FANTASIA 2024 – Entrevue avec Marc Lamothe, programmateur à Fantasia et directeur de la section «Genre du Pays»
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GENRE DU PAYS : une entrevue avec Marc Lamothe, créateur et directeur de cette section toujours aussi surprenante
La section «Genre du pays» est de retour cette année pour partager des œuvres québécoises que le temps et l’histoire ont oublié, négligé ou même snobé. Nous avons demandé à celui qui en a eu l’idée, de nous présenter sa sélection 2024.
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CTVM.info — Parlez-nous un peu de la section «Genre du pays» que l’on retrouve dans le cadre du Festival international de films Fantasia?
Marc Lamothe — Je suis un grand curieux et amoureux du cinéma québécois. J’aime particulièrement les vieux films qui, pour moi, représentent de magnifiques capsules du temps. Ces vieux films nous permettent de retrouver le Québec dans une époque souvent révolue. On y reconnaît la mode, la musique, des manières de parler et des quartiers iconiques qui ont très souvent changé. On y retrouve des acteurs maintenant connus dans des rôles lorsqu’ils étaient plus jeunes. Après une dizaine d’années, la qualité d’un film m’importe peu s’il me fait voyager dans le temps et dans l’espace. Nous avons tendance à vénérer les chefs-d’œuvre, mais à négliger l’ensemble des films produits au Québec. J’ai donc créé une section où l’on célèbre tous les genres et tous les films rétros sans discrimination.
Disons qu’à mes yeux, La petite Aurore, l’enfant martyre (1952) est aussi important au patrimoine qu’une œuvre édifiante comme Un Zoo La Nuit. Ainsi, Aurore nous parle d’une réalité rurale à l’époque de l’obscurantisme religieux en mode mélodramatique alors que Un Zoo La Nuit est un portait saisissant d’un certain Montréal cosmopolite des années 80 à l’ère des films aux looks de publicité, mais le tout aussi baigné dans le genre mélodramatique. J’aime croire que je suis un peu comme l’Indiana Jones du film québécois qui s’emploie à retrouver des films rares, oubliés, négligés ou snobés.
CTVM.info — Est-il important pour vous de présenter des copies originales?
Marc Lamothe — Sincèrement non. L’important est de pouvoir partager le film, le montrer. Mais comme nous travaillons ici avec du matériel muséal, je n’aimerais pas savoir qu’une copie originale a été égratignée, abîmée ou malmenée lors d’une projection ou lors du transport. Je préfère de beaucoup que l’on numérise la copie originale et présenter ensuite cette numérisation sur DCP. Si la copie était abîmée lors d’une projection, c’est tout notre patrimoine qui y perdrait quelque chose.
CTVM.info — Quel est le film dont vous êtes le plus fier de présenter cette année dans cette section?
Marc Lamothe — Il y en a deux en fait. Tout d’abord, ON N’ENGRAISSE PAS LES COCHONS À L’EAU CLAIRE de Jean Pierre Lefebvre dont il n’existe qu’une seule copie et CHANSON POUR JULIE (1976) de Jacques Vallée dont seules deux copies ont été tirées à l’époque.
J’adore Jean Pierre Lefebvre et son cinéma. Sa démarche dans les années 60 me rappelle un certain Jean-Luc Godard avec un mélange de subversion, de cinéma-vérité et de clins d’œil complice au public qui sait très bien qu’il regarde un film et non une tranche de vie. Il peut être baveux comme c’est le cas de ses films avec Raoul Duguay ou Robert Charlebois et Mouffe, comme il peut avoir un regard tendre comme dans MON AMIE PIERRETTE. Pour ON N’ENGRAISSE PAS LES COCHONS À L’EAU CLAIRE, il n’existe qu’une seule copie 35mm qui est aux archives de la Cinémathèque, mais comme nous n’y avons pas eu accès, je me suis retourné vers les archives nationales d’Ottawa où j’ai retrouvé la copie 16mm originale qui avait été boostée en 35mm pour sa présentation en salle. Nous avons donc dû numériser le 16mm et le convertir numériquement en 35 en lui imposant un ratio de 1 :85 pour respecter la volonté originale de son créateur. Film d’hiver en noir et blanc, tourné en 16mm à Gatineau et gonflé en 35mm pour accentuer la sloche, le grain et la saleté de l’hiver en fin de saison.
Le choix de CHANSON POUR JULIE est un heureux hasard. Roland Smith, qui est détenteur des droits des films produits par Pierre Lamy, me donne un coup de fil après la mort de Jean-Pierre Ferland pour me dire qu’il existe un film écrit et interprété par le chanteur qui en signe aussi la musique. Qui plus est, le film a été tourné sur sa ferme. Le film est sorti timidement sur deux écrans en 1976 et semblait avoir disparu de notre mémoire collective. Mais c’est de mal connaître Roland Smith, réelle encyclopédie vivante du cinéma mondial. Le film est un drôle d’OVNI mélodramatique, certes, mais la direction photo en 16mm de François Protat est magnifique et la bande sonore signée Ferland est très réussie. Et c’est une des seules chances de voir Ferland sur grand écran et découvrir ce film obscur avant qu’il ne retourne dans une voûte.
CTVM.info — Vous présentez aussi LA LOI DU COCHON d’Érik Canuel. Que pouvez-vous nous dire sur ce film?
