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Une entrevue de Patrice Laliberté sur son premier long métrage « JUSQU’AU DÉCLIN »

Publié le 20 avril, 2020
Publié le 20 avril, 2020

La pandémie, les désastres et le cloisonnement dans le cinéma québécois (1).
Une série de Marc Lamothe.

Une entrevue de Patrice Laliberté sur son premier long métrage, JUSQU’AU DÉCLIN produit par Netflix 

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« Refaire un tel sujet l’an prochain serait de la pure exploitation. J’ai même hésité à tourner JUSQU’AU DÉCLIN l’an dernier, de peur de me positionner comme un opportuniste face au sujet. » Patrice Laliberté

En février dernier, Jusqu’au déclin a été présenté en première mondiale aux Rendez-vous Québec Cinéma. À titre de premier film québécois produit par NETFLIX, le film a bénéficié d’une grande attention médiatique. Depuis le 27 mars 2020, le thriller survivaliste est enfin disponible sur Netflix. La distribution comprend Réal Bossé, Marc-André Grondin, Guillaume Laurin, Marilyn Castonguay, Marc Beaupré, Marie-Évelyne Lessard, Guillaume Cyr et Isabelle Giroux. 

À 33 ans, Patrice Laliberté, le coscénariste et réalisateur du film, avait déjà à son actif de nombreux courts métrages dont Le cycle des moteurs (2014), Viaduc (2015) et Drame de fin de soirée (2016). En ajoutant à cette filmographie la réalisation de publicités et deux séries web, Patrice Laliberté était fin prêt pour la réalisation de son premier long métrage. Son suspense nordique a curieusement été rattrapé par le coronavirus (COVID-19) et le grand cloisonnement entamé à la mi-mars. Nous avons discuté avec le réalisateur de la genèse du film, de son tournage et lui avons demandé à quoi il s’occupe en cette période de cloisonnement.

CTVM – Que pouvez-vous nous dire sur la genèse de Jusqu’au déclin ?

P.L. – Vers 2015, alors que je terminais le tournage de Drame de fin de soirée, j’ai eu l’idée de tourner un film sur la peur. J’avais déjà travaillé sur un projet qui traitait des milices urbaines. Je regardais le phénomène des milices citoyennes, et ça me faisait peur. Leur discours est parfois teinté d’intolérance et de radicalisme. Imagine s’il venait à prendre le contrôle d’un territoire… 

J’ai aussi pensé au synopsis du premier long métrage de Jean Pierre Lefebvre, Le révolutionnaire (1965). Je ne l’ai jamais vu, mais j’avais lu sur ce film dans un numéro de 24 HEURES dédié à son œuvre et ça m’avait inspiré. Un groupe de jeunes adultes se retrouvent dans une ferme isolée pour s’entraîner en vue d’une révolution.  

J’avais aussi en tête le film The Green Room (2005) de Jeremy Saulnier. Ça raconte le drame d’un groupe de punk qui tente de survivre aux attaques d’une meute de skinheads néonazis.  C’est dans ce contexte qu’au départ est né une idée de court métrage qui s’apparente beaucoup à Jusqu’au déclin. 

La première version du scénario du court métrage était cosignée avec Charles Dionne. Au fond, c’était surtout une version concise du premier acte du long métrage qui devait se terminer avec la scène de l’explosion.  

Après avoir été accepté au programme de production à micro-budget de Téléfilm Canada, nous avons décidé de traiter cette histoire en mode long métrage et d’approcher Nicolas Krief à titre de co-scénariste. 

 

CTVM – Coécris avec Charles Dionne et Nicolas Krief, parlez-nous un peu de ce processus tricéphale d’écriture. 

P.L. –  C’est super enrichissant de travailler un scénario à trois, chacun amène ses forces, ça nous permet d’aller plus loin dans le travail scénaristique. L’écriture à plusieurs aide beaucoup dans les dialogues, ça permet une plus grande variété de dialogue, ayant trois auteurs différents, on écrit et on parle différemment.

CTVM – Quels souvenirs gardez-vous du tournage de Jusqu’au déclin ?

P.L. – La saison de tournage du film découlait étroitement du budget consacré.  À l’annonce du budget de 5 millions de dollars, nous savions que nous avions une bonne base pour sécuriser un tournage extérieur hivernal. Nous avons tourné le film essentiellement au Parc régional de la Forêt Ouareau, situé à Lanaudière. Nous avons dû conjuguer avec un froid incroyable, variant de -28 C à -42 C. Nous tournions surtout de 16 h au lever de soleil. L’humidité hivernale nous mordait en pénétrant nos vêtements. J’ai eu accès à une équipe de vétérans habitués à de tels tournages ; ça nous a beaucoup aidés. Ils m’ont avoué que Jusqu’au déclin avait été l’un de leurs tournages les plus intensément froids de leurs carrières. 

Ma plus grande difficulté reste l’inconsistance de la neige. En 30 jours de tournage répartis sur 45, la neige change beaucoup. Après chaque scène, il fallait qu’une équipe replace la neige pour effacer nos pas.  Et tu es victime de la progression de l’hiver. L’ensoleillement dans cette saison nous a aussi imposé certains défis.   

Parmi l’une des scènes non filmées à Lanaudière, je mentionnerais celle où le personnage joué par Marie-Evelyne Lessard devient prisonnière sous le lac glacé. Nous avons dû créer notre propre bassin aquatique artificiel en studio et avons opté pour une eau très opaque et brouillée. 

