Téléfilm 50e anniversaire – Un témoignage de Claude Fournier

SDICC, CFDC, TÉLÉFILM CANADA, etc. etc…

 

Un témoignage de Claude Fournier à l’occasion du 50e anniversaire de Téléfilm Canada dans la section spéciale que nous réservons sur le site de CTVM.info

 

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Jean-Pierre Tadros  de CTVM.info me demande un petit papier sur les origines de Téléfilm Canada qui célèbre son cinquantième anniversaire de naissance, j’en déduis donc que je suis devenu un doyen puisque me voilà devoir vous entretenir de l’histoire paléo-subventionnaire de notre cinéma (au fait, je crois que plus ancien que moi, il ne reste que Fernand Dansereau qui a dû perdre confiance en moi, car il n’a pas sollicité mon témoignage pour son film, L’Érotisme et le vieil âge). Et pourtant! Mais non, je ne m’éloigne pas complètement du sujet en faisant obliquement allusion à l’érotisme, j’y reviendrai.

 

1967. Année de l’Expo.

Naissance d’un nouvel organisme destiné à soutenir une industrie de long métrage. Le gouvernement fédéral octroie 10$ millions à cet effet et affuble le nouveau-né de deux noms interminables dont les acronymes seront quasi imprononçables : Canadian Film Development Corporation/Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (CFDC/SDICC). Pour diriger la société naissante, Ottawa nomme un homme au regard perforateur, un miroiseur invétéré : Michael Spencer. Michael, un Brit et un ancien de l’Office national du Film, connait donc assez bien le tabac; on le proclame intègre, propre comme un ciboire, droit et à pic comme les jambes d’un crucifix. Un parangon d’incorruptibilité, comme Robespierre.

 

Pierre Lamy

Un des premiers à tomber dans l’œil de Michael fut certainement Pierre Lamy (sa taille s’imposait d’ailleurs au regard). Pierre, poussé par Gilles Carle, qui venait avec Onyx et à compte d’auteur de réaliser un deuxième long métrage, Le viol d’une jeune fille douce, et qui piaffait déjà pour commencer Red. Il faut dire qu’à la fin des années 60, Gilles – comme moi – faisions partie de ce qui était alors la plus importante compagnie de production au Canada : Onyx-Fournier devenu ensuite Onyx Films. Nous faisions tout : la pub de tous les partis politiques, celle de Coke comme de Pepsi, celle de Labatt comme de Molson.

Notre équipe comptait aussi les frères Denis et Claude Héroux, André, l’autre frère Lamy, et Guy, l’autre frère Fournier, observateurs zélés ces deux derniers des colonnes de profits et pertes. André Lamy ne reculait devant rien; passant un jour près de la téléphoniste qui allait dire à un client qu’il devait se tromper de numéro, André demande :« Qu’est-ce qu’il veut? »
Réceptionniste : « Une tonne d’acier de charpente! »
André : « Prends la commande, on va se démerder, on va lui trouver! ».

 

Quant à la SDICC, disons-le, il n’y avait pas beaucoup de demandes faites par Pierre Lamy qui étaient refoulées. Michael et lui s’entendaient comme larrons en foire. À cette époque révolue, pas de formulaires en 5 exemplaires, signés, contresignés, pas de jury de lecture, pas de bio du réalisateur, à la rigueur une petite assurance par Jacques Taillefer (le père d’Alexandre le dragon) même pas de poignée de main, quelques téléphonages et l’affaire était réglée.

 

Deux femmes en or

Tout comme aujourd’hui, la comptabilité de la SDICC n’avait pas à passer beaucoup de temps à compter les picaillons provenant de ses investissements. Quelques députés à Ottawa se mirent vite à maugréer sur le peu de rendement des films, puis vint notre film : Deux femmes en or, le succès monumental qui permit à France Film de bâtir de nouvelles salles (et à Onyx Films de quasiment faire faillite en fusionnant avec SMA+ et en achetant de gros ordinateurs main-frame qui deviendraient tout de suite désuets). Quelques députés se levèrent de nouveau en Chambre, cette fois, pour blâmer l’État d’investir dans des œuvres aussi immorales. Ceux qui réclamaient des profits (et enfin, des revenus il y en avait!) l’emportèrent évidemment sur les tenants de la moralité. Michael Spencer me confia un jour que Deux femmes en or avaient sans doute sauvé la mise pour la SDICC, Ottawa voyant des $$$ au bout du tunnel.

