Une entrevue avec Jean-Claude Lord au sujet de son long métrage « PANIQUE »

Marc Lamothe s’entretient avec Jean-Claude Lord de son long métrage « PANIQUE » sorti en 1977

Sur le thème de : « La pandémie, les désastres et le cloisonnement dans le cinéma québécois  » (2 ), une série d’entrevues de Marc Lamothe

« J’avais le goût de marier le thriller « politique » au film catastrophe. Je voulais faire de cet exercice d’anticipation un film pour le grand public, mais avec le désir de provoquer un débat de société, ou tout au moins une réflexion sur le sujet. » 

– Jean-Claude Lord

Le parcours de Jean-Claude Lord est porté par la volonté de raconter des histoires, tout en stimulant des réflexions. À 20 ans, son premier scénario, Trouble Fête (1964) est réalisé par Pierre Patry. À 22 ans, il réalise son premier long métrage, Délivrez-nous du mal (1966). Ses films réalisés dans les années 70 ont majoritairement connu de très grands succès populaires. Les Colombes (1972) aborde le thème de la perte de l’innocence d’une société et génère quelque 300 000 entrées. Bingo (1974), un des premiers « thrillers » québécois, a été à sa sortie l’un des plus grands succès du cinéma québécois avec plus de 500 000 billets vendus. Parlez-nous d’amour (1976) allait pour sa part devenir l’un des premiers films cultes québécois alors que Panique (1977) allait devenir la dernière production socio-politique du réalisateur. 

Depuis les années 80, Jean-Claude Lord multiplie les projets et touche à de nombreux genres, dont notamment le drame, l’horreur, la science-fiction, le film familial, le thriller, le film musical et le documentaire. On lui doit aussi l’invention de la « série lourde » québécoise en 1986 avec Lance et compte.

En 2016, Jean-Claude Lord était le premier récipiendaire du prix Denis-Héroux décerné par le festival Fantasia, soulignant une contribution exceptionnelle au développement du cinéma de genre et du cinéma indépendant québécois.

Panique porte sur une catastrophe liée à la pollution industrielle. Contaminée par des déchets hautement toxiques déversés par une entreprise de fabrication de pâte à papier, l’eau courante devient le principal vecteur d’une épidémie mortelle. Jean-Claude Lord maintenant âgé de 74 ans est actuellement en confinement chez lui. La crise sociale et politique, qu’il a décrite en 1978, a malheureusement retrouvé écho récemment avec la pandémie et le cloisonnement des dernières semaines. Nous avons discuté avec lui de la genèse de ce long métrage, de son tournage et nous lui avons demandé à quoi il s’occupe en période de confinement.

 

CTVM.info : PANIQUE décrit une crise sociale percutante. L’eau potable de la ville de Montréal devient toxique à la suite d’un désastre écologique. D’où est venue l’idée de base ?

J.C.L.Panique s’inspire d’événements malheureusement réels. La catastrophe de Seveso en 1976 est un désastre écologique provoqué par la propagation accidentelle d’un nuage d’herbicide contenant des produits toxiques provenant d’une usine chimique dans le nord de l’Italie. La catastrophe de la Baie de Minamata au Japon découle de rejets constants durant plus de 30 ans de métaux lourds dans l’eau, dont du mercure, par une usine pétrochimique. À la base, le film devait être une coproduction avec la France. La comédienne Marlène Jobert avait manifesté un réel intérêt pour jouer le rôle principal, mais le projet est finalement resté ici au Québec. 

J’ai trouvé intéressant de transposer les événements de Seveso et Minamata chez nous et m’intéresser aux liens potentiels que pourraient entretenir les politiciens, les gens d’affaires et les compagnies étrangères dans un tel contexte. J’avais le goût de marier le thriller « politique » au film catastrophe. Je voulais faire de cet exercice d’anticipation un film pour le grand public, mais avec le désir d’initier un débat de société, ou tout au moins une réflexion sur le sujet. Un peu comme allait d’ailleurs le faire un an plus tard James Bridges aux États-Unis avec le film The China Syndrome qui fut malheureusement rattrapé par l’accident nucléaire de Three Mile Island en mars 1979. Panique et The China Syndrome se ressemblent dans leur troisième acte dans la mesure où les deux films passent par les médias pour dénoncer un complot de silence autour d’un désastre écologique. Il y avait à l’époque une rumeur à l’effet que l’équipe de The China Syndrome aurait demandé à voir mon film, ce qui me fait un beau velours, car j’aimais bien la Jane Fonda activiste de cette époque. Je suis d’ailleurs très heureux de la revoir refaire les manchettes avec ses récentes arrestations en manifestant pour le climat.

