Deuxième série d’entrevues avec des réalisatrices en prévision du Festival Regard qui débute au Saguenay ce mercredi 22 mars jusquù’au 26 mars 2023
REGARD est un festival qui fait une belle place à la relève locale, notamment avec des programmes tels que Tourner Tout Prix ou 100 % régions.
–
Ces deux programmes regroupent 19 courts réalisés cette année par de jeunes réalisateurs et réalisatrices locaux. Nous ajoutons deux courts qui ont su attirer notre curiosité.
Voici donc deux nouvelles entrevues avec des artistes dont vous entendrez sûrement parler.
Entrevues de Marc Lamothe pour CTVM.info
________
Milikᵘ tshishutshelimunuau
Isabelle Kanapé
CTVM– Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?
Isabelle Kanapé — Pour moi le court métrage est un format accessible. Tous mes films ont été réalisés dans le cadre des escales Wapikoni. Les escales Wapikoni Mobile sont des événements qui se déroulent dans les communautés autochtones et avec un studio mobile qui permet à des participants de réaliser divers courts métrages. Très accessible, cet événement m’a permis de vivre en 2013, ma première expérience de réalisation : Caserne 79. J’y ai beaucoup appris et l’année suivante, j’ai décidé de faire un film sur une fable que j’avais lu sur Internet. Le court métrage est donc la seule option qui m’est disponible à ce moment dans la réalisation de mes films, car tous mes films sont créés avec Wapikoni Mobile.
Pour plus de détails au sujet de Wapikoni Mobile
https://evenementswapikoni.ca/
À titre de jeune réalisatrice, comment avez-vous financer votre production?
Isabelle Kanapé — Je me trouve très privilégié d’avoir eu accès à un mentor avec qui la chimie s’est bien passée pour bien percevoir ma vision dans le tournage du documentaire ainsi qu’à l’équipement de l’escale Wapikoni. La procédure d’une escale est que la Roulote (studio Mobile) équipée d’ordinateurs et d’équipements de prise d’image et son, vient dans la communauté et on a accès à tout cet équipement gratuitement. Aussi, on a accès à 2 cinéastes-mentors, une intervenante sociale et quelqu’un de la communauté à la coordination de l’escale. Le seul investissement que ça demande est sans doute le temps, car il faut pouvoir être disponible pour les tournages et j’ai aussi beaucoup participé au montage (étant donné que mon mentor ne parlait pas l’innu).
Faire un film avec Wapikoni Mobile est très sécurisant. D’abord on a accès à des cinéastes qui ont beaucoup d’expérience et de talents. Mais jamais, ils ne vont nous imposer leur vision. Wapikoni Mobile est aussi un organisme qui met de l’avant la souveraineté narrative. Donc, on va nous proposer des façons d’atteindre un but, mais on n’y sera jamais imposé. Alors comme j’étais dans un environnement très sécurisant, je me suis permis de retenter le coup pour un documentaire. Dans cette escale, il y avait déjà beaucoup de fiction en production, alors pour varier un peu, C’était bienvenue bien d’avoir diverses formes de films.
Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?
Isabelle Kanapé — Pour être bien honnête, j’ai fait ce film parce que je voulais absolument réaliser un autre film! Je n’avais pas d’histoire pour faire une fiction, une fable ou un conte, alors j’ai proposé à mon ami Paul-André Vollant de faire un documentaire sur sa campagne électorale. Pour faire ce choix, on a fait comme on fait presque toujours, on a pris un café et on s’est promené en voiture dans le village pour voir ce qu’on pourrait montrer. À la fin de presque deux heures de « tournaillage » dans le village, on s’est dit qu’on pourrait faire un film avec tous les sujets dont on avait discuté. Le lendemain, je me suis assuré que mon ami était toujours partant avant que j’aille voir l’équipe de l’escale pour leur parler du projet. Et il a dit oui. Après, s’en est suivi les tournages et les discussions avec mon ami. Étant donné le temps que j’avais pour le projet (4 semaines), il aurait été difficile pour moi d’élaborer un script pour ce qu’il y aurait dans le film. C’est au montage, qu’on a pu voir le message qui prenait forme.
Chacun retient ce qu’il veut d’un film, mais moi je crois que mon film a touché beaucoup les gens par l’accès privilégié dans la communauté, du fait que la langue innue a une grande importance, car tous les discours sont en Innu et que les rites sont encore très respectés.
