Brigitte Monneau, directrice générale de SYNTHÈSE – Pôle Image Québec, nous entretient des activités de l’organisme en collaboration avec l’industrie de la création numérique.
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Dans une récente entrevue, Brigitte Monneau, qui a pris la direction générale de SYNTHÈSE fin janvier 2021, nous expliquait que SYNTHÈSE est un organisme unique en son genre. « Nous sommes rattachés au ministère de l’Enseignement Supérieur mais notre travail est très transversal. Nous touchons aux enjeux de main d’œuvre, qui sont aussi du ressort du ministère du Travail et nos actions visent à aider les entreprises de la création numérique qui elles sont liées au ministère de l’Économie et de l’Innovation ou au ministère de la Culture et des Communications »
Mais SYNTHÈSE, qu’est-ce que c’est ?
« L’origine de SYNTHÈSE, souligne Brigitte Monneau, est une demande des entreprises de la création numérique du Québec pour faire face à leurs enjeux de main-d’œuvre. Elles se sont tournées vers le ministère de l’Enseignement supérieur pour trouver des moyens, via les établissements d’enseignement, de former des diplômés qui répondent aux besoins d’un secteur qui évolue rapidement et nécessite des compétences adaptées. SYNTHÈSE a donc été mis en place en 2018, sous la direction de Suzanne Guèvremont.
Le rôle de SYNTHÈSE est de faire du maillage et rapprocher le milieu de l’enseignement avec celui des industries de la création numérique afin d’adapter les programmes existants ou créer de nouveaux programmes. Le volet recherche est également important : tout ce qui se fait dans les chaires de recherche universitaires ou les centres collégiaux de transfert de technologie doit sortir des labos et être connu des entreprises.
SYNTHÈSE fait en sorte que ces deux mondes se parlent plus souvent et collaborent”.
Vous parlez d’un dialogue entre deux mondes qui ne se parlaient pas assez. A-t-il était facile à établir ?
Brigitte Monneau – Oui, même si la pandémie a un peu ralenti les opportunités de dialogue, SYNTHÈSE a mis en place plusieurs comités aviseurs pour l’épauler dans son travail.
On a, premièrement, notre comité de gouvernance qui est l’équivalent d’un conseil d’administration. Les trois associations sectorielles – le BCTQ, Xn Québec et La Guilde du jeu vidéo du Québec – siègent sur ce comité. On y retrouve aussi une représentante du milieu collégial, un représentant du milieu universitaire et un représentant du ministère de l’Enseignement supérieur. Donc, notre instance de gouvernance permet d’asseoir à la même table les acteurs principaux.
Ensuite, nous avons le comité expertises et métiers, composé de spécialistes en ressources humaines ou en formation au sein des entreprises. Il s’agit d’une douzaine de personnes provenant des 3 secteurs avec lesquels nous travaillons : le jeu vidéo, les expériences numériques et les effets visuels. Les entreprises représentées sont de tailles différentes afin de couvrir toutes les réalités en matière de main d’œuvre et de formation. Ce comité est consulté sur les projets qu’on met en place, on va chercher leurs commentaires, et en rétroaction ils nous font part de ce qu’ils vivent sur le terrain : leurs enjeux, les postes en pénurie, les compétences recherchées…etc.
Pour représenter le milieu de l’enseignement, nous avons le comité pédagogique qui est composé de directions de programmes ou d’enseignants en création numérique, autant au niveau collégial qu’universitaire. Ce comité contribue à nos initiatives visant à améliorer l’adéquation formation-emploi, la structure pédagogique des stages ou l’entrée sur le marché du travail des diplômés par exemple. De notre côté, nous partageons les observations que nous faisons par notre travail de veille sur les changements dans l’industrie afin d’alimenter leurs réflexions sur les changements potentiels à apporter à leurs programmes ou la création de nouveaux programmes.
Cet automne, nous mettons en place un comité de superviseurs en jeu vidéo et en effets visuels. Son rôle sera de nous alimenter sur les changements technologiques et leur impact sur les compétences et les métiers de la création numérique.
