Martin Genois, directeur général du Festival du cinéma de la ville de Québec, s’entretient avec Marc Lamothe
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Martin Genois, directeur général du Festival du cinéma de la ville de Québec qui vient de se terminer, s’entretient avec Marc Lamothe des enjeux et défis qui l’ont occupé au cours de la dernière année.
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Martin Genois a succédé à Ian Gailer, à titre de directeur général du FCVQ en 2021. Gestionnaire comptant plus de 20 ans d’expérience, il a principalement œuvré au sein de Gestev, une firme spécialisée dans l’organisation et la gestion d’événements et de spectacles de toute envergure ainsi qu’en développement des affaires, tout en travaillant en parallèle avec Ex Machina, la compagnie de Robert Lepage, entre 1998 et 2011.
Rappelons que le FCVQ a organisé une édition complètement en ligne en 2020 et s’est vu obligé d’annuler son édition de 2021 dû à un cumul de facteurs adverses tels : la pandémie, l’incertitude du contexte et le retrait des soutiens financiers de la ville de Québec. Nous avons voulu parler avec Martin Genois de cette nouvelle édition 2022 en présentiel, de l’étape de sa préparation jusqu’à son bilan de clôture.
Parlez-nous un peu de ce qui vous branche personnellement à titre de cinéphile?
Dans l’univers de la fiction, j’aime le travail de réalisateurs comme Martin Scorsese et Quentin Tarantino qui proposent des films bien écrits, de solides performances d’acteur et parfois un caractère un peu irrévérencieux. Mais ce qui m’importe au cinéma, c’est d’abord d’apprendre des choses, de découvrir des trucs, et ce, tant dans la fiction que dans le documentaire. Un film comme ICARUS (2017) de Bryan Fogel par exemple me parle beaucoup. Je suis du genre à mettre un film sur pause et de vérifier certains trucs en ligne, en savoir plus sur le sujet ou le contexte. Le pouvoir du cinéma est énorme en ce sens, prendre conscience d’un sujet et poursuivre les recherches et les réflexions. Je regarde beaucoup plus de documentaires que de fiction. J’aime notamment tout ce qui porte sur la politique américaine et la politique internationale. Étant papa de deux jeunes filles, je me surprends à regarder beaucoup de films avec elles et être impressionnés par la qualité de ce qu’on leur propose aujourd’hui. On en discute après en famille et c’est très stimulant. Ces films m’accrochent autant qu’ils intéressent mes filles. J’ai l’impression que la barre a montée depuis ma propre enfance.
On vous connait surtout pour votre implication dans l’événementiel. Quelles différences fondamentales voyez-vous entre l’événementiel et un festival international de films?
J’ai touché aux événements culturels, aux arts vivants comme la danse, la musique et le théâtre et les événements sportifs. Un grand événement sportif n’a pas vraiment rien de comparable avec un festival de films. Pour avoir travaillé longtemps avec Robert Lepage, j’ai vu de nombreux festivals autour du monde et ce qui m’est vite apparu, c’est le niveau d’engagement des communautés et du milieu autour des festivals de films. J’y perçois un attachement viscéral envers le festival de chacune des régions. Dans le secteur du cinéma, ce qui caractérise en partie la communauté c’est la passion de créer et la passion de partager. Je sens la flamme qui brûle car de nombreux créateurs ne peuvent vivre de leur art, alors ils semblent motivés par quelque chose de plus fort que l’aspect financier. Ce qui me semble important aussi réside dans le fait que les festivals de film au Québec font vivre des œuvres qui ne prendront peut-être pas l’affiche commercialement. Certains films n’existent qu’en festival et c’est important de les diffuser sur grand écran. Dans l’écosystème québécois actuel, les festivals sont un maillon essentiel dans la vie d’un film.
Vous avez relancé la nouvelle mouture du FCVQ en avril dernier avec une grande rencontre avec Oliver Stone? Avec le recul, que retenez-vous de cet événement?
Pour rendre le tout humoristique, je dirais que ça été enrichissant sur le plan humain et professionnel. J’ai réalisé que je ne ferais jamais de politique dans la vie. Il faut se rappeler que nous avions invité un réalisateur et son équipe pour présenter un film, JFK REVISITED: THROUGH THE LOOKING GLASS, mais sa présence a généré un tourbillon d’opinions polarisées. La controverse n’est pas dans ma nature et je ne crois pas qu’elle soit souhaitable pour aucun festival. Notre métier est d’éviter toute controverse car on travaille avec de nombreux partenaires et commanditaires. On a essayé de créer un événement qui était représentatif de nos valeurs. Une rencontre à trois volets où le public était convié à chacun de ceux-ci. Jean-François Lépine a fait un travail formidable et il avait les coudées franches pour sa grande entrevue. Personne ne cherchait à glorifier cet homme, mais nous voulions comprendre son processus et lui poser les bonnes questions et aller au fond des choses. Nous sommes à travailler sur un court documentaire sur cette visite et plusieurs vont mieux comprendre nos intentions. Je ne me considère pas comme membres du club des mal cités, mais je crois que certains observateurs ont pris des raccourcis intellectuels pour critiquer le passage de Stone à Québec alors qu’ils ne sont pas venus à l’événement et ainsi n’ont peut-être pas pu saisir notre démarche. Nous ne pouvions pas nous limiter à la dimension artistique d’Oliver Stone, nous devions absolument considérer sa dimension politique et je crois que nous l’avons fait avec discernement.
