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Marc Lamothe s’entretient avec l’historien, auteur et critique Sylvain Garel.

Publié le 2 août, 2024
Publié le 2 août, 2024

À la veille d’une table ronde à FANTASIA sur la personnification du felquiste au cinéma québécois, Marc Lamothe s’entretient avec l’historien, auteur et critique Sylvain Garel.

En octobre 2023, Sylvain Garel, historien, professeur, critique français et politicien, lançait un livre imposant intitulé Le FLQ dans la cinématographie québécoise. 25 ans de recherches et 25 mois d’écriture ont été nécessaires pour produire cette œuvre massive. On y recense plus de 250 films (fictions et documentaires) qui évoquent ou citent les fameux événements d’octobre. Il a enseigné le cinéma québécois pendant deux décennies à l’Université Paris-Diderot, a fondé et dirigé dans les années 1990 le Festival du cinéma québécois de Blois et a coorganisé l’importante rétrospective « Les cinémas du Canada » au Centre Pompidou. À la veille d’une table ronde à FANTASIA sur la personnification du felquiste au cinéma québécois, nous avons voulu revenir un peu sur le livre, sa préparation et tenter de comprendre pourquoi un Français s’est tant intéressé à une époque aussi trouble du Québec.

 

CTVM.info — Quel a été le premier film québécois que vous avez vu et quel souvenir en gardez-vous ?

Sylvain Garel — Probablement La mort d’un bûcheron de Gilles Carle, dont les films ont rencontré un certain succès en France au début des années 1970. Le souvenir est lointain, mais j’ai retenu une impression de liberté et de sensualité. Et la beauté de la nature…

En quoi le cinéma québécois se distingue selon vous du cinéma français ou européen ?

Le cinéma québécois entretient, surtout au XXe siècle, un lien unique avec l’histoire du Québec et l’évolution des mentalités de sa population. En tant qu’historien de formation, j’ai été sensible à cet aspect.

Quels ont été les premiers auteurs et essayistes sur le cinéma que vous avez lus et qui vous ont inspirés ?

Lorsque j’ai fondé au début des années 1990 le Festival du cinéma québécois de Blois, première manifestation récurrente à l’étranger uniquement consacrée à cette cinématographie, j’ai acquis la première édition du Dictionnaire du cinéma québécois de Michel Coulombe et Marcel Jean. Une mine d’informations pour moi qui avais encore une connaissance très parcellaire de ce cinéma. Depuis, les auteurs sont devenus des amis. Ils m’ont beaucoup aidé, chacun à leur manière, dans l’élaboration de mon ouvrage récent sur Le FLQ dans la cinématographie québécoise.

Parlez-nous un peu de votre relation avec Francis Simard et Pierre Falardeau ? Leur rencontre a-t-elle été le point de départ de votre réflexion sur le sujet du FLQ dans le cinéma québécois ?

Lors de la première édition du Festival du cinéma québécois de Blois, en 1991, je sélectionne comme film d’ouverture Le party. J’invite son réalisateur, Pierre Falardeau, et celui lui ayant inspiré cette histoire, l’ancien felquiste Francis Simard. Je me lie rapidement d’amitié avec eux et nous nous voyons à plusieurs reprises des deux côtés de l’Atlantique. Nous parlons de cinéma, mais aussi de politique et bien sûr du FLQ. Je partage beaucoup de leurs idées et de leurs analyses. Leurs disparitions prématurées m’attristent énormément. Ils me manquent et, je le pense, manquent beaucoup au Québec. C’est à eux deux que mon livre est dédié.

D’où vous vient en fait cet intérêt envers le FLQ, les événements d’octobre et le mouvement indépendantiste québécois ?

En tant qu’écologiste de tendance libertaire depuis le milieu des années 1970, j’ai toujours été sensible aux luttes des minorités nationales. Que ce soit les Bretons (mes lointaines origines), les Basques, les Corses, les Irlandais et, bien sûr, les Québécois. Et bien que non violent, j’ai toujours eu de l’intérêt et une certaine fascination pour ceux qui allaient jusqu’au bout de leurs engagements en se lançant dans des actions illégales et parfois violentes. Quand j’ai commencé à m’intéresser au Québec et à son histoire, j’ai logiquement lu plusieurs livres sur le FLQ, dont celui de Louis Fournier, FLQ Histoire d’un mouvement clandestin, l’ouvrage de référence sur le sujet. C’est d’ailleurs Louis, que je ne connaissais pas, qui, via des échanges de courriels, m’a incité à reprendre mes recherches sur les liens entre cette organisation et le cinéma. Il a écrit la préface de mon livre. J’en suis très fier. Tout comme de la postface signée par Félix Rose dont le remarquable documentaire sur son père et son oncle, Les Rose, lui a permis d’accumuler des centaines d’heures d’images. Avec beaucoup de générosité, il a partagé le fruit de ses recherches et m’a fait découvrir des raretés que, sans lui, je n’aurais jamais pu voir. J’ai aussi bénéficié des connaissances d’un grand cinéphile, Michel Martin, recherchiste sur le film de Jean-Claude Labrecque (autre ami disparu), Le RIN.

