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RICHELIEU – Entrevue du réalisateur Pier-Philippe Sévigny à l’occasion de la première canadienne à Fantasia

Publié le 3 août, 2023
Publié le 3 août, 2023

RICHELIEU – Entrevue du réalisateur Pier-Philippe Sévigny à l’occasion de la première canadienne de son premier long métrage au Festival Fantasia

RICHELIEU sera présenté à guichet fermé au Cinéma du Musée, ce vendredi 4 août 2023

Une entrevue de Marc Lamothe 

Pier-Philippe Chevigny

Pier-Philippe Chevigny est un réalisateur, scénariste et monteur.  Ses nombreux courts métrages lui ont tous connues des carrières internationales. Son dernier court-métrage RECRUE (REBEL) jouit d’une notoriété mondiale et il s’impose après une première remarquée au Toronto International Film Festival en 2019. Sa carte de visite comprend aujourd’hui 135 sélections en festivals, 38 prix et une qualification à la course à l’Oscar du meilleur court métrage. En 2021, il tourne RICHELIEU, un premier projet de long-métrage de fiction qui sera présenté ce vendredi en première canadienne au festival international de films FANTASIA. Nous avons voulu nous entretenir avec le réalisateur à la veille de sa première Nord- Américaine.

 

CTVM.info — Tout d’abord, quel est le film ou le réalisateur qui a réveillé le cinéphile en vous et qui vous as guidé vers le métier de réalisateur? 

Pier-Philippe Chevigny — Très tôt, c’était le cinéma de genre hollywoodien, en particulier l’horreur qui, je pense, a une influence importante sur mon travail même si ce n’est pas explicite. L’idée d’avoir une première pour RICHELIEU au Festival Fantasia Résonne très fort avec mes rêves de petit gars. Bien que le film ne semble pas cadrer à première vue avec les caractéristiques de sélection du festival, il y a dans mon écriture de nombreux ressors narratifs tirés tout droit du thriller et de l’horreur, c’est sans doute ce qui a plu aux programmateurs.  À l’étape du Cégep, ma découverte du cinéma direct québécois m’a beaucoup influencé; c’est un élément déterminant sur les types de sujets que j’allais aborder comme cinéaste. C’était une période où mon implication comme militant étudiant a aussi cristallisé mon désir de faire un cinéma politique, social. Plus explicitement, les Dardenne, Abbas Kiarostami et Michael Haneke, chacun à leur façon, sont sans doute les cinéastes aux influences les plus visibles dans mon travail de création.

 

J’aimerais revenir sur RECRUE votre court-métrage écrit et réalisé mettant en vedette Émile Schneider et Jean-Nicolas Verreault et présenté en 2019 au Festival international du film de Toronto. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ce court?  

Pier-Philippe Chevigny — RECRUE a été une expérience de complète surprise, du début à la fin. C’est un film que j’avais écrit en réaction à VÉTÉRANE, mon film précédent, dont je demeure aujourd’hui encore très fier mais qui n’avait pas eu la visibilité qu’on espérait. RECRUE, en revanche, a été écrit très rapidement, surtout pour me garder actif pendant que je développais RICHELIEU. Ça a été une immense surprise qu’il soit financé partout du premier coup. Puis, c’est un film qui a eu une carrière vraiment spectaculaire en festival, et ce succès a définitivement pavé la voie au financement de RICHELIEU. Ce n’est pas mon préféré parmi mes courts-métrages mais, ne serait-ce que pour les portes qui se sont ouvertes pour moi après, j’en demeure très satisfait.

Quelle est l’idée d’origine à la base du scénario de RICHELIEU?

Pier-Philippe Chevigny — Dans le cas de RICHELIEU, je m’étais intéressé au « Programme des travailleurs étrangers temporaires » pour mon court-métrage Tala, qui portait sur la condition des aides ménagères du West Island. Il me restait pour ainsi dire beaucoup de «retailles» de recherche quant à la portion agricole du programme des travailleurs étrangers, et j’ai longtemps mijoté sur cette thématique. On lisait ponctuellement des articles sur des cas d’exploitation et d’abus, mais il n’y avait rien de vraiment substantiel ou de vraiment critique. En guise d’exemple, aucun documentaire osait aller assez loin pour dévoiler l’exploitation alléguée.

Je me suis donc remis à m’intéresser à la question, j’ai tenté de mener des entrevues et j’ai vite compris pourquoi personne n’avait vraiment creusé le sujet. Elle me permettait de protéger l’anonymat de mes sources, en brouillant les pistes, en recontextualisant, en dramatisant… mais en montrant néanmoins les choses de l’intérieur. Le scénario est au final une sorte de collage de témoignages accumulés au fil des ans. L’idée de raconter cette histoire de l’angle d’une interprète français-espagnol m’apparaissait vraiment passionnante, car elle permettait autant de montrer le point de vue du patronat que celui des ouvriers, et donc d’apporter beaucoup de nuances de part et d’autre.

Le projet a d’abord été présenté au Talent Project Market de la Berlinale. Que pensez- vous de ce mode de développement de projets? 

Pier-Philippe Chevigny — Grâce à notre passage à la Berlinale, le projet est devenu de facto une coproduction avec la France. C’est dans ce cadre-là que nous avons d’abord rencontré TS Production qui sont les coproducteurs du film. À travers notre participation à un autre forum de coproduction (le Gabriel Figueroa Film Fund du Festival de Los Cabos), nous avons également rencontré le cinéaste guatémaltèque Jayro Bustamente. C’est sa boîte, (La Casa de Producción) qui organisé pour nous le processus de casting à distance pour les comédiens interprétant les travailleurs guatémaltèques.

