Geneviève Dulude-De Celles en route pour Berlin avec « Une Colonie »

« Je trouve que l’enfance, l’adolescence sont des périodes de passage qui sont captivantes » 

Une entrevue de Geneviève Dulude-De Celles par Charles-Henri Ramond

En 2014, son court métrage La coupe était allé à Sundance où il avait remporté le prix du Meilleur court métrage international.

L’année suivante, son documentaire Bienvenue à F.L. avait mis la main sur le prix du meilleur espoir aux RIDM. En 2018, son premier long métrage de fiction Une colonie remporte deux prix lors du Festival de cinéma de la ville de Québec, dont le Grand prix de la compétition, et plusieurs autres au FICFA et à Whistler. Et bientôt, un passage au prestigieux festival de Berlin, juste après sa sortie en salle le 1er février. Rencontre avec Geneviève Dulude-De Celles, une jeune cinéaste dont on n’a pas fini de parler…

Bande-annonce : 

 

Après ton long métrage documentaire Bienvenue à F.L., tu retrouves le thème de l’adolescence. En quoi l’approche de fiction a-t-elle été différente et à quel point le premier film a-t-il influencé le second?

Ce projet a été pensé et écrit alors que j’étais en recherche et en tournage de Bienvenue à F.L., donc il y a forcément eu une influence de l’un sur l’autre. Mais en fait l’élément déclencheur, c’est mon court-métrage La coupe, dont le personnage principal était une jeune fille de douze ans, en transition entre l’enfance et l’adolescence. Donc, c’est deux projets-là m’ont mené naturellement vers Une colonie. En fiction, il y a des choses que l’on peut aborder narrativement que l’on ne peut pas aller chercher en documentaire. Ce que je voulais aller chercher dans ce film, c’était l’intimité de mon personnage. Je voulais la placer dans un contexte où on la voit à l’abri des regards. Cela m’interpelle beaucoup cette proximité avec les protagonistes. Après La coupe et Bienvenue, je sentais que je n’avais pas épuisé le sujet. À la manière de chercheurs qui passent des années à développer un sujet. Il y a une suite logique dans ces trois films. Mon prochain projet, par contre, ne traite pas du tout de ce sujet. C’est une fiction, mais dans un tout autre cadre. Mais ça ne veut pas dire que je ne reviendrai pas à ce sujet. Je trouve que l’enfance, l’adolescence sont des périodes de passage qui sont captivantes. Il y a beaucoup de changements, de transformations. Et au cinéma, la base d’une histoire c’est le cheminement du personnage. Donc ces âges-là offrent des terreaux riches pour écrire des histoires.

Une colonie nous rappelle le sens de la communauté, ici un village tricoté serré, mais nous évoque aussi la colonisation, le passé historique du Québec. D’ailleurs tu intègres une forte composante autochtone dans ton film. En quoi ce rappel à notre histoire était-il si important pour toi?

L’éveil à soi par l’éveil à l’autre était quelque chose de très important pour moi, car au final, on peut établir des parallèles entre l’histoire de Mylia et notre histoire collective. À cet âge, on cherche les influences, se coller à un groupe, ou parfois, on se retrouve plus dans la minorité, dans la singularité. Moi aussi j’ai été cette petite fille. J’habitais dans un rang de campagne dans une communauté très blanche et francophone. Des fois je me faisais traiter d’étrangère parce que nous venions de Montréal et que j’ai un nom étrange… rires. À deux pas de chez moi se trouvait Odanak, qui est la réserve abénaquise qui est dans le film. Mon premier regard par rapport à cette communauté, c’était la méfiance. Je voulais plutôt me rallier à la majorité plutôt que de me rapprocher à ces jeunes qui étaient marginaux par leurs origines. Adulte, j’ai eu la chance de travailler pour le Wapikoni Mobile, et j’ai séjourné dans une communauté innue de la Côte-Nord pendant plusieurs semaines. Ça a été un choc pour moi, en ce sens que cela a complètement chamboulé ma vision de ces peuples. Donc ce changement de perspective de Milya part d’un questionnement personnel sur l’identité québécoise, sur les Premières Nations et comment on se définit par rapport à ça. Le cours d’histoire que l’on voit dans le film nous permet d’approcher cette dimension-là.

Si l’on connait bien Émilie Bierre, on ne sait rien des jeunes acteurs qui l’entourent. Comment les as-tu trouvés?

Le casting était pour moi quelque chose de très important. On s’y est pris d’avance et au total, le pour Une colonie il a duré cinq mois. Ça a été une opération très laborieuse, car je voulais aller au-delà des agences pour chercher d’autres types de personnalités. Je sortais de Bienvenue à F.L., pour lequel j’avais fait quarante heures d’entrevues avec 200 jeunes. J’avais encore en tête les accents, le parler particulier… Et c’était important, car avec mon passé documentaire, je voulais garder Une colonie très fortement ancré dans la région. Donc a fait du casting sauvage dans plusieurs villes de la région, on a même eu du monde de Québec qui sont venus nous voir. On a fait des appels sur les réseaux sociaux, dans les journaux… Au total, on a rencontré près de 600 jeunes! Une amie comédienne, Ariane Castellano, nous a beaucoup aidés sur ce processus, elle aidait à donner la réplique, à les mettre à l’aise lors des répétitions. Donc au final, il y un mélange de comédiens d’agence et de jeunes qui en sont à leur première expérience. Émilie c’est une actrice super solide, elle a beaucoup d’expérience puisqu’elle a eu son premier rôle à cinq ans (dans Catimini de Nathalie Saint-Pierre en 2012, NDLR). Je dirais juste que c’est une fille prodigieuse! Elle a beaucoup de maturité. On a beaucoup travaillé ensemble sur ses répliques, pour que ça sonne moins « bien dit ». Elle s’est énormément investie, car elle était très attachée au rôle qui lui rappelait aussi un peu de son vécu. Elle comprenait parfaitement le cheminement intérieur de Milya.

C’était ton premier long métrage de fiction. Je suppose que ça a dû être très différent de ton précédent film?

Oh oui! Pour Bienvenue à F.L., j’avais quarante jours de tournage, une mini équipe composée de moi, deux directeurs photo et un preneur de son et c’est tout. C’est ma mère qui nous faisait les lunchs, c’est moi qui conduisais la van pour aller à Sorel… rires… Dans un contexte de fiction avec une équipe de quarante personnes, on ne peut pas dépasser les horaires pour des raisons de coûts, et donc au risque de devoir couper ailleurs. C’est une logistique de gestion de temps qui m’a bousculé, mais j’ai énormément appris. Pour moi, c’était énorme! Ça a été très confrontant et ça m’a sorti de ma zone de confort… Le plus beau moment c’est quand j’ai pu partager le film avec l’équipe. Là je me suis dit, ça y est c’est fini, le film va pouvoir vivre sa vie en dehors de moi!

C’est fini, oui, mais ton film va à Berlin dans les jours qui viennent. Comment as-tu eu connaissance de la nouvelle et quelle a été ta réaction?
J’ai reçu un courriel début novembre. Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais dans un café avec des gens autour de moi. Quand j’ai reçu le courriel, j’ai comme pleuré-rit en même temps, j’ai dû paraître très bizarre aux yeux de mes voisins… rires. On était enchanté de notre prix au FCVQ, mais que le film puisse rejoindre des étrangers… c’est vraiment très flatteur.

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