Que veut dire Milikᵘ tshishutshelimunuau ?
Isabelle Kanapé — Milikᵘ tshishutshelimunuau veut dire « accordez-moi votre confiance ». Il s’agit en fait du slogan de campagne de mon ami Paul-André. Pour moi, que le titre soit Innu va de soi! Malgré que je sais qu’il est difficile à prononcer pour tout le monde (même pour moi parfois), ça me remplit de fierté de voir un titre en langue Innu. Notre langue est menacée, par le français il y a quelques années, mais beaucoup par l’anglais maintenant. Au début du projet, j’ai même pensé ne pas faire de sous-titre. Lorsque Gabrielle (L’intervenante) m’a demandé pourquoi, j’ai fait : – J’sais pas… avec tout mon respect, j’ai appris ta langue moi.. Pourquoi pas toi? Mais si le film est sous-titré, vous pouvez remercier le gang de Wapikoni, qui était si emballé, par le film, que j’ai décidé de faire des sous-titres en français pour eux et ainsi qu’il comprennent ce que disent les gens dans le film.
Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans?
Isabelle Kanapé — Pour le moment, je suis encore dans la pataugeuse de Wapikoni Mobile, je ne découvre tranquillement les possibilités qui me sont offertes. Disons que pour le moment c’est vraiment pour le plaisir que je fais des films. Je participe présentement à une escale virtuelle avec Wapikoni Mobile qui a été financé par Netflix où on fait l’exercice de faire un scénario et j’y apprends beaucoup et j’espère que bientôt je pourrais parler du projet sur lequel je suis en train de travailler dans cette escale. Mais j’espère que dans 10 ans j’aurais toujours autant de plaisir à faire ce que je fais.
Quel pourrait être le sujet de votre prochain film?
Isabelle Kanapé — En fait, je suis le type de personne qui voit des films à faire dans presque tous sujets qu’on me raconte. Mais dans le cadre de l’escale Wapikoni en collaboration avec Netflix, je travaille sur une nouvelle pour laquelle j’aimerais beaucoup réaliser une animation. Mais je n’en suis qu’à l’étape de l’idée et d’évaluer les possibilités de réalisation de ce projet.
J’aimerais aussi faire un documentaire sur la langue innue, son histoire, l’écriture, les gens qui travaillent à la garder vivante, les gens qui l’ont appris sur le tard, les gens qui ne l’ont jamais appris et qui voudraient l’apprendre… J’aimerais montrer comment cette lutte pour la survie de notre langue nécessite les efforts de tout le monde.
***
NDDJ NOTRE-DAME DE JAMBON
Grace Singh et Sita Singh
Qu’est-ce que le format court métrage représente pour vous personnellement?
Grace et Sita Singh — Le format court métrage représente un idéal en terme d’exploration formelle et thématique. Nous souhaitions nous lancer dans un projet cinématographique ensemble, en chevauchant nos débuts de carrière artistique. Le court métrage permet de s’amuser avec une idée ou une histoire. C’est un format avec une contrainte de temps parfaite en début de carrière. Avec beaucoup d’ingénuité, il est possible d’aller en profondeur dans une thématique cinématographique. Si nous nous laissons cette liberté d’explorer, il peut alors y avoir un impact important pour la continuité formelle des œuvres à suivre.
À titre de jeune réalisatrices émergentes, comment avez-vous financé votre production?
Grace et Sita Singh — C’est une très bonne question et nous aimons beaucoup y répondre! Une de nos forces pour ce projet fût définitivement de faire beaucoup avec peu. Nous avons reçu une première bourse de 1000$ de la Société civile des auteurs multimédia pour la pré-production et production. Ce montant symbolique nous à permis principalement de couvrir les frais de subsistance alimentaires durant les 2 jours de tournages pour l’équipe qui nous aidait. Car nous le savons toutes; une équipe bien nourrie est une équipe heureuse! La bourse nous a également permis d’acheter quelques biens pour la direction artistique ou pour la fabrication de matériel utile lors du tournage. Soyons transparentes sur cette information; personne n’a pu être rémunéré pour la production. Nous avons une éternelle reconnaissance de cette participation volontaire de la part de nos amies et de la famille. Sans quoi le film aurait difficilement vu le jour.
