Un entretien de Marc Lamothe avec Félix Rose et Éric Piccoli sur le documentaire « Les Rose »
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Un entretien de Marc Lamothe avec Félix Rose (réalisateur) et Éric Piccoli (Producteur) sur le documentaire « Les Rose »
« Les Rose », un documentaire de Félix Rose maintenant à l’affiche
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« Dès le début, notre coproductrice à L’ONF me répétait : “Félix, tu n’as pas droit à l’erreur”. J’avais bien compris à la mort de mon père qu’il polarisait encore les médias et l’opinion publique. Pour plusieurs, c’est encore un tueur et un terroriste. Il faut comprendre que je ne cherche pas à réhabiliter mon père avec ce documentaire. J’ai voulu comprendre qui était cet homme et tout l’enchaînement des événements et motivations qui l’ont mené au F.L.Q. En racontant l’histoire de ma famille, je tente d’apporter un nouvel éclairage sur une période importante de notre histoire. »
– Félix Rose
Film documentaire très attendu, le long métrage LES ROSE de Félix Rose (Babel Films/ONF) est projeté en salle depuis le vendredi 21 août à Montréal, au cinéma Beaubien et au Cinéma du Musée et à Québec, au Cinéma Cartier. Le film sera aussi présenté dans d’autres salles dans plusieurs régions du Québec, dont Sherbrooke et Trois-Rivières.
Ces sorties sur grand écran suivent sa première mondiale qui a eu lieu en ouverture du Festival Les Percéides — Festival international de cinéma et d’art de Percé, vendredi 14 août, en présence du réalisateur.
Nous avons eu l’occasion de parler durant près de 45 minutes avec Félix Rose (réalisateur) et Éric Piccoli (directeur photo) le 11 août 2020. Le temps, avec ces artisans, passe plus rapidement qu’Alexis le Trotteur courant entre La Malbaie et Bagotville. Voici le compte rendu de cet entretien.
Tout d’abord messieurs, félicitations pour la première aux Percéides. Ça vous fait quoi de lancer votre film à proximité de la Maison du pêcheur à Percé ?
Félix Rose : C’est certain que c’est fort comme charge symbolique pour moi, pour ma famille et pour nous à Babel Films. La Gaspésie a toujours occupé une place importante dans l’imagerie et l’histoire de la famille Rose. C’est un peu le point de départ de notre histoire publique. Mon père, son frère Jacques et Francis Simard ont acheté une grange et ont permis aux jeunes de planter leur tente gratuitement sur leur terrain. Il faut comprendre qu’en 1969, si un jeune arrivait avec moins de 20 $ dans ses poches, il devait quitter la ville. C’était un endroit touristique réservé aux classes riches. Pour mon père, le territoire était un enjeu important, tout autant que la langue ou la culture ; et à travers cette expérience, il tentait de se réapproprier un de nos territoires. Tout le Québec a d’abord connu mon père avec la Maison du pêcheur et les reportages télévisés où il dénonçait notamment l’exploitation des pêcheurs gaspésiens et du peuple québécois, puis à travers ces images où l’on voyait les jeunes voyageurs se faire expulser du site à grands coups de jet de boyaux des pompiers. Cela a été un des moments les plus explosifs de l’été 69 au Québec.
Dans les faits, c’était un rêve fou que je chérissais sans trop y croire de lancer ce film aux Perséides, mais tous les astres se sont finalement enlignés.
D’abord dans votre parcours de documentariste, il y a eu AVEC LA GAUCHE en 2014, votre premier long métrage sur la campagne électorale de Vincent Lemay-Thivierge à Saint-Jérôme. Puis, il y a eu le court métrage documentaire, MARIE-PAULE DÉMÉNAGE (2015), sur votre grand-mère maternelle. Qu’est-ce que ce film vous a appris pour vous donner une certaine assurance dans la démarche à adopter pour LES ROSE ?
Félix Rose : Le documentaire, c’est réellement l’art de mettre la lumière sur les autres et de s’effacer complètement. Pour LES ROSE, je savais que je ferais partie du propos, mais il fallait mesurer le dosage de cette implication. J’ai un attachement spécial à ma grand-mère maternelle puisque j’ai habité pendant près de 10 ans avec elle. C’est avec ce documentaire que j’ai compris comment garder la lumière sur le sujet tout en m’impliquant à l’image, mais en dosant bien ma présence à l’écran.
Éric, Félix et toi aviez travaillé ensemble dès 2010 sur TEMPS MORTS. Pourriez-vous nous parler de votre rencontre et de l’évolution de votre collaboration chez Babel Films au fil des ans ?
Éric Piccoli : Je connaissais déjà un peu Félix, mais c’est réellement en travaillant sur TEMPS MORT en 2010 qu’on s’est rapproché. Il était d’abord à la photographie, mais il s’est finalement surtout impliqué au montage…
Félix Rose : La vérité est que je me suis avéré comme étant probablement le pire assistant-caméraman de l’histoire de Babel films, et je crois que, par amitié, ils m’ont dit : « Tiens, occupe-toi donc du montage à la place » (fous rires).