Mon point du vue sur le travail de l’artiste en documentaire est de saisir d’abord toutes les prérogatives et les démarches inhérentes à la construction d’un film. Quand je pense à son documentaire avec Poutine, je me dit que pour aller chercher 50 heures de tournage avec un tel individu, tu dois jouer la carte de la complicité pour le faire parler. Il ne se serait jamais confié à un intervieweur confrontant. Il y a une part de jeu si on veut avoir accès au Kremlin, sinon il n’aurait probablement pas tourné une demi-heure en tentant de le peinturer dans un coin. Il est peut-être allé trop loin dans la démarche, j’ai eu des malaises énormes à regarder la série, mais j’ai l’impression d’avoir eu accès aux patterns de la pensée de cet homme autrement inaccessible. On a l’impression de comprendre quels mots il utilise et comment il nous ment. On peut critiquer Stone d’être un proche de Poutine, mais je pense que c’est de ne pas comprendre le métier de documentariste.
Après une année de pause, vous êtes de retour avec une édition de quatre jours entièrement québécoise. Parlez-nous un peu de ce choix artistique?
Nous avons monté cette édition en équipe et nous nous sommes questionnés sur les valeurs de l’organisme, de notre mission, de notre raison d’être et de comprendre à qui nous nous adressions. Paul Landriau avait une tâche colossale qui l’attendait et je suis solidaire de tous les choix de son équipe. Jamais je n’ai tenté de m’ingérer dans la dimension artistique de son travail. Revenir après un année d’absence n’est jamais évident, mais je tiens à préciser que le choix de faire une édition complètement locale est un aspect que nous considérons très positif. On voulait donner le spotlight aux jeunes créateurs qui en ont bavé au cours des deux dernières années. Le festival cherche à créer un moment magique tant pour le public que pour les réalisateurs et j’espère que tous repartiront en se disant, wow j’étais là et j’ai eu du plaisir!
Stratégiquement, le festival compte-t-il revenir l’an prochain à une édition internationale avec une compétition de calibre internationale?
Nous souhaitons revenir à une formule internationale et nous préparons des annonces en fin de festival quant à la prochaine édition. Pendant la pandémie, nous avons réfléchi stratégiquement à l’avenir du festival et avec l’aide de notre conseil d’administration, on a développé un super beau projet qu’on a hâte de partager. Nous avons la chance d’avoir un conseil d’administration vraiment impliqué et dévoué et ensemble on cherche à réinventer le genre et la formule. On va, entre-autre, tenter d’éviter d’être pris dans le Traffic de la rentrée culturelle mais aussi en bout de course des marathons festivaliers de Québec. La stratégie précédente était axée sur une volonté de s’insérer dans une période de sortie de films. En septembre, c’est aussi la rentrée scolaire pour les parents et étudiants et tout le monde coure de toute part et tous côtés.
Un des problèmes de la ville de Québec est le manque de salle de projection. Ça fait un an que nous travaillons à financer la salle Le Diamant d’un projecteur DCP pour avoir un écran digne de ce nom au festival avec un vrai kit de son et offrir une qualité de projection incomparable. La nouvelle salle Le circuit Beaumont est aussi un très bon pas dans cette direction. La question de la compétition n’est toujours pas arrêtée, mais avec un projet mobilisant et un parc de salles de diffusion de qualité, nous avons un bon potentiel, je crois.
Outre votre nouvelle entente triennale avec la Ville, que pouvez-vous nous dire sur la recherche de commanditaires dans l’ombre d’une potentielle huitième vague de la COVID?
D’une part, nous sommes un événement ponctuel et il s’avère très difficile de convaincre les grands partenaires d’investir sur un festival d’une courte période. La tendance est de donner son nom à un événement sportif professionnel à haute visibilité ou à une grande salle de spectacles ou des édifices comme le centre Telus de l’université Laval. Ils cherchent des valeurs sures et à long terme. Ils cherchent à se coller à des tremplins qui feront vivre leur nom à l’année, pas juste à un moment précis dans le temps. Le défi pour nous reste entier. Quand il y a plusieurs grands festivals dans la même ville, nous nous battons tous pour convaincre la même poignée de grands commanditaires ou la question semble être, qu’est-ce que tu m’offre de plus qu’un tel ou un autre.
