Une entrevue de Carnior sur le long métrage coréalisé « FEUILLES MORTES »

Une entrevue de Carnior sur le long métrage coréalisé « FEUILLES MORTES » par Marc Lamothe dans la série « La pandémie, les désastres et le cloisonnement dans le cinéma québécois (7) »

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« Lors d’une séance de questions–réponses pour FEUILLES MORTES, une dame nous avait demandé pourquoi faire un film sur un tel sujet. Je crois que le cinéma, et particulièrement le cinéma de genre et de science-fiction, nous amène à nous poser des questions. En mettant en scène de telles éventualités, on est obligé de se demander ce que ferions dans un tel contexte.  Ou encore mieux, se demander ce que nous devrions faire pour justement éviter une telle réalité. »

Carnior

Carnior (Steve Landry de son vrai nom) est un artiste multidisciplinaire. Plusieurs le connaissent comme scénariste/réalisateur, certains comme acteur et les gens de l’industrie l’apprécient aussi comme directeur artistique. Outre sa participation au collectif Phylactère Cola, Carnior a réalisé plus de 35 courts métrages, dont plusieurs au sein du mouvement Kino.

En 2016, il coécrit et cosigne avec Thierry Bouffard et Édouard Tremblay le long-métrage FEUILLES MORTES, un film choral dans un Québec post-apocalyptique.

 

 

L’HISTOIRE

Cinq ans après un effondrement économique. Le gouvernement et les banques sont tombés. Le Québec rural est à l’image du Far West. Au cœur du film se trouve un village fortifié, n’acceptant que de faire entrer les étrangers qui ont de quoi troquer ou qui possèdent certaines compétences. Les régions avoisinantes sont devenues des « no man’s lands » où prolifèrent des communautés d’exclus et de crapules. Entre ces deux territoires, trois personnages aux passés différents verront sans le vouloir leurs destinées s’entrecroiser. 

Le film a connu un grand succès sur iTunes et quelques plateformes numériques. La distribution comprend notamment Roy Dupuis, Noémie O’Farrell, Audrey Rancourt-Lessard, Philippe Racine, Mélody Minville, Marie-Ginette Guay et Jacques Laroche.

 

  • leon
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Carnior est actuellement en cloisonnement dans la région de Québec et termine l’écriture de son premier long métrage solo. Le drame post-apocalyptique qu’il a coréalisé en 2016 a été rattrapé par le coronavirus (COVID-19) et le grand cloisonnement entamé à la mi-mars. Nous avons discuté avec lui de la genèse du long métrage, de son tournage et lui avons demandé comment se passe son confinement.

 

 

CTVM.info : Que pouvez-vous nous dire sur la genèse de FEUILLES MORTES ?

Carnior : Édouard Tremblay, Thierry Bouffard et moi sentions que nous étions prêts à réaliser notre premier long métrage. Nous avions initialement opté pour une formule autoproduite avec notre propre argent, car nous voulions garder notre liberté créative et artistique sur le projet. Et comme nous sommes tous les trois amateurs de films de genre, l’approche post-apocalyptique s’est vite imposée à nous, car de tous les genres, c’est sûrement l’un de ceux qui est le plus facile à réaliser efficacement avec peu de budgets.  En recyclant beaucoup de trucs et en choisissant des lieux de tournage inspirants, on peut créer une ambiance et développer un scénario en fonction du budget évidemment et en fonction des besoins d’une telle production. Si chacun de nous voulait écrire et tourner un segment ou une partie du film, il était clair que nous ne voulions pas tourner un film à sketches, mais bien un film choral ou les trois histoires avancent en parallèle avec un point de rencontre où les histoires s’entrecroisent après avoir partagé le même territoire. 

Nous avions choisi de décrire une société après une grande crise sociale où le gouvernement, le système financier, l’armée et la police sont littéralement tombés. L’idée de la survie et d’un monde « chacun pour soi » dans un univers atemporel nous plaisait. 

Chaque réalisateur a écrit son segment, nous avons échangé sur ceux-ci pour voir comment nos histoires allaient se recouper et chacun de nous a réalisé sa propre section, mais avec un sens commun de l’ensemble du film, des lieux et des décors.  Nous nous sommes évidemment épaulés et appuyés dans nos mises en scène respectives. Chacun des réalisateurs suit donc un des trois personnages principaux. Les scènes sont entremêlées de façon à créer une structure narrative commune. Thierry voulait un style plus viscéral et fébrile; Eddie avait une vision plus cynique et introspective; alors que ma section se voulait davantage idéaliste et romantique. 

 

CTVM.info : Aviez-vous un film ou un réalisateur comme référence lors du développement du projet ?

Carnior : Nous avions tous les trois été très impressionnés par le film THE ROVER (2014) de David Michôd. L’Idée de la survie et du troc comme monnaie d’échange dans un monde à la Mad Max, mais en beaucoup plus réaliste, nous parlait et nous as inspirés en partie. CHILDREN OF MEN (2006) de Alfonso Cuarón que nous avions visionné ensemble nous en avait beaucoup imposé. La démonstration et l’ambiance de cette crise sociale à l’écran nous apparaissaient tout simplement formidables. 

 

CTVM.info : Et la réalité vient de rattraper votre fiction avec la pandémie actuelle et le cloisonnement imposé. Comment vivez-vous ce moment de confinement ? 