Photo: Deux femmes en or

 

Alien Thunder

Au début des années 70, lorsque Marie-José Raymond et moi nous lançames dans l’aventure de Alien Thunder, le plus gros budget de l’époque pour un film canadien (1,600,000$), Power Corporation avait déjà mis la main sur Onyx Films, empêchant une faillite désastreuse. Claude Frenette, v.-p. de Power et notre interlocuteur auprès de M. Paul Desmarais, directement intéressé par Alien Thunder, repoussait toujours le moment de faire une demande d’investissement à la SDIC, en dépit des admonestations de Marie-José. Frenette finit par lui répondre : « T’inquiète pas pour ça, M. Desmarais va passer un p’tit coup de fil à Trudeau, et la SDICC va embarquer pour le montant qu’on jugera à propos! »

La SDICC n’investit jamais un rond dans Alien Thunder et le pauvre Claude Frenette continua de se ronger les ongles frénétiquement en ne comprenant pas qu’un petit fonctionnaire comme Spencer pût ainsi tenir tête à Power Corp. Du jamais vu!

 

1976

En 1976, Ottawa augmente à 25 millions$ les crédits de la SDICC et Gratien Gélinas, qui en est pourtant le président du conseil d’administration depuis 1969, abjure sa foi dans le cinéma pour la placer dans la télévision. Il n’a plus d’yeux que pour ce médium, le petit écran est devenu son obsession et il ne restera pas « hands off ». Heureusement, Gratien n’arrivera pas à convertir complètement Michael Spencer pendant cette longue période où la SDICC devient pratiquement bicéphale.

 

1979

En 1979, l’incorruptible Spencer quitte son poste pour être remplacé en 1980 – après de courts intérims de Michael McCabe et Pierre Thibault – par l’hyperactif André Lamy qui règnera cinq ans sur notre cinéma alors que la SDICC/CFDC sera rebaptisée Téléfilm Canada. Lamy parti, le ministre Marcel Masse forme tout de suite un groupe de travail sur l’industrie cinématographique, coprésidé par Marie-José Raymond et Stephen Roth. Les autres membres du task force sont Ken Chapman, Gordon Guiry, François Macerola, René Malo, Peter Pearson, Bill Stevens et Dan Weinzweig. Les choses ne traîneront pas. Quelques mois plus tard, un document intitulé LE CINÉMA CANADIEN SUR UN BON PIED est remis au ministre.

Le rapport recommande au gouvernement d’affirmer dans un énoncé politique clair que la propriété et le contrôle canadiens de la distribution au Canada sont essentiels; de prendre les mesures législatives et réglementaires appropriées pour réaliser cette politique.

Il recommande aussi la création d’un fonds de financement des longs métrages canadiens, d’une valeur annuelle de 60 millions de dollars.

Comme Jean-Pierre Tadros m’a demandé de me concentrer sur l’histoire ancienne de Téléfilm, je m’arrête là, mais je me questionne encore sur cette propriété et le contrôle canadiens de la distribution au Canada si essentiels à la commission Raymond-Roth. Est-ce vraiment de l’histoire ancienne ou si… ce ne serait pas encore une préoccupation assez contemporaine?

 

Signé : Claude Fournier

 

P.-S. J’ai écrit plus haut que Michael Spencer et Pierre Lamy s’entendaient comme larrons en foire. C’est vrai que Pierre a toujours eu la tâche assez facile de convaincre la SDICC d’investir dans les films qu’il produisait. Mais la seule faveur, à ma connaissance, que Pierre ait rendue à Michael pour le remercier remonte après que ce dernier eût quitté ses fonctions. Michael avait décidé de prendre sa retraite sur l’île de Vancouver et il y avait fait construire une maison; Pierre Lamy, qui jouissait encore plus de la plomberie que de la production de films, partit pour l’île de Vancouver avec son coffre à outils et installa gracieusement toute la tuyauterie de la nouvelle maison. Cette magnifique œuvre de plomberie, Michael Spencer n’en profita pas vraiment puisqu’il abandonna bien vite sa retraite à l’autre bout du pays et que je reste un des seuls cinéastes encore vivants à savoir que Pierre Lamy était aussi bon plombier que producteur!

 

#Telefilm50

 

Crédit: La Presse

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