Une entrevue avec Lyne Charlebois réalisée par Marc Lamothe dans le cadre de la série CES ARTISTES QUI ONT FAIT DES VIDÉOCLIPS
Lyne Charlebois en entrevue avec Marc Lamothe pour un retour sur la création de nombreux vidéoclips
Une entrevue de Marc Lamothe dans le cadre de la série CES ARTISTES QUI ONT FAIT DES VIDÉOCLIPS (4 ) avec Lyne Charlebois
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Lyne Charlebois s’est d’abord illustrée à titre de photographe, de vidéaste et de réalisatrice publicitaire. Elle se consacre maintenant au cinéma et à la télévision. Au cinéma, on lui doit le film BORDERLINE (2008) adapté des livres Borderline et La Brèche de Marie-Sissi Labrèche. Ce film allait s’attirer des prix et des éloges provenant d’un peu partout autour du monde. Son travail sur des téléséries comme TABOU (2002), NOS ÉTÉS (2005), SOPHIE PARKER (2008-2009), TOUTE LA VÉRITÉ (2014), EAUX TURBULENTES (2019) ainsi que sur le docu-fiction YIN YANG a su passionner des milliers téléspectateurs. Elle a aussi réalisé quelques épisodes de la série THIS LIFE II et deux saisons de la websérie MÈRE & FILLE.
Alors qu’elle est en processus d’écriture, l’artiste touche-à-tout a accepté de revisiter avec nous quelques-uns des vidéoclips qu’elle a réalisés. Certains restent emblématiques de leur période de production, d’autres iconiques pour leurs interprètes et quelques-uns, oubliés avec les années. Entre 1989 et 1999, Lyne Charlebois a réalisé près de 100 vidéoclips. Sa vidéographie couvre un kaléidoscope d’artistes réellement éclectiques. À preuve, elle a notamment conçu des clips pour Les B.B., Beau Dommage, Isabelle Boulay, Jim Corcoran, Céline Dion, Pierre Flynn, Corey Hart, Éric Lapointe, Léandre, Kevin Parent, Les Parfaits Salauds, Gildor Roy, Richard Séguin, Vilain Pingouin et Roch Voisine. Bref, l’œuvre vidéo de Lyne Charlebois couvre une partie importante de nos années MusiquePlus.
CTVM.info — Comme nous allons parler de musique et de vidéoclips, j’aimerais commencer l’entrevue en vous demandant quel genre de musique écoutait la jeune Lyne Charlebois ?
LYNE CHARLEBOIS — J’étais folle de musique folk. J’adorais Bob Dylan, Joni Mitchell, Tim Buckley et James Taylor. J’écoutais aussi beaucoup les disques de Léo Ferré. J’aimais aussi le rock, mais j’étais plus Beatles que Rolling Stones. Ceci dit, j’affectionnais les Stones aussi. J’étais une fille à textes, ce sont les paroles qui me touchaient le plus dans la musique. Les mots et la poésie. Je rêvais d’écrire quand j’étais petite. Je ne voyais pas d’images en écoutant de la musique à cette époque. Le lien entre le son et l’image s’est développé plus tard quand je me suis mise à la photographie.
Vous avez d’ailleurs fait vos débuts à titre de photographe de plateau. Quel était votre tout premier plateau et quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
LYNE CHARLEBOIS — Mon premier plateau était MARIA CHAPDELAINE en 1983, le film de Gilles Carle. J’étais en fait assistante-photographe sur ce film, Pierre Dury était le photographe et je m’occupais surtout de la chambre noire et des développements. J’ai été photographe sur LA GUÊPE (1986), un autre film de Gilles Carle. J’ai fait de la photo pour quelques séries télé, puis j’ai eu la chance d’être photographe de plateau sur des films comme UN ZOO, LA NUIT (1987) de Jean-Claude Lauzon. Lors de cette même période, j’ai eu l’honneur de gagner un prix avec des photos prises sur le plateau d’un documentaire sur l’anorexie, LA PEAU ET LES OS (1988) de Johanne Prégent.
Comment s’est fait le passage de la photographie à réalisation ?
LYNE CHARLEBOIS — Le premier vidéoclip sur lequel j’ai été photographe de plateau est JOURNÉE D’AMÉRIQUE (1988) de Richard Séguin. Je regardais ce tournage et je me disais que je pourrais faire des clips moi aussi. L’appel est réellement venu sur ce plateau. Pendant le tournage, je suis allé voir le producteur pour lui témoigner de mon intention de réaliser des clips et c’est ainsi que je suis passé à la réalisation. Dès ce moment, j’ai été attentive au média et j’ai consommé des vidéoclips. Je me souviens encore que le tout premier clip qui m’avait réellement jetée par terre était THE END OF INNOCENCE, tourné en 1989 par David Fincher pour Don Henley. J’ai trouvé ça tellement beau que j’en ai presque pleuré. J’ai ainsi réalisé que je voulais me concentrer sur des clips photographiques.