Dans votre nouveau plan stratégique 2022-2025, vous ne parlez pas vraiment du rattrapage que vous êtes obligé de faire en ce moment à cause de la pandémie. Son impact au niveau de la main-d’œuvre a-t-il été significatif ?
Brigitte Monneau – Notre plan stratégique propose des orientations à haut niveau donc on n’y détaille pas l’impact de la pandémie sur la main d’œuvre.
Mais ce sont des industries qui ont pu continuer à fonctionner pendant la pandémie car le télétravail s’est très vite et très bien déployé, contrairement aux tournages “live” qui eux ont été très touchés.
Ce que la pandémie a provoqué, c’est une mondialisation du marché du travail. Désormais, le lieu de travail n’est plus un facteur déterminant, les talents d’ici peuvent très bien travailler pour des entreprises d’Europe ou des États-Unis, avec des salaires dans des devises plus intéressantes. A l’inverse, il y a un besoin de main d’œuvre sénior que les entreprises d’ici aimeraient recruter à l’étranger – les associations sectorielles travaillent beaucoup à ce chapitre – et il faut être en mesure de les attirer. C’est une nouvelle couche de complexité qui s’est ajoutée, à laquelle il faut bien sûr ajouter un facteur démographique qui n’a rien à voir avec la pandémie.
Mais ça veut dire aussi que la formation va changer parce que cette formation aussi doit s’internationaliser d’une certaine manière.
Brigitte Monneau – Il faut effectivement regarder ce qui se fait ailleurs, non seulement à l’international mais aussi dans d’autres secteurs ici. C’est une des choses dont on tient compte dans nos observations.
Par exemple, dans notre enquête “Travailler en création numérique : évolution des métiers graphiques 2D-3D et enjeux de formation” parue l’an dernier, nous avons formulé plusieurs pistes de réflexion suite à des rencontres avec le milieu. Parmi ces recommandations, il en est une sur laquelle on travaille particulièrement : l’intégration des apprentissages en milieu de travail. Concrètement, il s’agit de mettre les étudiants en lien avec les entreprises le plus tôt possible dans leur parcours. On entre ainsi dans les modèles d’alternance travail-études, qui existent dans d’autres secteurs – comme la santé – ou dans d’autres pays ; en France notamment. Dans le but de se diriger vers l’alternance travail-études, nous avons lancé cet été un projet pilote qui a permis à 18 jeunes de faire des stages en entreprises.
Il s’agit du projet ARRIMAGE.
Nous avons facilité le maillage afin que les candidats soient envoyés dans les entreprises en fonction de leur programme d’études, des compétences déjà acquises, des logiciels maîtrisés, etc. Envoyer « le bon candidat au bon endroit » a fait une réelle différence dans le résultat, tant du côté des entreprises que des étudiants.
De plus, cela a permis à des établissements de mieux se faire connaître. On constate en effet que les nombreux programmes en création numérique au Québec – il y en a une centaine – ne sont pas tous connus des entreprises. En ayant une meilleure compréhension des programmes offerts, de leurs contenus, des compétences qui y sont développées, les entreprises pourront mieux recruter des stagiaires et, éventuellement, des employés.
Donc votre rôle, c’est vraiment de permettre aux uns et aux autres de mieux se connaître …
Brigitte Monneau – Exactement, pour les amener à mieux collaborer.
La pandémie doit avoir changé beaucoup de choses, voyez-vous de gros changements dans le secteur de la création numérique ?
Brigitte Monneau – Comme dans beaucoup de secteurs, le télétravail s’y est beaucoup implanté et va certainement demeurer et cela a un impact sur les bassins de recrutement des employés. Aussi, dans le domaine du jeu vidéo, la demande a explosé pendant la pandémie et le confinement et les studios ont vu leur croissance augmenter rapidement.
Les autres changements ne sont pas liés à la pandémie, ils sont liés à l’évolution technologique qui transforme certains métiers ou façons de travailler.
Quels sont les défis qui attendent SYNTHÈSE dans les prochaines années ?
Brigitte Monneau – Notre défi est de toujours rester à l’affût des transformations du secteur pour outiller les établissements dans leur proposition de formations.
