Une entrevue de Marc Lamothe avec Alexia Roc, lauréate du Prix du Meilleur Film de la section TOURNER À TOUT PRIX du festival REGARD pour BERGEN, NORVÈGE
Entrevue de ALEXIA ROC par Marc Lamothe
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Depuis quelques années déjà, le festival Regard programme la section Tourner à Tout prix. Dédiée aux cinéastes qui ont en commun une pulsion créatrice, la section célèbre la production indépendante au Québec. Le jury a dû trancher parmi 13 films forts et idiosyncrasiques et choisir le film qui se mérite le PRIX DU MEILLEUR FILM TOURNER À TOUT PRIX. Ainsi, le court-métrage BERGEN, NORVÈGE d’Alexia Roc s’est vu remettre 5 000 $ en argent pour la production d’un prochain court-métrage offerts par Unis Tv, 15 000 $ en location d’équipement offerts par Spira, ainsi qu’une participation offerte au Festival Off-Courts de Trouville en partenariat avec le Consulat général de France.
Alexia Roc est une scénariste, réalisatrice et directrice artistique québécoise-haïtienne de 27 ans basée à Montréal. Elle a réalisé quelques courts, collaboré à d’autres et elle est la créatrice d’une attachante série diffusée sur les ondes de MAtv, Entre Parenthèses.
Nous avons voulu la rencontrer et parler avec elle de son parcours et de ce film coup de poing qu’est BERGEN, NORVÈGE.
Qu’est-ce que le format court-métrage représente pour vous personnellement ?
C’est ce que nous apprenons à faire à l’école, c’est ce que nous apprenons à faire quand on commence ; c’est le parfait outil pour commencer à utiliser notre voix artistique et politique, sans encore savoir exactement comment l’articuler plus longtemps qu’en court-métrage.
Réalisatrice, scénariste, monteuse et directrice artistique, votre C.V. est déjà garni de courts-métrages et du projet ENTRE PARENTHÈSES, une websérie sociale distribuée par MAtv depuis 2021. Parlez-nous un peu de cette expérience sociale ?
Ce projet social qui me tient à cœur vise à regrouper des duos de gens pour créer des discussions filmées. Mon but est d’ouvrir des dialogues entre des personnes qui se connaissent, pour s’enrichir sur divers sujets et tabous actuels et se comprendre mieux les un.e.s des autres, avec douceur et sincérité. Le tout dans le but de déceler des questionnements relationnels tout en favorisant l’acceptation, l’intégrité et l’ouverture d’esprit… une denrée plutôt rare de nos jours. Cette émission nous permettra d’entendre, d’apprendre, de comprendre et de s’informer sur nombreux sujets interpersonnels et de portraiturer des citoyens différents et magnifiques.
Parlez-nous brièvement du duo qui vous a le plus touché dans cette série ?
Mes grands-parents sont décédés pas longtemps après cette discussion. C’est un miracle d’avoir pu les réunir à cet endroit et d’avoir un souvenir indestructible de leur amour. Ma famille est très reconnaissante pour cet épisode. Je retourne souvent écouter leur discussion, c’est un rêve et on se sent toutes.tous choyé.e.s de pouvoir les voir en vie aussi souvent qu’on le souhaite.
À titre de jeune réalisatrice émergente, comment avez-vous financé la production de BERGEN, NORVÈGE ?
Avec aucun financement (hé, hé, hé). C’est un film d’archives et d’utilisation d’une caméra de voyage. Le reste est dans le montage soigné et dans de nouvelles techniques audio.
Qu’avez-vous voulu exprimer avec votre court ?
Le travail de BERGEN, NORVÈGE commence alors que je retrouve, dans mon téléphone, la conversation WhatsApp avec mon abuseur. Relire cette conversation fait remonter à la surface toutes sortes d’émotions, d’abord un trauma réel, puis quelque chose de différent s’installe chez moi, mon approche est moins fragile qu’auparavant, j’ai un soudain besoin d’exposer cette histoire, de la rendre visible et surtout d’enfin prendre position avec ma propre voix et mon propre corps. Avec le mélange de la voix robotique et de ma propre voix, je pense que je me sens encore plus puissante. Il y a, depuis longtemps, une association traditionnelle de la voix avec la féminité, surtout avec le ton plus aigu/plus doux qui est idéal pour une femme.
Avec l’utilisation de cette voix robotique, tout à coup, cela devient ambigu. Cette voix devient la voix de n’importe qui, tout en comprenant qu’elle est ma subjectivité féministe. Dans BERGEN, NORVÈGE, la voix robotique donne une ironie et une impersonnalité au texte qui est très émotionnel, et se heurte au parcours émotionnel du récit. La collision de ces deux sentiments distincts, l’ironie et l’obscurité, rend hommage à l’un et à l’autre tout au long de la pièce. Bergen, Norvège devient mon premier court-métrage complété aux thématiques de l’abus sexuel. Distribuer ce film au Festival Regard est une étape cruciale pour la suite de ma guérison. Ce film, ainsi que ma voix et mon corps performatif, deviennent une conversation, spectatrice d’un sujet qui m’est cher et qui touche tant de gens autour de moi et en parler n’est plus aussi douloureux qu’avant. On devient une communauté quand on guérit à plusieurs.
Vous vous mettez en scène et devenez ainsi le visage de la voix qu’on entend. Documentaire, fiction, documenteur, autofiction ou expérimentation ?
J’ai vraiment voulu travailler un parcours de recherche-création, au travers des expérimentations autobiographiques de vidéo-confessions. Cela m’a permis de me centrer pour la première fois sur la grande colère qui m’habite en tant que femme, militante et victime. Le fait d’utiliser mon corps ainsi que cette voix robotique a entamé la première étape d’un besoin de guérison dont j’ignorais l’existence: Utiliser ma voix et mon corps comme canevas actif dans mon propre récit est révélateur. Cela m’ouvre vers de nouvelles avenues, d’autres façons d’explorer ce qu’est la féminité et d’explorer de nouvelles techniques cinématographiques pour évoquer ces valeurs. Je devais me centrer sur moi-même, me redécouvrir et poursuivre un chemin vers des techniques cinématographiques qui me ramène à l’écriture de moi et à la mise en action de mon corps dans l’enjeu que je décris.
Quel aspect du métier vous fascine le plus à moyen ou à long terme ? Où vous projetez-vous dans 10 ans ?
Je ne suis pas fascinée par le métier, car c’est un métier très dur. Je suis plutôt fascinée par la légèreté que je trouve de plus en plus dans mon milieu grâce aux choix que je fais. Maintenant, dire non, et m’entourer des bonnes personnes changent tout sur ma vision de mon futur, qui est beaucoup plus rassurant qu’avant.
Vous êtes actuellement en développement de projets de courts-métrages et de web-série. Quel projet avez-vous le plus hâte de partager au public ?
Je développe mon court-métrage grâce au soutien de la SODEC dans le volet émergent. Je suis aussi en écriture de ma web-série, et en post-production du pilote de celle-ci. Grâce au prix du meilleur film Tourner à tout prix du Festival Regard, j’ai la possibilité et les ressources pour préparer un projet hybride documentaire/fiction que je tournerai cet été.
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