Une entrevue de Justine Smith, directrice de la section Underground à Fantasia
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Une entrevue de Justine Smith, directrice de la section Underground à Fantasia
Par Marc Lamothe
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« J’utilise le terme Underground au sens large pour décrire à la fois une esthétique et une pratique artistique. La plupart des films de l’Underground sont à petit budget et n’ont pas de perspectives commerciales évidentes ; ils sont étranges, transgressifs et d’un autre monde. En tant que programmatrice, je recherche des films qui embrassent un esprit d’outsider. Il n’est donc pas surprenant que nous présentions de nombreux premiers films. Cette année, par exemple cinq des six films présentés sont des premiers films. Et je suis vraiment fière de la programmation de cette année. Elle est variée, mais tous les films se rejoignent quelque part. » Justine Smith
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CTVM.info — Parlez-nous d’abord d’un de vos premiers coups de cœur au cinéma ?
Justine Smith — J’ai eu la chance de grandir dans une maison entourée de classiques du cinéma. Ma première obsession a été LE MAGICIEN D’OZ. Je regardais ce film pratiquement tous les jours. Quand vous êtes enfant, votre perception du temps est tellement différente de celle d’aujourd’hui, que le film semblait interminable, comme un rêve. Je me souviens de l’avoir revu après de nombreuses années, à l’âge adulte, et d’avoir pensé qu’il semblait si court, car dans ma mémoire, il s’étendait sur plusieurs vies.
Qu’est-ce que le cinéma de genre représente pour vous ?
Justine Smith — Le cinéma de genre se situe souvent juste en dehors du courant dominant, ce qui permet à des idées nouvelles et passionnantes de voir le jour. Dans le meilleur des cas, les gens sont prêts à prendre des risques qu’ils ne pourraient peut-être pas prendre dans un film plus commercial. Si nous parlons de cinéma de genre en dehors des productions des grands studios, on y découvre une certaine permissivité qui permet d’être audacieux et de défier le public. En tant que spectatrice, j’aime être mise au défi.
Parlez-nous un peu de vos études universitaires ? À quel type de carrière rêviez-vous lors de vos études ?
Justine Smith — J’ai étudié le cinéma à l’Université Concordia. Je ne crois pas que j’avais encore une carrière précise en tête. J’aimais le cinéma et écrire sur le sujet, mais étant donné que j’ai grandi pendant la crise financière, avoir de grands rêves me semblait être un handicap. Je dirais que ce n’est que plus tard, quand j’avais une vingtaine d’années, que j’ai su que je voulais être écrivain.
Parlez-nous un peu de votre parcours avant de vous joindre à la famille Fantasia ? Vous avez écrit pour diverses publications, notamment Little White Lies, The Globe and Mail, Roger Ebert et Cult MTL. Vous écriviez autant sur le cinéma classique que le plus récent. Quels étaient vos premiers textes et en êtes-vous particulièrement fière ?
Justine Smith — Mes premières critiques de films ont été publiées dans un blogue et c’étaient des critiques de films vus à Fantasia. J’ai écrit pour Twitch (aujourd’hui Screen Anarchy) et Sound on Sight (aujourd’hui PopOtiq) au cours des premières années et j’ai lentement commencé à présenter et à écrire pour des sites Web payants. Il est toujours difficile de revenir sur de vieux écrits, mais je dirais que ma critique de A SERBIAN FILM est toujours d’actualité. Si je devais écrire la même critique aujourd’hui, l’essentiel de l’argumentation resterait le même, mais certains exemples changeraient.
Quel est le rôle du critique de cinéma aujourd’hui, à l’ère des médias sociaux et de la mort lente des magazines imprimés ?
