Comme tu t’en doutes, les membres du jury étaient littéralement bouleversés par cette annonce. 

En quoi les films inscrits dans ce concours 100 % régions se distinguent des soumissions précédentes ? 

Johanne Larue — De ce que j’ai perçu des diverses discussions qui ont eu lieu lors de la délibération, c’est que la relation entre l’écriture et le territoire est réellement beaucoup plus importante, car elle est au cœur de leur expérience. Mais aussi, on a remarqué qu’il y a un lien entre l’éloignement des centres et l’âge des scénaristes. Ainsi, nous avions cette année pris l’initiative d’éliminer le groupe d’âge à titre de condition d’acceptation qui était auparavant les 18 à 35 ans. D’une part en région, il y a un grand nombre de femmes réalisatrices ou scénaristes mais on remarque qu’elles ont souvent des enfants entre 18 et 30 ans et se professionnalisent après avoir élevé leurs enfants. De même, on remarque un grand nombre de créateurs issu des groupes ethno culturel se professionnalisent aussi un peu plus tard que les jeunes créateurs en milieu urbain dense. Donc ces créateurs n’ont pas le temps de se professionnaliser comme le font les Montréalais ou les gens des grands centres. De plus, en région on tourne moins, donc ici aussi les créateurs ont moins de possibilités de se professionnaliser avant 30 ans. 

Donc, pour répondre maintenant à ta question, un créateur émergent est un artiste qui a un minimum d’expérience pertinente, peu importe son âge. Il semble en effet y avoir un lien entre l’âge du participant et le sujet choisi. Les plus jeunes choisissent très souvent des films dont le sujet est le passage à l’âge adulte, communément appelé « Coming of Age ». Étant plus âgés, les participants semblent choisir des sujets plus en lien avec leur territoire et très souvent plus près d’une dimension identitaire différente que le « Coming of Age » des plus jeunes. 

Vous avez rencontré Jeanne Carrière lors de ce marathon. Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?

Johanne Larue — J’ai présidé les délibérations des jurys, mais il est important de mentionner que je n’ai lu aucun des scénarios soumis et j’ignore qui a écrit quoi. Ainsi je ne suis pas portée par ma propre sentimentalité ou attachement à un scénario plutôt qu’un autre. C’est pour moi la seule manière d’être totalement objective. Les jurés pour la délibération finale ne savaient rien du profil des participants. 

Pour moi, l’histoire de Jeanne est un réel conte de fées. Non seulement elle est une extraordinaire cinéaste, mais la femme est aussi d’une incroyable résilience absolument fantastique. De plus, elle est réellement miraculée comme nous avons pu le voir récemment à travers les divers reportages sur son opération. On a parlé d’elle dans LE DEVOIR, THE GAZETTE et même à l’émission DÉCOUVERTES sur les ondes de la télévision d’État. Elle est dotée d’un sens de l’autodérision. J’ai rarement vu une si belle énergie. On l’a vu aussi chez les autres membres de la cohorte des finalistes, cette expérience intensive d’écriture, de réunions et de réécriture crée des liens forts entre les finalistes, car le genre de marathon qu’on leur impose s’apparente à un boot camp de trois semaines où l’expérience humaine crée des liens très forts entre les membres du groupe. 

 

Quel est l’avenir du concours Cour Écrire ton Court ? À la lumière de cette discussion, il semble pertinent d’organiser dorénavant deux concours, l’un à la portée davantage montréalaise et l’autre 100 % région ?

Johanne Larue — Très bonne question. 100 % région était une thématique réservée uniquement pour ce cycle 2022-2023. Maintenant que nos liens de confiance semblent rétablis avec les créateurs régionaux et que nos communications semblent mieux les rejoindre, nous reviendrons l’an prochain avec un concours provincial. 

Nous vous invitons à lire l’entrevue de Marc Lamothe avec Jeanne Carrière, lauréate du grand prix de Cours écrire ton court pour le scénario de BIGFOOT, en cliquant ICI

 

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