Marc Lamothe — Au mois de janvier dernier, nous avions décidé Pierre Corbeil et moi de remettre un prix de carrière à Érik Canuel, car nous savions qu’il se battait contre un cancer vicieux. À ce moment, Érik tenait à venir au festival pour recevoir ce prix en personne. Sa santé le lui permettait à ce moment, mais voilà, en mai et juin, sa santé a dramatiquement chuté. J’ai quand même eu la chance de lui remettre son trophée à l’hôpital. Il était si ému de voir qu’on souligne ainsi son œuvre, lui qui n’avait gagné aucun prix, aucun trophée et aucune médaille. Et comme il existe une longue histoire d’amitié entre Érik et Fantasia, cet hommage le touchait au plus haut point.
Le film LA LOI DU COCHON, son premier long métrage, sera présenté en copie 35mm en présence des acteurs du film et de certains amis et collaborateurs. Pour cette séance spéciale, son ami Pierre Gill a accepté de restaurer pour nous certains vidéoclips que Canuel avait réalisés dans les années 90. On retrouvera Sass Jordan, Vilain Pingouin, Sylvain Cosette et Paul Piché. Érik adorait son père, le comédien Yvan Canuel qu’il a pu diriger dans deux de ses clips. Érik et Yvan auront sûrement beaucoup de plaisir à regarder cet hommage d’en haut.
CTVM.info — Vous présentez aussi trois films québécois anglophones des années 70 et 80. Parlez-nous un peu du cinéma québécois anglais ?
Marc Lamothe — Le plus important des trois est certes THE RUBBER GUN d’Allan Moyle, interprété et coscénarisé par Stephen Lack. La copie présentée a été récemment restaurée par Canadian International Picture (CIP), un label de Toronto avec lequel je collabore régulièrement et qui se spécialise dans le cinéma de genre canadien, et dont plus de la moitié du catalogue vient du Québec. Allan « Bozo » Moyle est un scénariste, réalisateur et acteur québécois qui a réalisé un seul long métrage ici à Montréal avant de migrer aux États-Unis pour y devenir Allan Moyle et réaliser notamment les succès TIMES SQUARE, PUMP UP THE VOLUME et EMPIRE RECORDS. Au début des années 1970, il collabore avec Frank Vitale sur MONTREAL MAIN et EAST END HUSTLE. Les personnages principaux de THE RUBBER GUN étaient d’ailleurs déjà présents dans MONTREAL MAIN, un autre film expérimental mariant cinéma-vérité, codes des films d’exploitation et faux documentaire. Une démarche qui rappelle les premières œuvres de Robin Spry, John Cassavetes ou Jim McBride. Imaginez un film de gangsters minables, en temps réel et filmé sans artifice.
THE CARPENTER et L’INDOMPTABLE (VF de The Snake Finger) sont deux films qui ont su se forger un culte à l’ère du VHS. THE CARPENTER (1988) de David Wellington est un film de fantôme étonnamment original et résolument délirant pour les bonnes et les mauvaises raisons. Le film sera présenté en présence du scénariste Doug Taylor (qui signait ici son premier scénario) et de Pierre Bündock, le BÜNDOCK du groupe du même nom qui a signé la musique du film. Amateurs de synthétiseurs DX7, soyez avertis ! En complément de programme, nous en profiterons pour présenter trois vidéoclips de Bündock, dont l’un réalisé par François Girard et deux par un certain Denis Villeneuve.
L’INDOMPTABLE (1989), version française de THE SNAKE EATER, est un film d’action tournée à Montréal et au Nouveau-Brunswick. Le film est co-produit et distribué par Cinépix. Nous en profiterons d’ailleurs pour remettre le Prix Denis-Héroux à André Link et John Dunning. Greg Dunning, fils de John, recevra le prix au nom de son père. Le prix Denis-Héroux souligne une contribution exceptionnelle à la production et à la diffusion du cinéma de genre québécois et du cinéma indépendant d’ici. Le film sera présenté en présence de Chris Leblanc, assistant de production et d’Alain Zouvi, la voix québécoise de Lorenzo Lamas dans cette franchise. Le film sera projeté dans sa version doublée en français « international » afin de souligner la présence d’Alain Zouvi dans la salle.
CTVM.info — En terminant, que pouvez-vous nous dire de LA NUIT AVEC HORTENSE ?
Marc Lamothe — LA NUIT AVEC HORTENSE est un drame poétique et onirique réalisé par Jean Chabot, cinéaste, documentariste, scénariste et ancien chroniqueur au journal Le Devoir. J’aime ce genre de film indépendant filmé en huis clos. On y reconnaît l’esthétique des films québécois de la fin des années 80. Le film mérite notre attention pour la rencontre de Lothaire Bluteau et Carole Laure, pour les dialogues poétiques de Jean Chabot, la magnifique direction photo de Daniel Jobin et pour la bande sonore signée Richard Desjardins. Le film est devenu presque invisible, parce qu’après sa courte sortie montréalaise dans deux salles, le film n’a pas été numérisé et n’a donc pas connu une vie numérique (DVD et VHS).
GENRE DU PAYS 2024 en photos
Jean-Pierre Ferland, THE CARPENTER, Denys Arcand et Maryse Pelletier, LA LOI DU COCHON, ON N’ENGRAISSE PAS LES COCHONS À L’EAU CLAIRE, THE RUBBER GUN, THE SNAKE EATER, LA NUIT AVEC HORTENSE
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