Une entrevue avec Robin Aubert par Marc Lamothe
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Catégorie(s) : Actualités — Cinéma — Festival
L’entrevue avec Robin Aubert par Marc Lamothe dans la série « La pandémie, les désastres et le cloisonnement dans le cinéma québécois (5) »
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« J’ai été guidé par l’idée qu’on semblait foncer vers un mur en tant que société moderne. Écoutons notre environnement avant qu’une crise sociale ne nous éclate au visage. Qu’est qui restera quand tout va tomber ? Une pyramide de biens matériels qui pointe vers le ciel? J’espère qu’il restera aussi la fraternité. Pour survivre, il faudra se protéger et s’entraider mutuellement.
« J’ai toujours été un grand amateur du travail de George Romero et j’ai eu envie de tourner un film de zombie québécois. Pas en ville, mais ici-même, au Centre-du-Québec. Stéphanie Morissette et moi cherchions un projet qui nous permettrait de travailler ensemble et le concept lui a plu. Elle aimait l’idée qu’on tenterait d’aller ailleurs avec notre film de zombie. »
– Robin Aubert
Robin Aubert est un acteur, réalisateur, scénariste et poète québécois. À titre de réalisateur, son cinéma déconstruit les codes du film de genre pour y insérer une démarche d’auteur, une sensibilité idiosyncratique, un rapport particulier avec les acteurs, une fenêtre sur le rêve et un regard poétique sur les potentiels du média.
Sorti en 2017, le film LES AFFAMÉS allait d’abord récolter le prix du Meilleur film canadien Festival international du film de Toronto (TIFF) avant de terminer son parcours avec sept prix IRIS au 20e Gala Québec Cinéma, dont ceux du Meilleur film pour la productrice Stéphanie Morissette et Meilleure réalisation pour Robin Aubert. La distribution comprend notamment Marc-André Grondin, Monia Chokri, Charlotte St-Martin, Micheline Lanctôt, Marie-Ginette Guay, Brigitte Poupart, Édouard Tremblay-Grenier, Luc Proulx, Didier Lucien, Robert Brouillette, Martin Héroux et Patrick Hivon.
Robin Aubert est actuellement en cloisonnement à Ham-Nord, au Centre-du-Québec avec sa famille. Le drame pandémique qu’il a réalisé en 2017 a malheureusement été rattrapé par le coronavirus (COVID-19) et le grand cloisonnement entamé à la mi-mars. Nous avons discuté avec lui de la genèse de ce long métrage, de son tournage et lui avons demandé à quoi il s’occupe en période de confinement.
CTVM. info – Que pouvez-vous nous dire sur la genèse de LES AFFAMÉS ?
Robin Aubert — J’ai toujours été un grand amateur du travail de George Romero et j’ai eu envie de tourner un film de zombie québécois. Pas en ville, mais ici même au Centre-du-Québec. Stéphanie Morissette et moi cherchions un projet qui nous permettrait de travailler ensemble et le concept lui a plu. Elle aimait l’idée qu’on tenterait d’aller ailleurs avec notre film de zombie.
Je suis alors parti à Kangiqsujuaq au Nunavik pour tourner TUKTUQ; et c’est pas mal là-bas que j’ai écrit les bases du film. J’ai été guidé par l’idée qu’on semblait foncer vers un mur en tant que société moderne. Écoutons notre environnement avant qu’une crise sociale ne nous éclate au visage. Qu’est qui restera quand tout va tomber ? Une pyramide de biens matériels qui pointe vers le ciel ? J’espère qu’il restera aussi la fraternité. Pour survivre, il faudra se protéger et s’entraider mutuellement.
CTVM. info – Comment avez-vous développé le concept final de cette fameuse pyramide ?
Robin Aubert — La pyramide vient de l’idée que l’homme construit des édifices et des monuments pointant vers le ciel. Ses offrandes vers le salut, vers le paradis et vers la mort. La montagne de chaises vient en fait d’un rêve que j’avais fait un peu plus tôt. J’en ai parlé à André-Line Beauparlant, notre directrice artistique, et c’est devenu ce truc dont on me demande encore aujourd’hui ce que ça veut dire.
CTVM. info – Vous étiez dans votre propre environnement pour le tournage, mais vos acteurs et votre équipe devait conjuguer avec un nouveau climat à Ham-Nord. Quels souvenirs gardez-vous de ce tournage ?
Robin Aubert — Un film, ça se construit à plusieurs mains, plusieurs tripes et plusieurs cœurs. Quand l’équipe et les acteurs sont arrivés à Ham-Nord, tout s’est placé organiquement. LES AFFAMÉS a été tourné dans le bonheur et la simplicité.