D’une part, je me suis associé au metteur en scène français Jean Salvy pour la conception du scénario. Sa collaboration a été déterminante. Il m’a aidé à mieux définir les interrelations entre les divers groupes d’intérêts présentés dans le film. Il avait une bonne compréhension des systèmes politiques et financiers en place ainsi que des diverses coulisses du pouvoir. Et puis, j’ai pu m’appuyer sur mon beau-frère, qui était chimiste, et qui m’a aidé à encrer le scénario dans une piste vraisemblable, notamment en m’identifiant divers produits toxiques qui mélangés à l’eau pourraient créer la crise décrite dans le film. 

À la même période, Robin Spry a coécrit et réalisé le film One Man (1977) relatant les mésaventures d’un journaliste qui tente d’exposer un cas de la pollution industrielle. Avant sa sortie, j’ai appelé Robin pour lui parler et voir son film et ainsi m’assurer qu’on réalisait deux films différents. Nous nous sommes si bien entendu qu’on a même pensé un moment présenter nos deux films en programme double, mais l’idée ne s’est jamais concrétisée.

CTVM.info : Que retenez-vous aujourd’hui du tournage de ce film ?

J.C.L. – Je suis très fier du dernier acte de Panique avec la prise de contrôle de la télévision nationale par le groupe écologique sous la mire des fusils des forces armées. On ne pourrait plus faire ce film ainsi aujourd’hui. Je suis encore surpris qu’on m’ait laissé tourner cette section dans la tour de Radio-Canada. Le genre d’images chocs que j’ai choisi d’utiliser comme les chiens morts, les enfants malades et les cadavres à l’hôpital ne passeraient probablement plus aujourd’hui. 

J’aime particulièrement le monologue final du personnage joué par Paule Baillargeon lorsqu’elle s’adresse aux jeunes du pays. Quand je vois aujourd’hui Greta Thunberg avoir le même genre de discours, je me dis que le débat est plus pertinent que jamais. 

CTVM.info : Vos films des années 70 sont notamment marqués par un certain mépris des hautes instances corporatives et politiques envers la population. Pouvez-vous revenir un peu sur cette période ?

J.C.L. – Trois de mes films, Bingo, Parlez-nous d’amour et Panique ont un même dénominateur commun. Comment des gens utilisent le désordre social et l’ignorance du peuple pour se faire élire, pour se protéger ou pour accroitre leur pouvoir ? La trilogie traite de l’exploitation des masses. Bingo dénonçait les actions de la droite pour discréditer la gauche. Parlez-nous d’amour traite de l’abrutissement des masses et du dédain de certains médias face à leur public.

Panique s’intéresse au copinage entre le gouvernement et certaines corporations. Bien que le film ait attiré plus de 350 000 spectateurs en salle, le débat que je voulais provoquer n’a pas eu lieu. Ces films s’intéressent à la dépendance psychologique, sociale et monétaire du peuple aux forces politiques et économiques en place. Après Panique, je n’ai plus fait de projets à portée politique, mais j’ai pu toucher à des sujets sociaux comme avec la série Jasmine (1996) ou le documentaire Les criminelles (2013). 

CTVM.info : Comment vivez-vous personnellement le cloisonnement des dernières semaines ?

J.C.L. – Je ne te le cacherai pas, je vis tout ça assez mal. Je m’ennuie mortellement et tourne en rond chez moi. Je me sens littéralement prisonnier. Quand je sors prendre des marches, on me dévisage à cause de mes 74 ans. Mon fils fait mes courses alors je ne vais dans aucun commerce. Je suis autonome, en bonne santé et n’habite pas dans un centre pour personnes âgées. J’ai bien peur de cette mise à l’écart des personnes âgées.