 

Est-ce que le scénario a beaucoup évolué au fil des réécritures? Le cas échéant, que le serait la principale source de changement en cours d’écriture?

Pier-Philippe Chevigny — Fondalement l’histoire est toujours demeurée la même, mais nous avons beaucoup joué avec la structure. Le background du personnage principal d’Ariane a changé beaucoup dans les dernières versions. Initialement, l’histoire commençait beaucoup plus tôt, lors de l’entrevue d’embauche d’Ariane et les travailleurs guatémaltèques n’arrivaient qu’à partir du premier tiers du récit. Simon Lavoie a été lecteur sur le projet et son apport a vraiment été salutaire. J’ai appliqué la très grande majorité de ses recommandations, dont la plus significative : celle de démarrer le récit in media res, dans l’autobus, le jour de l’arrivée des travailleurs. Le personnage de Stéphane, interprété remarquablement par Marc-André Grondin dans le film, a également fait l’objet de beaucoup de réécritures. Dans les premières versions, il était dupliqué en plusieurs personnages qui partageaient entre eux la responsabilité des décisions. Bien que plus réaliste dans la structure hiérarchique d’une entreprise de cette taille, ça avait pour effet de diluer considérablement la présence-écran des antagonistes. En ramenant le tout à un seul personnage, ça permettait d’offrir au patron un arc dramatique plus complet, plus nuancé et donc forcément plus crédible. 

 

Parlez-nous un peu de votre relation avec Geneviève Gosselin-G, écrivaine, scénariste, vidéaste et productrice de votre film? comment travaillez-vous ensemble? 

Pier-Philippe Chevigny — Geneviève est ma productrice et principale partenaire créative depuis plus de 10 ans. Nous nous sommes rencontrés à l’Université et elle a produit tous mes projets depuis : nos carrières sont intrinsèquement liées. Elle est la seule personne à avoir lu toutes les versions du scénario, et elle demeure le premier public de tout ce que j’écris. C’est une personne fondamentalement bienveillante, qui rompt de façon tranchée avec l’image un peu figée du producteur-businessman froid que se font parfois les gens. Ça prend
énormément de patience pour accompagner un(e) réalisateur/trice dans un processus de développement de long-métrage : le chemin est long, ardu, souvent pavé de grandes déceptions et de remise en question. Geneviève a toutes ses qualités et son succès ces dernières années avec Le Foyer Films ne m’étonne pas du tout!

Le film a déjà joué à Tribeca et Karlovy Vary. Parlez-nous un peu de ces expériences et des réactions du public là-bas?

Pier-Philippe Chevigny — À ma grande surprise, ce furent des expériences radicalement différentes. Tribeca est un festival plus petit, qui mise davantage sur les communautés représentés dans les films qu’ils programment pour garnir leurs salles. Les salles sont plutôt modestes et le public était majoritairement composé de gens de la communauté latino-new- yorkaise. Et c’était vraiment le bon public pour le film, les réactions étaient extrêmement émotives. C’était en fait très émouvant pour nous que le film soit si bien reçu par une communauté à laquelle nous avons essentiellement dédié près d’une décennie de nos vies. Karlovy Vary, en revanche est un énorme festival, de la trempe des Cannes et Berlin de ce monde en termes de brouhaha et d’achalandage. Les salles sont magnifiques, toujours pleines à craquer, avec des files de dernières minutes bondées et des gens assis par terre. Contrairement à Tribeca, c’est un essentiellement composé de cinéphiles. Ça a été tout aussi émouvant d’arriver chaque fois devant des salles archipleines et des séances de Q&A très dynamiques.

 

On a aussi eu un grand plaisir à y retrouver nos amis Pascal Plante et Dominique Dussault qui y présentaient LES CHAMBRES ROUGES en compétition! Est-ce un drôle de sentiment d’ouvrir un film québécois en première dans un marché étranger?

Pier-Philippe Chevigny — Pour moi c’est certainement une grande fierté. L’intérêt desfestivals internationaux envers le film témoigne certainement de l’universalité de la proposition,malgré un sujet ancré dans un contexte très local. C’est un film qui fait écho à des situationssimilaires partout, en Amérique comme en Europe. Je me rends compte aussi que le cinémaquébécois fait beaucoup l’envie des cinéastes partout dans le monde, autant pour sa qualitéque pour sa structure de production. Aux États-Unis, le système de financement public paraîtêtre un mirage inconcevable pour ces cinéastes qui doivent financer leurs films de peine et de misère avec des investissements privés. En Tchéquie, on s’étonnait beaucoup aussi que le gouvernement ait accepté de financer une critique aussi virulente… du gouvernement!

 

 

Vous êtes actuellement en préproduction pour deux films MERCENAIRE, et ARSENAL, un film coécrit avec Chloé Robichaud. Que pouvez-vous nous dire sur ces deux projets?

Pier-Philippe Chevigny — MERCENAIRE est un court-métrage mettant en vedette Marc-André Grondin, par ailleurs inspiré d’une idée originale à lui. Je le présente un peu comme la suite spirituelle de mes courts VÉTÉRANE et RECRUE : c’est à nouveau un portrait social anxiogène collé au regard d’un unique personnage, s’intéressant cette fois aux déboires d’un ex-détenu violent incapable de trouver un emploi autre que celui de saigneur dans un abattoir porcin. Nous tournons cet automne.  ARSENAL, mon second long-métrage, est actuellement en phase finale d’écriture. C’est à nouveau un film social et politique, qui parle de brutalité policière envers la communauté LGBTQ+. On espère commencer les démarches de financement dès l’an prochain.

 Une entrevue de Marc Lamothe pour CTVM.info

Lien vers Le Foyer Film : https://www.lefoyerfilms.ca/richelieu

 

 

 

 

 

 

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