Entrevue de Laura Rohard, directrice de la programmation du FCVQ réalisée par Marc Lamothe

« L’obligation d’aller en ligne a été un enjeu majeur pour nous… De là est née notre volonté de recréer l’esprit d’un festival, de provoquer un sentiment de rassemblement et cette idée de rendez-vous… » 

Laura Rohard, nouvelle directrice de la programmation du FCVQ

Une entrevue réalisée par Marc Lamothe

Le Festival de cinéma de la ville de Québec accueille le Canada tout entier à sa dixième édition qui a commencé mercredi 15 et se poursuit jusqu’au 20 septembre.

 

Les festivaliers ont accès à une plateforme de quatre « salles » virtuelles, trois payantes et une gratuite. Outre les dix longs métrages de la compétition officielle, les participants auront droit à trois classes de maître, une nouveauté, des sections riches en découvertes et le partage de plusieurs contenus exclusifs.

En ce début de festival, on a eu envie de s’entretenir une trentaine de minutes avec Laura Rohard, la nouvelle directrice de la programmation qui a eu un baptême de feu tout à fait singulier, en réalisant son premier mandant en contexte de COVID-19 qui a fait migrer la manifestation cinématographique vers un festival de salles en ligne.

 

Le festival fête ses 10 ans dans des circonstances bien particulières. Que signifie pour vous ce passage et comment soulignerez-vous cette décennie ?

Laura Rohard — C’est un bien drôle de moment pour fêter son anniversaire. Dix ans, normalement, ça se prépare et ça se fête, mais on a choisi de ne pas trop insister sur l’anniversaire vu le contexte et le virage en ligne qu’il impose. C’est tout de même l’âge de raison pour un festival qui n’a cessé de grandir depuis 2011. Une décennie d’efforts pour remettre le cinéma à l’honneur dans la région de la Capitale-Nationale. Je pense à tous ces gens au fil des dix ans qui ont contribué à faire ce que nous sommes aujourd’hui. Particulièrement à Marie-Christine Laflamme, Olivier Bilodeau et Christopher Lemonnier qui ont fondé le FCVQ en 2011 et dont la vision nous guide encore.

 

 

 

Vous prenez la place d’Olivier Bilodeau, co-fondateur et directeur de la programmation jusqu’en 2019. Qu’avez-vous appris au contact d’Olivier et que reste-t-il de lui ou de son lègue dans la programmation de cette année ?

Laura Rohard — Le départ d’Olivier, c’est en effet une page qui se tourne. Dès mes premiers échanges avec Ian Gailer, on était tous deux d’accord pour continuer son œuvre et garder la même approche, un travail d’orfèvre sur la grille horaire, le maintien des sections, des regards sur les cinémas nationaux, des hommages, des rétrospectives, des cartes blanches et des sections bien définies. Nous poursuivons donc ce qu’il a admirablement réalisé et implanté. On a tous nos mentors, j’ai eu la chance de le côtoyer toutes ces années et il m’a beaucoup appris. Je suis arrivée en 2014. J’ai eu six belles années à ses côtés. J’espère porter son flambeau avec panache et enthousiasme.

 

À titre de directrice de la programmation, quels étaient vos objectifs en 2020, considérant entre autres la crise de la COVID-19 ?

Laura Rohard — À titre de directrice de la programmation, je suis à même de décider de certaines couleurs du moment ou du festival. J’ai à cœur de poursuivre le travail d’Olivier, mais je souhaite aussi insuffler un peu de moi-même et de mes goûts distincts dans cette continuation. Ça se fera en partageant un socle de principes et de valeurs que nous avons en commun, tout en espérant orienter certaines sections et changer certaines choses, tout en restant fidèle à l’esprit de curiosité et de cette volonté d’être un peu décapant parfois dans nos choix. On est pas mal dans la continuité de l’an dernier.

Un de mes grands objectifs était d’avoir plus de jeunes au festival. Je crois à l’éducation par l’image. Il faut aller vers les jeunes et inspirer leur appétit de films et d’images, de cultures et d’arts. La COVID nous empêche de créer les rencontres que je souhaitais cette année. Je voulais aussi laisser le plus d’espace possible au travail des femmes ; et cela tombait bien puisque les talents féminins étaient nombreux cette année. En fait, je désirais surtout continuer à programmer un festival généraliste, qui reflète bien l’équipe, mais surtout les goûts de notre ville.