Mon tout premier clip a été pour Mario Pelchat en 1988, mon clip suivant a été avec Johanne Blouin, et mon troisième était pour la chanson TOMBER de Laurence Jalbert. On avait entre les mains une super belle chanson. C’était quelque chose de nouveau au Québec et la voix de Laurence était distinctive et forte. On a fait un clip composé de saynètes construites autour du thème du vertige amoureux. L’important pour moi a été d’illustrer toutes sortes d’amour. On y voit entre autres deux gars, des gens plus âgés, une dame avec son animal de compagnie ainsi que des gens seuls.
Tomber
Qu’est-ce qui fait un bon clip à vos yeux ?
LYNE CHARLEBOIS — Tout part de la chanson. Un clip est bon quand la toune est bonne. Il est, je crois, impossible de faire un bon vidéoclip avec une mauvaise chanson. C’est rare qu’on entende dire que le clip est beau, mais que la chanson est mauvaise. Ceci dit, la chanson peut être bonne et le clip mauvais. Il y a une question de dosage où le vidéo final ne doit pas « upstager » la chanson ou l’artiste. Le talent d’un bon clip est qu’il accompagne bien la chanson en respectant les bases de celle-ci et la volonté de l’artiste.
Vous étiez l’une des premières réalisatrices dans cette industrie naissante du clip ? La première à se mériter un prix Félix pour le meilleur vidéoclip en 1988 avec TOMBER. Sentiez-vous personnellement une réelle différence sur les plateaux à cette époque comparativement à aujourd’hui ?
LYNE CHARLEBOIS — Bonne question. Mais, je te dirais non, pas vraiment. Quand je dirigeais des clips, pas mal toute mon équipe était du même groupe d’âge que moi et on apprenait et développait ce média ensemble. Tout le monde, ou à peu près, sortait de l’école. David Franco, un directeur photo avec qui j’ai beaucoup collaboré sortait de l’école. Il est aujourd’hui directeur de la photographie sur de grosses séries comme GAME OF THRONES ou BOARDWALK EMPIRE.
Avec David Franco sur le plateau du clip OPIUM (1992)
Tournage en ARIZONA pour Patrick Normand. En arrière-plan, David Franco et Eric Parenteau
Quand j’ai commencé à faire de la télévision, je n’ai pas trop senti de différence non plus, sauf quand je changeais d’idée sur le plateau. Je crois qu’un gars avait le droit de changer d’idée, mais peut-être pas une fille. À cela, je répondais toujours ma phrase célèbre : « Je ne change pas d’idée, j’évolue ! » C’est le seul moment où je sentais une certaine différence d’attitude. Par contre, je me souviens d’une fois où je postulais pour une série télé et les producteurs m’avaient répondu que je n’avais pas assez de couilles et ils ont finalement pris Érik Canuel et Podz. Force est d’admettre qu’il est vrai que je n’ai pas de couilles et que techniquement, Érik et Daniel en ont… (rires)
Le fait de travailler à plusieurs reprises avec les mêmes artistes change sûrement les rapports à la créativité sur leurs projets. Que pouvez-vous me dire par exemple du parcours emprunté dans le temps avec un artiste emblématique comme Daniel Bélanger ?
LYNE CHARLEBOIS — Daniel ! Cela a été un honneur de travailler avec lui. J’aimais vraiment ses chansons qui venaient me chercher au plus profond de moi. C’est un grand artiste et ses chansons sont inspirantes. Mes clips avec lui sont parmi mes préférés. Je ne crois pas qu’on puisse parler d’évolution. Chaque clip est un défi différent. On partait pas mal de mes idées et on élaborait là-dessus. Daniel est le genre de gars qui fait confiance à ses collaborateurs. Comme tout part de ses chansons et de ses paroles, ça devenait notre projet à tous les deux.
Daniel Bélanger 1 2 3 et 4
Tout de suite après TOMBER, vous enchaînez avec la chanson JE SAIS, JE SAIS de Marjo. Ce clip vous vaudra votre deuxième Félix pour le Meilleur vidéoclip (1991). Parlez-nous de la genèse de ce projet intimiste ?
LYNE CHARLEBOIS — Je me souviens encore, je parlais à Michel Sabourin, le gérant de Marjo et je tentais de lui expliquer mon concept, mais c’était difficile à expliquer. J’ai finalement dit pour clore la discussion quelque chose du genre « Écoute Michel, je veux montrer le for intérieur de Marjo, pas juste la rockeuse. Je veux explorer le noir et le blanc, la rockeuse et la douce, ainsi que la femme et la petite fille qu’est Marjo. » Le clip a réussi à changer un peu l’image de Marjo aux yeux du public. Le guitariste, co-auteur et compagnon de vie de Marjo m’avait dit au sujet de ce clip : « Tu as montré Marjo comme je la vois et comme personne ne là jamais vu avant. » Pour moi, c’était évidemment le plus beau des compliments. Comme la chanson était une ballade, ça se prêtait bien à ce genre d’exercice. On a pu expérimenter avec divers effets dans ce clip et c’est David Franco qui agissait à titre de directeur photo.