Ensuite, pour la post-production nous avons eût des bourses universitaires de Concordia, d’un total cumulatif de 6000$. Cette somme nous à principalement permis de rémunérer notre monteur. Cette tâche représente une partie cruciale de l’oeuvre et ultimement de la création concrète du court métrage. Le reste du financement nous à permis de faire affaire avec un coloriste et d’offrir une rémunération symbolique pour les compositeurs, mixeurs et bruiteurs. Bref, il s’agit d’un film réalisé avec beaucoup d’implication volontaire, mais cette contrainte financière nous a également permis une grande liberté de création.
Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court?
La genèse du projet est une volonté claire de notre part de vouloir créer une représentation diversifiée de la région québécoise. Cette réalité d’être immigrant.e.s (ou de deuxième génération) à la campagne, c’est la réalité de notre père, c’est la nôtre, mais c’est celle de plein d’autres familles immigrantes qui s’établissent en zones rurales. Plus nous mettons l’emphase sur la diversité des expériences, plus nous offrons la possibilité à cette même diversité de se voir représenté à l’écran. Ceci permet ensuite d’ajuster notre conception collective de l’identité québécoise. Nous côtoyons plusieurs familles, qui comme nous, arrivent d’un autre pays pour s’établir au Québec. En constatant que les biais raciaux influencent beaucoup notre perception de «l’autre», et qu’il construit encore les fibres de notre société, nous voulions apporter un portrait lumineux de cette expérience d’être jeune, racialisé et en région. En créant un film subtil qui présente des personnages de régions «atypiques» dans leurs rapports sociaux. Tout en étant consciente du pouvoir qu’ont les médias sur l’imaginaire collectif, ce film était pour nous un hommage, un acte d’humour et d’humanisation de nos réalités.
Comment avez-vous réalisé ce film en mode bicéphale? Qui a fait quoi exactement sur la production?
Grace et Sita Singh — Notre collaboration a avant tout commencé par l’idéation du projet. Nous avons collaboré de A à Z dans l’écriture du scénario, des bourses et à la coordination des livrables pour notre distributeur Spira. Nous avons une synergie naturelle et des aptitudes complémentaires. Sita est une artiste multidisciplinaire avec une orientation principale en Design. Grace est également artiste multidisciplinaire, avec un focus en Cinéma. Dès le tout début du projet nous savions où se trouvaient nos forces respectives. Sita apporte une méthodologie de travail, un regard aiguisé sur l’esthétisme et la cohérence des idées générées. Pour ce qui est de Grace, sa contribution était dans sa compréhension des rouages cinématographiques, de ses connaissances techniques avec la caméra et de ses notions formelles sur le cinéma.
Nous voyons la force potentielle qu’il y a dans la collaboration et le communautarisme, en cohésion avec notre perception que le geste de partage d’idées et d’inspirations puissent apporter à une co-création. Somme toute, la clé de notre collaboration artistique relève de notre compréhension de nos forces et faiblesses, de notre symbiose naturelle, peut-être un peu empreinte de magie blanche.
Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme? Ou vous projetez-vous dans 10 ans?
Grace et Sita Singh — Ce qui nous fascine avec ce médium artistique c’est la représentation dans les médias, et l’impact que cela peut avoir dans une société et son futur proche. Le cinéma et les médias populaires peuvent servir à la guérison du sentiment d’appartenance à l’identité collective. Nous espérons faire partie de ces nouvelles voix qui participent à la fabrication de la pluralité des identités québécoises. Nous nous projetons dans 10 ans dans un plein épanouissement de nos carrières artistiques, encore dans un esprit de collaborations et à rire à s’en époumoner (si le monde existe encore d’ici 10 ans) (rires)
Quel pourrait être le sujet de votre prochain film?
Grace et Sita Singh — Nous travaillons présentement sur deux projets qui focalisent encore une fois sur notre communauté. Nous aimerions faire un documentaire sur notre père immigrant et sculpteur en région. Un film style masala, où se joint réalité et esthétisme bollywoodien. Nous nous intéressons aussi aux sujets du sisterhood et sommes en écriture de recherche sur ce sujet qu’est l’auto-représentation. Tout est encore au stade embryonnaire, mais souhaitons accoucher de ces projets d’ici la fin du monde. (encore rires)