L’obligation d’aller en ligne a été un enjeu majeur pour nous. Il a fallu convaincre les ayants droit et les distributeurs de notre solution. Certains ont choisi une approche « vidéo sur demande » alors que nous avons privilégié un mode de diffusion en direct, à des heures précises, dans des salles virtuelles avec une seule diffusion. Notre volonté était de recréer l’esprit d’un festival, provoquer un sentiment de rassemblement et cette idée de rendez-vous. Convaincre les distributeurs du bien-fondé de notre approche pour qu’ils acceptent de nous livrer les films que l’on voulait et pouvoir ainsi proposer une programmation cohérente, voilà qui résume bien mon mandat cette année.

 

La politique des premières dicte une partie des choix des festivals de films. Est-ce que la proximité des festivals comme le TIFF, le FNC ou Cinémania complexifie réellement votre travail au FCVQ ?

Laura Rohard — Non, pas trop. On deal avec, certes, ça vient avec l’industrie. On comprend qu’on est encore le petit dernier sur le plan canadien des festivals de films. La proximité augmente en effet la compétition pour certains titres, mais on a toujours su bien tirer notre épingle du jeu. C’est un nos défis en fait, d’aller chercher d’autres titres que ceux qui inspirent des festivals comme le FNC ou Cinémania. On a fait nos preuves avec sérieux et audace auprès de nombreux partenaires qui nous font maintenant confiance.

 

Festival en ligne versus en salle, est-ce qu’il a été plus difficile de boucler une programmation puisque certains grands distributeurs sont frileux à partager de grandes premières en ligne ?

Laura Rohard — Oui, effectivement, ça été sportif, car non seulement ça été ma première année à titre de directrice, mais elle devait se faire en ligne… Devenant ainsi pancanadien, cela a provoqué des questions de territoires avec certains ayants droit. Certains distributeurs nous ont carrément dit non en expliquant clairement pourquoi et nous respectons ces décisions d’affaires. Pour les vieux films, cela a été évidemment difficile. Finalement, je suis fière de notre programmation, même si elle a été un peu plus difficile à assembler tous les morceaux puisqu’il a fallu convaincre des gens pour chaque film et chaque choix.

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Vous avez programmé de nombreux documentaires cette année, dont certains sont des portraits intimes. Votre coup de cœur documentaire va vers quelle personnalité ?

Laura Rohard — J’ai déjà beaucoup parlé de Joséphine Bacon dans d’autres entrevues ces derniers jours, c’est un de mes grands coups de cœur et j’ai si hâte de la rencontrer. C’est une dame d’une grande sagesse, d’une si belle luminosité et d’un tel appétit de la vie. Elle est inspirante. Je vais plutôt te parler de ce documentaire en compétition qui se veut un projet un peu fou fou, Africa Mia. Ça raconte la quête de Richard Minier qui est un compositeur, producteur, auteur et réalisateur de documentaire, qui décide un jour de partir à la recherche de musiciens Maliens qui ont eu un certain succès à La Havane et à Cuba en général dans les années 60. C’est en partie l’histoire de ces musiciens qui sont partis étudier la musique à Cuba et qui sont revenus éventuellement dans leur pays d’origine, mais le groupe s’y est rapidement désagrégé. Il est question de socialisme. Question de musique. Pendant 18 ans, ce producteur a cherché ces musiciens. Un seul est encore vivant. Quelqu’un de très connu et respecté en Afrique du Sud, Boncana Maiga. Mon coup de cœur documentaire va à ce personnage formidable.

J’aurai aussi aimé te parler de Petit Samedi, documentaire belge de Paloma Sermon-Daï sur un héroïnomane dans la trentaine qui vit encore chez sa maman. C’est un portrait mère-fils réalisé avec tendresse et humour et c’est sa demi-sœur qui filme, il me semble. C’est un peu dur, oui, mais c’est très beau. C’est fait avec tant de sobriété. Ce duo mère-fils m’a beaucoup touché.

 

Vous avez programmé de nombreux films de fiction cette année. Quel personnage de fiction t’as le plus marquée ou habitée ces derniers mois ? Et pourquoi ?

Laura Rohard — Personnage de fiction ? J’ai ici le goût de te nommer Jay, le personnage principal de Residue, le premier film de Merawi Gerima. Son film a été à SlamDance et la section alternative du Festival de Venise. J’ai eu un franc coup de cœur pour ce film coup de poing qui s’articule autour de ce Jay qui revient à Washington après des années. Il réalise que son quartier a beaucoup changé, qu’il s’est gentrifié alors qu’il tente de retrouver un ami d’enfance. Un film politique engagé. Mon coup de cœur personnage de fiction va à ce Jay.