Éric Piccoli : Après avoir terminé TEMPS MORT, nous sommes partis ensemble dans un road-trip de deux mois et demi à travers les États-Unis. Au cours du voyage nous avons beaucoup parlé. Je suis réellement envieux de ces gens qui connaissent l’histoire et ont le don de la narration et de la vulgarisation. J’ai trouvé ça en Félix, un bon vulgarisateur politique et un féru d’histoire et comme nous voulions faire du documentaire à Babel films, Félix a réellement pu développer ce filon chez nous et devenir producteur au contenu documentaire. Nos forces sont différentes, mais nous sommes réellement complémentaires, et une belle chimie existe entre nous.
Pourriez-vous nous parler un peu de la genèse du projet LES ROSE ?
Félix Rose : Je suis né bien après les événements d’octobre à la fin des années 80 et j’ai appris seulement à l’âge de sept ans que mon père avait « tué un homme » et qu’il était perçu comme un révolutionnaire et un terroriste. Le père que j’ai connu était tendre, doux et aimant, je le sentais incapable de blesser une mouche. Toute cette histoire pour moi est un long processus sur plus de 20 ans à comprendre les gestes, les actions de mon père et tenter de concilier l’image publique et l’homme que j’ai connu.
Tout ce processus a commencé en fait quand j’ai proposé à mon père de faire un arbre généalogique de notre famille. Il a tout de suite embarqué et s’est impliqué plusieurs heures par semaine à fouiller des archives et visiter des cimetières. C’est ainsi qu’on s’est éventuellement retrouvé en Irlande, lui et moi, en 2011. Il a notamment été accueilli et célébré comme un héros, notamment par les membres de l’Irish Republican Army (IRA). En effet, au début des années 80, alors qu’il était toujours derrière les barreaux, mon père a entamé une grève de la faim en soutien à celle de Bobby Sands, un militant de l’IRA aussi emprisonné. Cette célébration a eu lieu dans un pub irlandais privé, où seuls des ex-militants de l’IRA qui ont fait de la prison ont le droit de fréquenter. Ce fut évidemment un des grands moments de notre voyage qui a été malheureusement marqué par une terrible épreuve. Nous savions que mon père avait une condition dégénérative des yeux et il est devenu complètement aveugle durant notre périple en Europe. Et c’est à ce moment que j’ai réellement compris le courage, la force intérieure et la résilience de cet homme qui ne s’est jamais plaint, qui n’a jamais démontré quelque angoisse que ce soit face à la cécité.
C’est au retour de ce voyage que l’idée du documentaire s’est concrétisée. Quand je lui ai lu les bases de mon projet, il a alors pris le temps de m’expliquer tranquillement ses motivations. Ensuite, il m’a fait part d’une découverte majeure, nous avions un ancêtre du côté de sa mère qui a été brûlé dans l’église de Saint-Eustache lors de la rébellion de 1837. J’ai vu quelques larmes sur son visage. Il a fait son AVC deux jours plus tard. Je me sentais horriblement coupable, je n’ai pas pu faire la longue entrevue que je désirais faire avec lui. Tout mon projet de documentaire venait de prendre le bord.
Une chance qu’Éric Piccoli était là pour moi. Éric et moi avions développé une profonde amitié au fil des ans. Éric est réellement le seul sur qui je pouvais compter. Le premier qui a cru au projet. Avec Éric à la caméra, on a réalisé une cinquantaine d’entrevues. Il était essentiel pour nous de ne pas perdre la parole des survivants du F.L.Q. Mon oncle, Jacques Rose, a refusé pendant près de deux ans de se confier à la caméra. Mais un jour, Jacques m’appelle et me demande de l’aide pour rénover sa demeure et changer ses fenêtres. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas très manuel. J’ai alors négocié pour amener Éric avec moi et qu’en échange, il me donne une à deux heures par jour pour ce projet. Comme Éric est un bon ami de la famille, sa caméra est très vite devenue invisible et c’est ce qui a permis de capter les propos de mon oncle dans le documentaire.
Ensuite est arrivée la recherche d’archives et le documentaire a rapidement évolué à la lumière de ces bribes d’informations. Chaque photo, chaque son, chaque image du documentaire représente une longue quête. C’est réellement à travers ce processus que j’ai réussi à comprendre ma grand-mère Rose. Sa force explique celle de ses fils. Sa détermination explique l’acharnement de mon père. Pendant 10 ans, elle était de toutes les tribunes pour défendre l’indéfendable et se battre contre les conditions de détention des prisonniers politiques.
Était-ce difficile de travailler avec les images de votre père ?
Félix Rose : Tout ce voyage a été très émotif et oui, difficile par moment. Cela fait 8 ans en fait que je traîne mon deuil dans le cadre de ce documentaire. J’ai continué de découvrir mon père après sa mort et durant tout ce long processus de production. Mon père m’accompagne partout depuis 8 ans. C’est une histoire chargée d’une telle intensité que je vis un peu par procuration.