Justine Smith — Le cinéma était indéniablement la forme d’art dominante du 20e siècle, il est donc logique que la critique cinématographique ait pu, à cette époque, s’imposer dans le grand public. Je crois sincèrement que l’avenir de la critique au XXIe siècle est de trouver sa place en tant que forme d’art. La critique a toujours existé entre le journalisme et l’art. Sa nature parasitaire a toujours été reléguée dans l’ombre, indigne d’un véritable respect. Ironiquement, toute la technologie qui a mené à la chute du cinéma, des magazines et (sans doute) de la critique, peut aussi être sa rédemption. La vidéo, les récits hybrides, l’audio et les possibilités infinies d’Internet peuvent également conduire à de nouvelles façons de réimaginer la critique en tant qu’art et même de réimaginer l’histoire du cinéma. Il y aura probablement aussi des formes plus traditionnelles de pratique critique et journalistique, mais nous verrons de plus en plus de critiques tester les limites et pousser la forme dans des directions nouvelles et, espérons-le, passionnantes.
Vous semblez vous intéresser particulièrement sur les questions de la représentation sexuelle au cinéma. En quoi le cinéma de genre contemporain est un bon véhicule pour ce type de représentation ?
Justine Smith — Le sexe est complexe et paradoxal, et le cinéma grand public a rarement l’espace nécessaire pour explorer ces nuances sans aliéner le public. Le cinéma de genre a toujours été un terrain fertile pour le sexe, car ses réalisateurs n’ont pas peur d’explorer leurs propres désirs et cauchemars sexuels. Même s’ils sont adolescents, il y a une certaine audace à représenter ses fantasmes les plus sombres et ses pires cauchemars qui peut être révélatrice de la psyché des cinéastes, mais aussi plus généralement. Même dans le contexte de la pornification de la culture, il y a très peu de place pour une analyse critique et artistique du rôle que joue le sexe dans nos vies en dehors du travail de certains réalisateurs de films de genre.
Un film comme CAM (2018), qui a été présenté en première mondiale à Fantasia, est un excellent exemple de film qui explore l’identité sexuelle, la politique et la technologie de manière inventive et transgressive. Il remet en question les idées préconçues selon lesquelles le sexe dans le cinéma de genre est nécessairement « problématique », s’il adopte le point de vue d’une femme et d’une travailleuse du sexe sans diaboliser ses choix. L’horreur du film émerge à la fois de la stigmatisation des travailleurs du sexe, mais aussi de la nature cannibale des technologies des médias sociaux qui se nourrissent de notre créativité et de notre enthousiasme. C’est un texte tellement riche qui utilise parfaitement les éléments du genre pour exprimer pleinement ses idées.
Quels ont été vos premiers contacts avec le festival Fantasia ? Quels souvenirs gardez-vous de vos premières visites au festival ?
Justine Smith — Mes premières expériences du festival ont été celles d’un écrivain émergent. J’étais en fait débordé les premières années et je n’ai pas profité pleinement de l’expérience du festival, préférant regarder des films, puis rentrer à la maison et écrire à leur sujet. Dès le début, j’ai été touchée par la gentillesse, la camaraderie qui régait au festival. Ayant grandi avec les forums de discussion, la plupart de mes passions cinématographiques ont été vécues en ligne et se retrouvaient soudainement propulser dans un environnement où tout le monde aimait les films autant que moi était incroyable. J’ai senti un tout nouveau monde s’ouvrir à moi.
Vous avez été animatrice de l’émission « Fantasia le Talk-show » diffusée notamment sur les ondes de MAtv. De quelles entrevues gardez-vous le meilleur souvenir ?
Justine Smith — C’était une expérience formidable, mais si je devais choisir des moments marquants, j’ai adoré parler à Ted Kotcheff. C’est grâce à Fantasia que j’ai découvert WAKE IN FRIGHT, qui est maintenant l’un de mes films préférés, et c’était incroyable de pouvoir lui parler en personne. Il avait des histoires incroyables à raconter et il était très gentil. Une autre entrevue que j’ai adoré faire était avec la John Adams, Zelda Adams & Toby Poser pour la sortie de THE DEEPER YOU DIG. Il est facile de tirer des conclusions hâtives en pensant que les films réalisés en famille ne forment le plus souvent qu’un amas de clichés. Mais leur dynamique et leur passion étaient si uniques qu’ils capturaient non seulement l’aspect collaboratif de la réalisation de films, mais aussi le sens du jeu. Leur attitude et leur éthique de travail se sont révélées contagieuses.