C’est une guerre de chiffres où les festivals plus nichés qui n’attirent pas les mêmes masses critiques partent désavantagés. Au niveau des revenus autonomes, il faut vendre un nombre incroyables de billets, de bières et de produits dérivés pour faire des sous. La capacité d’un festival de films à s’autofinancer ou à générer des revenus importants est différente d’un événement musical attirant 30 000 ou 40 000 personnes. Je pense qu’on est souvent évalué selon cette même grille d’analyse par les commanditaires, partenaires et décideurs alors que la donne est différente pour nous que le festival d’été ou les feux Loto-Québec. La question à poser aux commanditaires et les bailleurs de fonds est « Est-ce que le cinéma est important pour vous?
Votre festival chevauchait le TIFF cette année. Croyez-vous que cette coexistence ait nuit à la couverture médiatique provinciale et oublier les gens des institutions à faire des choix entre les deux festivals quant aux visites officielles aux événements d’ouverture?
Non, pas vraiment car cette coexistence a toujours fait partie de la gymnastique de notre festival. Pour le film d’ouverture, nous avons reçus des gens de Téléfilm Canada et de la Sodec ainsi que les artisans et acteurs de l’équipe du film d’ouverture. Les gens de Québec sont heureux du retour du festival et nous avons affiché guichet fermé. Mais tel que discuté plus tôt, nous pensons à changer les dates du festival pour ne plus avoir à demander de telles contorsions aux membres de l’industrie. Le festival est avant tout conçu pour les festivaliers, les cinéphiles et les artisans du film de Québec et de la province.
Visez-vous surtout le public de Québec avec le festival ou vous avez des ambitions internationales à moyen terme? Le cas échéant, quels seront les éléments d’une formule gagnante selon vous?
Je pèse mes mots, mais le FCVQ est né de la volonté de la ville de Québec d’avoir un festival de films qui rayonne partout et attire ici un public qui découvrira non seulement un événement mais une ville. L’événement a toujours été supporté par sa ville et nos partenaires principaux ont des attentes de portée hors région et hors province qui ont toujours été assumées. On veut à termes positionner Québec comme une ville de festival et attirer ici des gros noms mais aussi des médias. On ne cherche pas à s’éloigner ainsi de la clientèle locale, mais au contraire de leur faire profiter d’une proximité avec des créateurs. La formule des grandes rencontres est pour nous un élément clé de notre stratégie pour nous démarquer.
Cette onzième édition a été témoin d’une vingtaine de longs, d’une centaine de courts, d’une centaine invités, de quatre panels, de sept cocktails/party, de quatre jours de programmation, d’une rétrospective ainsi que d’une installation artistique.
Quel bilan dressez-vous au lendemain de votre clôture?
Pour remettre les choses dans leur contexte, je suis un outsider du milieu qui débarque dans cet univers. Pour répondre franchement, tout m’intéressait cette année. J’ai mis mes espadrilles, un t-shirt et j’ai couru à tous nos événements et suis aller rencontrer de nos public pour découvrir notre festival avec leurs yeux. J’étais réellement curieux de vivre notre première édition présentielle assis avec les festivaliers et découvrir avec eux notre événement. J’avais un grand besoin de rencontres et de connections car la majorité de mes contacts ont été virtuels dans la phase de préparation. Je voulais faire connaissance avec tout le monde, mettre des visages sur les partenaires et les festivaliers qui se sont déplacés. J’ai vu du monde content, des visages enthousiastes, une population heureuse de se réaproprier son festival. Les artisans du cinéma sont des gens authentiques et j’ai été heureux de faire partie de cette vague d’amour d’artistes fiers de partager leurs œuvres et heureux de se retrouver ensemble et de se regrouper en salle avec le public. Nos deux nouvelles salles, dont la superbe salle de projection au Diamant favorisait vraiment ce sentiment.
Nous sommes à faire nos bilans et post mortem, mais d’un point de vue humain, je suis fier de notre réalisation. Ça va peut-être sembler bizarre mais la formule de quatre jours me semble tellement festive et à propos que je me questionne sur la nécessité de produire un festival de 10 ou 12 jours. Pour les gens de Montréal ou de l’étranger, ça les forces à ne vivre que des parcelles de l’événement, un festival plus court permet d’embrasser toute une expérience, tout le monde en même temps sans temps creux. L’idée de 5 ou 6 jours me titille un peu et je souhaite ardemment le retour des projections extérieures. J’ai déjà hâte de retravailler avec notre équipe de production et de programmation, tous des gens de cœur. Paul Landriau notamment m’a impressionné et il est déjà appelé à une brillante carrière. Pas seulement comme programmateur, mais comme communicateur. Il est allé à toutes les projections, a été solidaires des artistes et publics qu’il a su rassembler.
Après tout ça, est-ce qu’un peut faire mieux? C’est bien certain, notamment en célébrant le retour du cinéma international et avoir un beau site extérieur pour développer nos marchés. Je me sens bien entouré alors avec la bonne équipe, tout est possible.
L’équipe de SNOW ANGEL présenté en clôture du FCVQ 2022