Les gens deviennent de plus en plus dépendants du gouvernement. C’est réellement inquiétant. Quand François Legault parle de géolocalisation et envisage d’accroître les pouvoirs d’intervention des policiers du Québec, moi je crains sincèrement des dérapages. Jusqu’où ira le contrôle ? Il y a à mes yeux quelque chose de réellement Orwellien dans ce qu’on vit. Je ne suis pas complotiste, mais j’ai peur que bien des corporations et organisations profitent et s’enrichissent de cette crise et que l’économie s’en trouve sévèrement ébranlée. 

Au moins, un des bons points de ce cloisonnement est que je ne reçois plus de sollicitations téléphoniques. (rires) 

CTVM.info : Qu’est-ce que tu regardes comme film ou série en temps de cloisonnement ? 

J.C.L. – Je viens de terminer les deux dernières saisons de District 31. J’ai travaillé à la réalisation de la première saison et je trouve intéressant de voir où la série se dirige. 

J’en ai profité pour enfin voir Parasite (2019) de Bong Joon-ho. Difficile, pour moi de dire, si c’est le meilleur film de l’année, car je ne les ai pas tous vus, mais je dois admettre que ce film est réellement bien réalisé. Je m’apprête à regarder 1917 (2019) de Sam Mendes. J’ai adoré Les fleurs oubliées (2019). Un film habité d’une belle folie. Je suis réellement jaloux de l’imaginaire d’André Forcier. Je l’ai appelé récemment pour lui dire à quel point j’aime son travail. Antigone (2019) est un film impressionnant dans la détermination de son personnage et de son focus sur une seule idée en dépit de tout. Je dois fouiller davantage le travail de Sophie Deraspe. 

CTVM.info : Quels bons films de pandémie, de désastre ou de cloisonnement te viennent en tête ? 

J.C.L.Panique a été un éclair dans ma vie, mais ce n’est pas le genre de film que je cherche à voir. 

CTVM.info : Quels projets t’attendent après le retour à la normale ?

J.C.L. – Je suis conseillé sur un fascinant roman dont je ne peux pas encore parler. J’ai aussi un projet de réalisation de long-métrage avec la productrice Monique Huberdeau, Lorraine. Geneviève Bujold tiendrait le rôle-titre. Au début, je ne devais qu’être conseillé à la scénarisation, mais des complications avec la coproduction avec la Nouvelle-Zélande m’ont amené à changer mes plans. Nous attendons incessamment une réponse de Téléfilm Canada. J’écris enfin les épisodes d’une série que j’aimerais réaliser, mais aucun producteur n’est encore attaché et j’ai bien hâte de le soumettre aux diffuseurs.

 

 

Une entrevue réalisée par Marc Lamothe

Directeur des partenariats et Programmateur

Festival international de films FANTASIA

PANIQUE  de Jean-Claude Lord a été restauré par Éléphant, mémoire du cinéma et est disponible sur illico et iTunes.

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PANIQUE (1977)

  • Réalisation : Jean-Claude Lord
  • Scénario : Jean-Claude Lord Jean Salvy
  • Images : François Protat
  • Producteur : Bernard Lalonde
  • Interprétation : Paule Baillargeon, Jean Besré, Jean Coutu, J.-Léo Gagnon, Benoît Girard, Jean-Marie Lemieux, Raymond Lévesque, Claude Michaud, Gérard Poirier, Jacques Thisdale, Lise Thouin, Pierre Thériault, Élise Varo
  • Musique : Pierre F. Brault
  • Costumes : Denis Sperdouklis
  • Maquillage : Julio Piedra
  • Scripte : France Lachapelle
  • Prise de son : Henri Blondeau
  • Montage images : Jean-Claude Lord
  • Montage sonore : Marcel Pothier
  • Mixage : Henri Blondeau
  • Chef machiniste : Michel Chohin, Serge Grenier
  • Photographe de plateau : Marc Cramer
  • Producteur délégué : René Malo
  • Direction de production : Lise Abastado
  • Société de production : Productions Mutuelles ltée (Québec)
  • Financement : Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (SDICC) (Canada)
  • Société de distribution : Films Mutuels (Québec)

Données de production

  •  Couleurs / Noir et blanc : Couleur
  • Langues : Français
  • Durée originale : 96 minutes et 23 secondes
  • Formats : 35 mm
  • Coût : 508 000 ($ (approximatif))
  • Lieux et dates de tournage : 29 octobre 1976 – 4 décembre 1976 Montréal, Québec, Trois-Rivières.

(Source : Éléphant, mémoire du cinéma québécois)

 

 

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