Vous êtes Directrice du volet UNDERGROUND au festival Fantasia. Décrivez-nous un peu cette section et quels sont vos objectifs à titre de programmatrice ?
Justine Smith — J’utilise le terme Underground au sens large pour décrire à la fois une esthétique et une pratique artistique. La plupart des films de l’Underground sont à petit budget et n’ont pas de perspectives commerciales évidentes ; ils sont étranges, transgressifs et d’un autre monde. En tant que programmateur, je recherche des films qui embrassent un esprit d’outsider. Il n’est pas surprenant que nous présentions de nombreux premiers films. Cette année, par exemple cinq des six films présentés sont des premiers films.
Justement, parlez-nous un peu de ces six films ?
Justine Smith — Je suis vraiment fière de la programmation de cette année. Elle est variée, mais tous les films se rejoignent quelque part. ALL JACKED UP AND FULL OF WORMS a été repéré par ma collègue Celia Pouzet et il porte pas mal tous les postulats de l’esthétique underground : grinçant, sombrement drôle, dégoûtant, brutal, granuleux et plein de vers.
THE DIABETIC est une production locale coprésentée par Les Fantastiques Week-ends du cinéma québécois; c’est un film de nuit grinçant sur un diabétique de type 1 qui perd le sens de la réalité après être rentré chez lui dans l’Ouest de l’île. Il utilise une image magnifique, mais incroyablement texturée, pour créer un nouveau langage d’un handicap cinématographique, tout en adoptant un humour décalé et en détournant les tropes de la comédie de copains.
THE FIFTH THORACIC VERTEBRA est le premier long métrage du réalisateur sud-coréen Syeyoung Park. C’est un film de rupture rêveur avec de la moisissure, des champignons et de nouvelles formes de vie. C’est un film nostalgique et personnel dont le centre est peut-être un matelas arracheur de vertèbres, mais il est plus impressionniste et rêveur que gore.
FRÁGIL est tout droit sorti des rues de Lisbonne, un film réalisé par des étudiants universitaires sur le fait de traîner et de se droguer. Le but ultime des personnages est de se rendre au club insaisissable et toutes les distractions, interruptions et ratés du genre les en empêchent. Plein de jeunesse chaotique, dans le meilleur sens du terme.
HONEYCOMB, réalisé par Avalon Fast, suit cinq filles qui ont fui la société pour créer leur propre communauté. Un Virgin Suicides ouvertement saturé avec une approche DIY et un surréalisme inhabituel. Un film qui semble construit à partir de l’instinct et du cran purs, de la meilleure façon possible.
Enfin, nous avons SKINAMARINK, un film d’horreur expérimental sur deux jeunes enfants qui se réveillent en pleine nuit dans une maison dont les fenêtres et les portes disparaissent. Loin d’une narration conventionnelle, l’image texturée et la conception sonore riche du film vous entraînent dans un état hypnotique effrayant. J’ai hâte de le voir sur grand écran.
Quel réalisateur contemporain aimeriez-vous inviter ou rencontrer dans le cadre du festival ?
Justine Smith — Julia Ducournau, sans hésitation.
À titre de cinéphile, quels films attendez-vous cette année parmi la programmation de Fantasia 2022 ?
Justine Smith — il y en a tellement !!! Je pense notamment à GIVE ME PITY!, HAPPER’S COMET, WE MIGHT AS WELL BE DEAD, NEXT SOHEE et ONE FROM THE ROAD.
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