Par exemple, les entreprises d’effets visuels vont être amenées à intégrer les technologies d’intelligence artificielle dans leurs processus de travail et les artistes numériques vont devoir maîtriser ces outils. Dans le domaine du jeu vidéo, la 5G, avec sa très haute vitesse d’exécution, va avoir un impact sur les jeux en ligne et permettre à de plus en plus de joueurs de jouer simultanément. La conception des jeux va s’en trouver modifiée.
En d’autres termes, chaque changement technologique amène une réflexion sur le rôle que les artistes numériques vont jouer et les outils qu’ils vont devoir maîtriser.
Cette nouvelle réalité a aussi un impact sur plusieurs métiers dits “traditionnels”, des métiers de plateau qui vont devoir embrasser le numérique. Par exemple, l’utilisation de moteurs de jeu en temps réel dans le secteur des effets visuels fait en sorte que ce qui se faisait auparavant en post-production est fait en amont. La réalisation, l’éclairage doivent être pensés en conséquence.
Tout cela est donc en train de bouger. Et notre mission est d’accompagner le monde de l’enseignement supérieur pour qu’il puisse répondre aux exigences des entreprises des secteurs de la création numérique.
Dans nos actions, on veut aussi mettre de l’avant les formations en 2e et 3e cycle car il faut aussi que les étudiants se dirigent vers les métiers de la recherche pour que ces industries demeurent innovantes.
Et vous misez beaucoup, à SYNTHÈSE, sur la formation continue
Brigitte Monneau – Modifier un programme existant ou mettre en place un nouveau programme, cela prend du temps. Donc la formation continue, c’est la partie ‘agile’ qui permet d’être en phase avec les besoins du secteur.
C’est pour cette raison que nous avons développé une plateforme entièrement dédiée à la formation continue sur laquelle les professionnels des effets visuels, du jeu vidéo et des expériences numériques peuvent retrouver différents cours offerts par des cégeps et universités. Notre objectif est aussi d’amener les établissements d’enseignement à développer plus de formations continues, en concertation les uns avec les autres, pour que l’offre soit la plus diversifiée possible.
C’est aussi important d’amener les entreprises à valoriser la formation continue. On ne se cachera pas que c’est tout un défi, surtout dans le contexte de pénurie où les employés doivent absorber plusieurs tâches, par manque de personnel. Dans ce contexte, dégager du temps de formation continue, ce n’est pas simple. Toutefois, l’investissement des entreprises en formation continue leur permettra de s’assurer qu’elles ont toujours dans leurs rangs les professionnels les plus à la page possible.
Tu parlais de nouvelles études que vous êtes en train de faire. Quelles sont les prochaines étapes alors ?
Certains sujets de l’enquête publiée l’an dernier méritent d’être creusés un peu plus et c’est ce qu’on va faire au cours des prochains mois. Nous allons aussi faire connaître sur SYNERGIES, notre plateforme de veille, des sujets de mémoires de maîtrise ou des thèses de doctorat que le milieu gagnerait à connaître.
Au début de l’année 2023, nous lançons BOUSSOLE, une plateforme sur la découvrabilité des métiers et formations en création numérique. Il y a de nombreuses possibilités de carrières qui sont très méconnues des jeunes et de ceux qui les entourent; parents, conseillers d’orientation et enseignants. Nous allons donc centraliser toute l’information sur les métiers – avec des témoignages de professionnels -, les compétences nécessaires et les différentes formations disponibles pour chacun des métiers.
Aussi, il ne faut pas oublier que SYNTHÈSE aspire à être un pôle physique. Il y a en effet toujours ce projet de regrouper à l’édifice Balmoral, autour de l’École NAD-UQAC, d’autres universités et cégeps qui auront accès à des laboratoires mutualisés que même des entreprises pourront utiliser. Le maillage enseignement-recherche et entreprises y sera donc permanent et permettra à SYNTHÈSE de bien asseoir son rôle.
C’est un gros projet qui, on l’espère, verra bientôt le jour.
Crédit photo : Stéphane Brügger, photographe