Dès le début du projet, notre productrice à L’ONF me répétait, « Félix, tu n’as pas droit à l’erreur ». Elle pensait que j’étais le seul à pouvoir raconter cette histoire et que je n’avais pas le droit de me planter. La charge sur mes épaules était énorme.
Éric Piccoli, vous avez lancé récemment un documentaire, « Mon père, Elvis » qui sera d’ailleurs présenté ce mois-ci au festival international de films Fantasia. Est-ce un hasard que vous lanciez tous deux un documentaire sur vos parents en 2020 ?
Éric Piccoli : C’est bien trop vrai. C’est réellement Félix qui m’a encouragé de tourner un documentaire sur mon père, à capter sa voix et son visage avant qu’il ne soit trop tard. Il me disait que c’est un personnage exubérant et attachant. C’est à la mort de Paul Rose que j’ai vraiment compris la fragilité des choses et de la vitesse à laquelle on peut perdre un proche. Maintenant, je filme mes proches à la moindre occasion. Mais LES ROSE appartient réellement à Félix.
Pour ses films précédents chez Babel films, Félix agissait à titre de monteur sur ces projets. Pour LES ROSE, vous avez plutôt choisi de confier le montage à Michel Giroux. Parlez-moi de ce choix ?
Félix Rose : Je ne suis pas monteur par choix. Au Québec, on tente souvent de faire du cinéma avec des économies de bouts de chandelles. C’est par souci d’économie que j’ai moi-même monté mes projets précédents. Pour LES ROSE, je savais pertinemment que ça serait une longue randonnée émotive. C’est notre productrice à l’ONF, Colette Loumède, qui m’a d’abord proposé l’idée de prendre Michel Giroux au montage. J’ai regardé quelques-uns des films sur lesquels il a travaillé, dont
LA MÉMOIRE DES ANGES (2008) et LA PART DU DIABLE (2017) ; et j’ai plongé tête première sans jamais regarder en arrière. On peut vraiment parler d’une belle rencontre créative.
Michel a compris la voix de mon père et a su la mettre intelligemment en image. Il n’y a que Michel, je crois, qui aurait pu monter ce film. Les images et films d’archive jouent un rôle essentiel dans ce film. Je voulais que l’on comprenne le Québec des années 60 et 70, qu’on saisisse le contexte historique et qu’on ressente toute l’effervescence de cette période. Ensemble, nous avons épluché des tonnes d’archives, à l’ONF, aux Archives nationales, à la Société Radio-Canada ainsi que de multiples sources privées. On a pu restaurer toutes les images trouvées. Sur les 8 ans, je dirais que la recherche d’archives a été l’étape la plus longue. Je voulais qu’on ressente toute l’énergie d’une époque.
Plusieurs fictions ont été réalisées sur les événements d’octobre. On pense notamment au film LES ORDRES de Michel Brault, NÔ de Robert Lepage, OCTOBRE de Pierre Falardeau et LA MAISON DU PÊCHEUR d’Alain Chartrand. Quel est votre préféré du lot et pourquoi ?
Félix Rose : Sans conteste, LES ORDRES de Michel Brault qui est peut-être l’ultime référence dans la docu-fiction. Le travail investi est tout simplement exceptionnel. Michel a su compiler une cinquantaine de témoignages des vrais prisonniers victimes de la Loi des mesures de guerre durant la Crise d’octobre 1970. Il a intelligemment axé toute la structure de ce film sur ces témoignages et il en ressort un film d’une vraie puissance et d’une rare authenticité.
Craignez-vous une certaine controverse à la sortie du documentaire ?
Félix Rose : On s’y attend, bien évidemment. J’ai bien compris à la mort de mon père qu’il polarisait encore les médias et l’opinion publique. Pour plusieurs, c’est encore un tueur et un terroriste. Je ne cherche nullement à réhabiliter mon père avec ce documentaire. J’ai plutôt voulu comprendre qui était cet homme et tout l’enchaînement des événements et motivations qui ont mené au F.L.Q.. En racontant l’histoire de ma famille, je tente d’apporter un nouvel éclairage sur une période importante de notre histoire.
Est-ce qu’il y a une section ou une scène qui vous brise particulièrement le cœur d’avoir dû couper ou retirer du montage final ?
Félix Rose : Je suis en paix avec ce projet. Mon réel moment brise cœur est une anecdote que je n’ai pu inclure. Mon père aurait organisé sa première manifestation en 1955, à l’âge de 12 ans. Il avait réussi à mobiliser un groupe de travailleurs enfants de 8 à 10 ans qui travaillait dans un champ de fraise. Figure-toi qu’il a réussi à leur négocier un salaire d’un sou par casseau de fraises et l’ajout d’une pause de 15 minutes par jour. Cette anecdote me semble tout à fait représentative du parcours de mon père.
Le long métrage documentaire LES ROSE de Félix Rose (Babel Films/ONF) a pris l’affiche vendredi 21 août à Montréal, au Cinéma Beaubien et au Cinéma du Musée, et à Québec, au Cinéma Cartier. Le film sera aussi présenté dans d’autres salles dans plusieurs régions du Québec, dont Sherbrooke et Trois-Rivières.
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