Carnior : Je n’ai pas trop peur, car je crois que notre gouvernement gère bien la situation et le public.  D’un côté, je trouve ça difficile personnellement, car je suis un être social et un gars de gang. On se fait des 5 à 7 virtuels avec mes chums, mais ce n’est pas pareil. D’un autre côté, je me considère très chanceux, car je peux vivre ce moment en famille avec ma blonde et notre fille. C’est un beau défi de conciliation de nos emplois, des leçons de notre fille et du temps passé en famille. J’y vois un bel exercice de discipline. Nous avons choisi de ne pas vivre ça chacun de notre côté devant nos cellulaires, nos ordinateurs ou nos tablettes; mais de partager ça en famille. On regarde des films et on joue à des jeux de société. J’ai même commandé de nouveaux jeux sur Amazone récemment…

J’ai toujours eu un côté « survivaliste » et cet aspect de ma personnalité s’est affiné avec mes recherches pour le film FEUILLES MORTES.  Après une fuite de gaz majeure qui nous avait obligés de quitter vite de nuit notre logement il y a quelques années, j’ai compris l’importance de garder près de la porte de sortie un sac à dos contenant tout ce que doit contenir une trousse d’urgence de 24 ou 48 heures. Je perçois ce cloisonnement comme un grand exercice de feu pour notre société.  

Lors d’une séance de questions-réponses pour FEUILLES MORTES, une dame nous avait demandé pourquoi faire un film sur un tel sujet. Je crois que le cinéma, et particulièrement le cinéma de genre et de science-fiction, nous amène à nous poser des questions. En mettant en scène de telles éventualités on est obligé à se demander ce que ferions dans un tel contexte.  Ou encore mieux, se demander ce que nous devrions faire pour justement éviter une telle réalité.

CTVM.info : Si vous deviez réaliser FEUILLES MORTES l’an prochain, que changeriez-vous exactement à la lumière de ce que vous avez vécu ces dernières semaines ?

Carnior : Bonne question. Notre film n’en était pas un de confinement, mais de mouvance et de survie sur un territoire. Je ne changerais rien, car le film a sa propre logique et son univers qui me satisfait. Cependant, la récente crise me donne des idées des courts métrages ou des scènes de films en développement. 

Je crois qu’il y aura de nombreux films sur les épidémies et le cloisonnement dans les mois et les années à venir puisque les créateurs écrivent souvent à partir de leur vécu et de ce qu’ils ressentent. Ce que nous vivons collectivement va avoir des répercussions sur les œuvres à venir. Si les meilleures histoires sont celles qui sont bien senties, on devrait avoir droit à de beaux films et de belles réflexions sur le sujet.

 

CTVM.info : Qu’est-ce que vous regardez en ce moment comme films ou séries en ces temps de cloisonnement ?

Carnior : Nous nous sommes abonnés récemment à Netflix et à Crave, alors on est en rattrapage de séries. Le temps est propice au binge-watching. Nous venons de terminer THE BOYS, la série télévisée américaine de super-héros basée sur la bande dessinée du même nom. En famille, nous regardons actuellement LOCK AND KEY sur Netflix. 

Personnellement, je suis en mode rattrapage des films québécois produits et distribués en 2019. Je suis sur le jury pour le prix IRIS de Québec Cinéma et je dois passer au travers de tous les longs produits l’an dernier. 

 

 

CTVM.info : Quels bons films de pandémie, de désastre ou de cloisonnement vous viennent en tête ?

Carnior : 28 DAYS LATER (2002) de Danny Boyle reste un de mes grands classiques du genre. Le film à son époque avait changé la donne dans l’univers des zombies en insistant sur l’aspect épidémique de la crise en en mettant en scène des zombies capables de courir. Personnellement, je n’aurai pas montré l’origine de la crise en laboratoire au début du film. J’aurais commencé directement avec le réveil du personnage principal qui ne comprend pas ce qui se passe. Mais sinon, c’est un film quasiment parfait à mes yeux. 

 

CTVM.info : Quels projets vous attendent après le retour à la normale ?

Carnior : Je m’apprête à remettre à mes producteurs la 3e version du scénario de mon film CENT MILLE SANDRE. J’ai reçu une bourse à la scénarisation de la SODEC l’an dernier. Le film a évidemment beaucoup évolué depuis la première version. C’est un film de science-fiction sur la thématique d’une invasion extra-terrestre. Ça se veut un film plus sobre qu’on pourrait le croire. C’est un drame, mais avec des éléments de comédies romantiques et quelques scènes d’action. Cette troisième version me plaît beaucoup et me semble très dynamique. Je ne prévois pas montrer l’invasion extra-terrestre, car c’est trop dispendieux à filmer et je crois que le public a déjà ces images en tête. Hollywood les a déjà tournées, bien tournées dans des films comme INDEPENDANCE DAY. Mon défi n’est pas là. Ce choix me permet de me placer du point de vue de mon héros qui a justement fui la ville et l’invasion.  Bien hâte au dépôt et pouvoir alors commencer à penser au casting.

 

 

Une entrevue réalisée par Marc Lamothe

Directeur des partenariats et Programmateur

Festival international de films FANTASIA

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