 

Le FCVQ a entamé l’an dernier l’exploration d’images de la féminité. Parlez-nous de cette section et de ce qu’elle nous réserve cette année ?

Laura Rohard — La section Transform’her !  Il m’est difficile d’en parler, car celle-ci est programmée par Laurence Reymond, notre programmatrice à Paris. Elle traite du genre féminin à l’image à l’écran. Une programmation qui tourne autour de la transformation du genre féminin. C’est une section très importante et Laurence a écrit un texte magnifique que je t’invite à lire sur notre site pour mieux saisir le propos et la thématique.

« TRANSFORM’HER Comment le cinéma peut-il participer à la transformation et la réinvention du genre féminin ? »  https://www.fcvq.ca/transform-her

 

Howard Shore est un compositeur de musique de film, chef d’orchestre, orchestrateur et saxophoniste canadien. Parlez-nous un peu de ce choix et de ce qu’il faut attendre de ce grand entretien.

 

Laura Rohard — On commence une tradition qui se perpétuera, je l’espère, avec de grandes personnalités qui ne peuvent pas toujours se déplacer, mais qui peuvent apporter un rayonnement à notre festival et notre ville. Aller chercher des invités de prestiges de manière virtuelle et avoir une belle discussion avec eux, partager leur parcours et nous parler de qui ils sont. Jaser 60 minutes avec quelqu’un qui a un talent fou. C’est intéressant de parler de cinéma avec des gens qui ne sont pas nécessairement à l’avant ou à l’arrière. Des gens qui ont contribué au succès d’un film, mais dont le travail est en parallèle au tournage. Howard Shore était l’un de mes premiers choix. Ses collaborations parlent d’elles même. On parle de Cronenberg, Scorsese et Jackson pour ne nommer que ceux-là. C’est quelqu’un qui nous a dit oui tout de suite. Il avait ce double bagage cinéma et musique qui me plaisait. C’est Catherine Pogonat qui animera l’entretien. C’est un des bons coups du festival cette année.

 

L’édition 2020 du FCVQ porte notamment son attention sur le cinéma du Brésil. Après l’hécatombe de la COVID-19, il était important de revenir sur ce cinéma, notamment sous le thème central qui est la résistance. Que pouvez-vous dire de cette section ou de ce cinéma national ?

Laura Rohard — C’est quelque chose qui me tenait vraiment à cœur. L’an dernier, on avait un focus sur le court métrage polonais. Cette année, je me suis intéressé au Brésil qui me semblait tout indiqué étant donné le contexte des derniers mois. Quand la COVID a finalement frappé, mon idée était en fait déjà prise. L’idée de la résistance me semblait découler de soi. Ça fait des années que je suis la carrière de Kleber Mendonça Filho. Mon idée était faite et un bassin de films m’inspirait. Je voulais élargir le sens du terme « résistance à l’écran » en parlant de résistance sociale, politique, artistique, mais aussi de celles des genres et des sexes. La résistance des communautés qui résistent aux injustices, certes, mais aussi la résistance au-delà, dans la vie de tous les jours, dans tous ces aspects.

On a rassemblé des films issus d’un milieu réellement complexe, mais il y a tellement d’enjeux. Que l’on pense aux Premières Nations, aux problèmes environnementaux, au racisme et aux enjeux politiques. Évidemment, la place de la femme à travers le temps et les images m’interpellent. Dans cet esprit, j’espère que vous aimerez notamment le personnage de Linn Da Quebrada dans le documentaire Bixa Travesty qui attaque le machisme brésilien et qui risque encore de secouer les stéréotypes et tabous de quelques conservateurs, brésiliens ou d’ailleurs.

 

À titre de programmatrice, à quel film ou événement spécial êtes-vous particulièrement fière d’être associée ou d’avoir même initiée ?

Laura Rohard — J’ai beaucoup travaillé au développement de la section Le Campus, un talent lab dont je suis très fier. Notre but est de créer une démarche pour outiller, former et faire réseauter les jeunes réalisatrices. Rencontrer des collègues francophones provenant de partout au Canada et voir des conférences sur plein de sujets, de la production à la photographie, de la scénarisation à la réalisation, en passant par les outils de développement et de financement d’un projet. C’est un projet qui accueille du beau monde et a bien su migrer en ligne cette année.

Lien vers LE CAMPUS 2020 : https://www.fcvq.ca/campus

 

 

Photo : Photobox Studio

 

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