25 ans à la recherche et 25 mois d’écriture. Parlez-nous un peu des diverses étapes d’une œuvre aussi épique ?

À la fin des années 1990, il y a donc 25 ans, je poursuivais des études supérieures en cinéma. Je cherchais un sujet pour ma thèse. Travailler sur le FLQ et le cinéma québécois était pour moi un moyen de concilier quatre de mes passions : l’histoire, le cinéma, la politique et le Québec. Au tout début des années 2000, sous la direction de Jean Gili, professeur de cinéma à La Sorbonne, j’avais repéré une bonne soixantaine de films et accumulé beaucoup de documentation sur le sujet. J’allais me mettre à rédiger quand mes camarades écologistes m’ont désigné tête de liste aux élections municipales dans le 18e arrondissement de Paris. Élu en 2001 et réélu en 2008, je deviens Conseiller de Paris, puis président du groupe des élus écologistes. Je n’ai alors plus le temps d’écrire une thèse. Mais je continue à voir des films québécois et à collecter des informations sur mon sujet de prédilection. C’est la pandémie de COVID-19 qui me donne enfin le temps de reprendre ce travail inachevé. Plus de deux ans d’écriture avec le soutien constant des éditions Somme toute et de mon directeur littéraire, Ralph Elawani, furent nécessaires pour accoucher de ce livre de plus de 600 pages.

Bien qu’académique comme démarche, le livre se lit et se déploie comme un roman. La lecture se veut autant accessible que factuelle. Est-ce que cet aspect est important pour vous ?

À partir du moment où ce n’était plus une thèse universitaire, j’ai voulu faire un livre qui soit accessible au plus grand nombre et en particulier à ceux qui, d’une part, s’intéressent à la singulière histoire du FLQ et à ceux qui aiment le cinéma québécois. Je suis très heureux des retours extrêmement positifs de ceux qui l’ont lu et de l’accueil que m’ont réservé les médias québécois.

Pourquoi s’intéresser à la politique québécoise plutôt qu’à la politique européenne au cinéma ? Pourquoi le FLQ et non le mouvement nationaliste basque ou l’Armée républicaine irlandaise (IRA) qui comptent aussi sur un grand nombre d’œuvres cinématographiques ?

C’est une série de hasards qui m’ont fait découvrir et aimer le Québec et son cinéma. Je trouve injuste que les Français s’intéressent assez peu en fin de compte au destin de ces francophones nord-américains. J’ai voulu faire mieux connaître la culture et l’histoire de ce peuple résilient et amoureux de notre langue commune et légèrement différente.

Croyez-vous qu’en France, la personnification du felquiste soit plus « romantique » qu’ici au Québec ?

En France, malheureusement, très peu de gens ont entendu parler du FLQ. La preuve : un seul long métrage de fiction français, qui plus est coproduit avec le Canada, évoque brièvement l’organisation clandestine québécoise. Il s’agit de L’Instinct de mort, la première partie du diptyque sur Jacques Mesrine.

Vous préparez une nouvelle édition du livre. Plus de cinq longs métrages et documentaires abordent ou mentionnent le FLQ depuis la sortie du livre à l’automne 2023, dont Testament de Denys Arcand, et Le huitième étage, jours de révolte de Pedro Ruiz. Qu’est-ce qu’il reste à dire selon vous sur le sujet ?

Le livre se vendant bien au Québec — il est presque épuisé — nous avons décidé avec mon éditeur de préparer une réédition qui pourrait paraître dans quelques années. Depuis sa publication en octobre 2023, sont sortis une dizaine de films québécois évoquant le FLQ. En plus de ceux que vous citez, je mentionnerais Se fondre de Simon Lavoie ou La bataille de Saint-Léonard, le nouveau et formidable documentaire de Félix Rose. Surtout, j’ai poursuivi mes recherches ces derniers mois. D’une manière plus systématique. Et quand on cherche, on trouve. J’ai vu ou revu tout le catalogue de la remarquable plateforme Éléphant qui a restauré des centaines de longs métrages de fiction québécois, puis je me suis lancé à l’assaut de l’immense catalogue en ligne de l’ONF. Cela m’a permis de trouver une cinquantaine de films supplémentaires où le FLQ figure d’une façon ou d’une autre. Je vais donc pouvoir rédiger un ouvrage plus complet, plus précis et encore plus épais…

 

En 2023, l’auteur Sylvain Garel lançait l’ouvrage Le FLQ dans la cinématographie québécoise aux éditions Somme toute. Alors qu’il prépare une nouvelle édition de cet ouvrage, Marc Lamothe a décidé de saisir l’occasion et de discuter avec lui de la représentation du FLQ dans le cinéma québécois, tant en fiction qu’en documentaire. À cette occasion, une table ronde a été organisée avec Félix Rose, fils de Paul Rose et réalisateur du film LES ROSE (2020) et de la série LE DERNIER FELQUISTE (2020), Mathieu Denis, réalisateur de CORBO (2015), et Luc Picard, acteur dans OCTOBRE(1994) de Pierre Falardeau.

Il n’y aura pas de Q&A à la fin de cette activité.

Ce dimanche 4 août, à 15 h, à la Cinémathèque québécoise | ENTRÉE GRATUITE

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