Les acteurs dormaient à Asbestos, qui est à 30 minutes d’où on tournait. C’est très vallonneux dans le coin. À 5 heures du matin, sur la route les menant au tournage, il y a un long et profond brouillard qui s’installe et qui s’incruste, les oiseaux ne chantent pas encore et une ambiance s’impose. Je crois que cette ambiance habitait mes acteurs. Ça les plongeait dans cet état de calme bucolique, mais un peu épeurant, car trop tranquille pour certains. Le territoire m’a aidé à les diriger. Et je les dirigeais sur le lieu qui m’avait inspiré cette histoire à l’origine.
CTVM. info – À l’époque de la sortie du film, vous déclariez que « les films de zombies sont des films politiques ». Pourriez-vous développer un peu cette idée à la lumière du dernier mois ?
Robin Aubert — Prends comme exemple le film DAWN OF THE DEAD (1978) de George Romero. Un groupe de survivants utilisent un centre commercial pour s’abriter des morts-vivants, mais ceux-ci sont instinctivement attirés vers ce lieu qui était important dans leurs vies. La portée du film est politique et sociale. Il propose une représentation de nos travers et une vision cynique de notre société de consommation. Il évoque l’idée d’une crise sociale et existentielle où plus rien n’a de sens, ni l’argent, ni la religion, ni la société ou ses fondements. Quand je vois des reportages aux actualités avec des gens qui se battent dans des Walmart pour du papier de toilette, je me dis que Romero avait vu juste.
CTVM. info – La réalité vient de rattraper votre fiction. Comment vivez-vous ce moment de confinement ?
Robin Aubert — Je suis à Ham-Nord avec ma famille. Le cloisonnement me permet de passer du temps avec ma blonde et mes deux jeunes enfants. On peut faire toutes les randonnées qu’on veut sur nos terres. J’ai le temps de regarder le printemps à temps plein, un plaisir habituellement réservé aux jeunes enfants et aux personnes âgées.
Ma job est d’emmagasiner des souvenirs, des idées et des images dans ma tête. Je fais ma job et pense à mon prochain film. Ça me laisse le temps de développer mes idées. Ça me nourrit. Je pense entre autres à un film de science-fiction. C’est comme un objet surréaliste en gestation.
CTVM. info – Qu’est-ce que vous regardez en ce moment comme film ou série en temps de cloisonnement ?
Robin Aubert — Je lis en ce moment LE TEMPS SCELLÉ, un livre du réalisateur russe Andreï Tarkovski au sujet du cinéma et de ses propres films. Une collection d’écrits du réalisateur, de notes de travail et de réflexions sur son art et son parcours. Avant de tourner LES AFFAMÉS, Steeve Desrosiers notre directeur photo et moi avons regardés attentivement certains films, dont LE MIROIR de Tarkovski. Sinon, je viens juste de terminer de lire LE NORD RETROUVÉ de François Lévesque.
Nous ne sommes pas connectés ici, mes enfants n’ont pas de tablette ou de web ici. On vit ce moment tous ensemble. Avec mes enfants, on regarde des films de série B de ma collection de DVDs. Il y a quelque chose de cathartique et de beau dans ces soirées. Mes enfants ne voient pas ça d’un œil « bien fait ou mal fait », mais ça les fait plutôt rêver et ça les émerveille. La semaine dernière, nous avons regardé THE MONSTER SQUAD (1987) de Fred Dekker, c’est vraiment fou comme film. Nous avons aussi visionné VOYAGE TO THE PREHISTORIC PLANET (1965), un long monté d’après un film de science-fiction russe des années 60… Mon gars insiste pour que je te mentionne MY NAME IS NOBODY/MON NOM EST PERSONNE (1973) produit par Sergio Leone et réalisé par Tonino Valerii… On a aussi récemment regardé BILLY MADISON (1995) avec Adam Sandler.
CTVM. info – Quels bons films de pandémie, de désastre ou de cloisonnement vous viennent en tête ?
Robin Aubert — Je pense spontanément à Cronenberg. À RABID/RAGE (1977), bien évidemment. Mais aussi à THE BROOD/LA CLINIQUE DE LA TERREUR (1979). L’ambiance du film me fait un peu penser à une pandémie, ici par extension via l’horreur corporelle et une perte de certains repères. Je pense aussi à John Carpenter et ses films comme THE THING (1982).
Pour le cloisonnement, je pense à L’ANGE EXTERMINATEUR (1962) de Luis Buñuel. Des gens sont confinés dans une pièce après une réception aristocratique. J’adore Buñuel. J’ai vu L’ÂGE D’OR à la Cinémathèque québécoise l’an dernier pour la première fois. C’est vraiment sur grand écran qu’on comprend l’ampleur de son travail, de ce qu’il osait se permettre à l’époque et qu’on n’oserait plus se permettre aujourd’hui.
Une entrevue réalisée par Marc Lamothe
Directeur des partenariats et Programmateur
Festival international de films FANTASIA