CTVM – Vous avez privilégié une conception sonore complexe, supportée par des notes minimalistes et de lourds drones ambiants pour votre bande sonore. Pourquoi ce choix ?

P.L. – La musique de mes films est très importante pour moi. La musique et le son représentent 50 % de l’expérience au cinéma. Pour ce film, j’ai fait appel à Jason Sharp, un saxophoniste montréalais qui combine électronique, capteurs corporels, technologie, techniques de respiration circulaire et battements cardiaques enregistrés pour produire une musique minimaliste. J’ai opté pour un sound scape où la musique vient toujours de l’image. 

Pour la conception sonore, j’ai aussi eu le privilège de travailler avec Bernard Gariépy Strobl et Sylvain Bellemare.

CTVM – Un de vos personnages justifie sa présence au camp d’entraînement en expliquant que « Si ça pète, ça va être une crise sociale. Ça va arriver pas mal plus vite qu’on pense. ».  La réalité vient de rattraper votre fiction. Personnellement, comment vivez-vous ce qui se passe depuis la projection de votre film aux Rendez-vous de Cinéma québécois en février dernier ?

P.L. – On vit tous le cloisonnement de manière particulière. Je me sens comme pris dans une étrange parenthèse. Je sais que le monde va changer.  Dans le film, nos personnages évoquent une catastrophe naturelle, un crash économique ou une crise sociale pour se protéger. Nous n’avions même pas considéré l’angle de l’épidémie. Jamais je n’aurais cru que la pandémie serait le grand fléau.  

Dans mon cas, je suis au moins chanceux que ça tombe à un moment où je suis entre deux projets. J’ai toujours été casanier, alors ça ne change pas encore grand-chose pour moi. J’utilise ce temps pour le développement d’un projet de long métrage.

Je me questionne sur l’effet de coïncidence entre notre film et l’actualité. Si le film était sorti il y a, disons, 6 mois, est-ce qu’il aurait eu une deuxième vie ces jours-ci ? 

CTVM – Si vous deviez retourner Jusqu’au déclin l’an prochain, vous changeriez quoi au juste à la lumière de ce qui se passe ces dernières semaines ?

P.L. – Je ne le referai pas. Un tel sujet l’an prochain serait de la pure exploitation. J’ai même hésité à tourner Jusqu’au déclin l’an dernier, de peur de me positionner comme un opportuniste face au sujet.

CTVM – Qu’est-ce que vous regardez comme film ou série en temps de cloisonnement ?

P.L. – Je viens de terminer la série documentaire King Tiger sur Netflix. Quand la réalité dépasse la fiction… Tous les personnages y sont plus grands que nature. Sinon je game pas mal. Je joue ces temps-ci à ARK, un jeu de survie dans un monde parallèle. 

CTVM – Quels bons films de Pandémie, de désastre ou de cloisonnement vous viennent en tête ?

P.L. – 12 Monkeys (1995) de Terry Gilliam. J’adore Terry Gilliam. J’aime comment il aborde le thème du virus épidémique

CTVM – Où en êtes-vous avec TRÈS BELLE JOURNÉE ? Que peux-tu nous en dire?

P.L. – Jusqu’au déclin est mon premier film, mais il ne se présente pas visuellement ainsi. Très belle journée aura, je crois, ce look premier film que je cherche. Un peu comme revenir à mes premiers films réalisés dans le cadre du mouvement Kino. C’est un long métrage tourné avec mon cellulaire et un humour noir. L’histoire d’un coursier à vélo qui est pris dans une intrigue de film noir. Le film est créé au fur et à mesure du montage. La légèreté de l’équipement nous permet de monter et de retourner au tournage pour compléter ou rectifier. Nous sommes ainsi au 4e aller-retour. Il ne nous reste que quelques images à tourner et le film pourrait être prêt dès l’automne 2020. 

CTVM – Il s’agit d’une nouvelle production de votre compagnie Couronne Nord, créé avec Julie Groleau et Guillaume Laurin.  Que pouvez-vous nous dire sur la création de cette compagnie ?

P.L. – Nous avons créé la compagnie, car la SODEC l’imposait pour la recevabilité de nos projets.  Mais pour moi, Couronne Nord, c’est d’abord la volonté faire des films au sein d’une gang de chums avec qui j’aime tourner. C’est comme un beau coffre à outils. Loyauté, confiance et bon fit sont les bases de notre équipe. Je crois énormément à la force du groupe. Julie Groleau, je n’ai pas à me battre contre elle pour aucune décision, car elle est l’alliée de mes films. Elle se bat pour nous. Guillaume Laurin, en plus d’être comédien, s’implique aussi à titre de réalisateur, co-scénariste et producteur exécutif dans la compagnie.   

CTVM – Jusqu’au déclin est le tout premier film québécois produit par Netflix. Comment s’est passée votre collaboration avec cette corporation.

P.L. – Tout s’est bien passé, ils nous ont épaulés à chaque étape de la production et ne se sont jamais présentés sur le plateau. Je n’ai jamais perdu le contrôle de la production. 

** Photos prises le soir de la première dans le cadre des Rendez-vous Québec Cinéma 

 

Une entrevue réalisée par Marc Lamothe
Directeur des partenariats et Programmateur
Festival international de films FANTASIA

«Jusqu’au déclin» est disponible depuis le 27 mars dernier sur Netflix avec sous-titres en 32 langues.

 

 

 

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