JE SAIS, JE SAIS
Vous avez eu la chance de collaborer avec Ginette Reno lors de la création du vidéoclip de la chanson REMIXER MA VIE, une œuvre très ludique. Que pouvez-vous nous dire sur cette rencontre ?
LYNE CHARLEBOIS — Écoutes, j’ai tellement ri durant ce tournage, que du plaisir. Ginette est réellement adorable. Travailler avec elle était agréable, car c’est une personne sympathique, simple, entière et sans chichi. Elle n’a aucun sens du vedettariat. Sur le plateau, elle me parlait comme si on s’était toujours connue. Elle a embarqué volontiers dans toutes nos idées. On lui avait fait faire une robe géante pour le plan final, quelle idée !
REMIXER MA VIE
https://www.youtube.com/watch?v=RI5wNOsO-F4
En 1991, vous collaborez avec Les B.B. pour le vidéoclip de la chanson DONNE-MOI MA CHANCE. Si vos vidéos sont souvent intimistes et favorisant le noir et blanc, voici un clip haut en couleur et rempli de figurants. Que pouvez-vous nous dire sur ce tournage ?
LYNE CHARLEBOIS — Mon amie Carole Bergeron qui était chorégraphe a fait un beau travail sur ce clip qui se voulait une allégorie du jeu d’échecs. Le jeu, la chance et le hasard qui s’entrecoupent dans un concept un peu abstrait. Je l’aime beaucoup ce clip, la danseuse rousse et toutes ces couleurs partout, c’était beau. C’est bien beau le noir et blanc, mais des fois il faut s’amuser avec la couleur. OPIUM et LES TEMPS FOUS de Bélanger sont aussi en couleurs, mais dans une palette des peintres de la Renaissance.
DONNE-MOI UNE CHANCE
Parlons donc d’OPIUM, réalisé pour Daniel Bélanger. Cette production vous a valu une autre statuette Félix dans la catégorie Vidéoclip de l’année (1992) et a été élu meilleur clip au Music Festival de Los Angeles. Parlez-nous de ce plateau particulier ?
LYNE CHARLEBOIS — Un tournage quasi idéal. J’étais tellement en amour avec cette chanson éclatée. Les paroles avaient quelque chose de surréaliste, de la poésie en images. Je suis une amoureuse de la photo alors j’ai amené sur ce clip une série de diapositives pour projeter en arrière-plan. Je dois absolument souligner le travail de Frédéric Page, le directeur artistique sur ce projet, un bon ami que j’ai connu en réalisant des clips. On n’en revenait pas comment tout avait bien été sur ce tournage. Tout fonctionnait à merveille. Par exemple, les feuilles de papier qui tombent, deux prises ont suffi, tout est tombé exactement comme on le souhaitait. Même les scènes avec l’eau se sont bien déroulées. Et en plus, quand on est arrivé au montage, tout se plaçait bien. Un vrai charme.
OPIUM
En 1994, vous tournez un vidéoclip pour la chanson TUNNEL OF TREES de la formation anglophone Gogh Van Go. Il a reçu un prix Juno à Toronto pour le meilleur clip de l’année à sa sortie. Parlez-nous de la production de cette œuvre au ton surréaliste ?
LYNE CHARLEBOIS — J’aimais beaucoup ce groupe et j’adorais la chanson. J’écoutais ce disque chez moi sur une base régulière. Je n’ai pas revu ce clip depuis des décennies, mais je garde en tête une autre belle collaboration avec Frédéric Page, le directeur artistique. Pour ce clip, nous avions construit une section de pièce de maison, mais localisée à l’extérieur de celle-ci, ce qui permet notamment des plans et des éclairages inusités. J’aime jouer avec les objets. Il y a une succession hétéroclite d’objets qui retiennent la fenêtre ouverte. Après le directeur photo et le directeur artistique, l’un de mes plus proches techniciens est toujours l’accessoiriste de plateau. Chaque objet parle et porte une histoire et un langage qui veut dire quelque chose. Je garde en tête un beau tournage. Bruce Chun avait fait la photo, nous avions eu une température magnifique ce jour-là et tout le tournage avait été réalisé dans la joie du moment.
TUNNEL OF TREES
En 1996, vous retrouvez Daniel Bélanger pour son deuxième album et réalisez LES TEMPS FOUS. Parlez-nous de ce tournage qui vous a valu un autre Félix pour le Meilleur vidéoclip de l’année (1997) ?
LYNE CHARLEBOIS — Un peu comme OPIUM, je voulais des projections sur les murs, mais cette fois, j’y suis allé de projections plus animées, pour un effet plus cinématographique, comme pour communiquer un certain vertige. Je voulais du mouvement. Je dois ici souligner ici l’apport de mon ami Pierre Desjardins avec qui je réalisais des bandes défilantes d’images géantes en mouvement projetées sur des murs. J’ai eu l’idée d’intégrer certains de ces défilements en projection sur les murs dans le clip. On avait tourné dans une ancienne bibliothèque de la ville de Montréal. C’était un édifice magnifique et le plancher de l’un des étages était en verre. Les projections sur ces murs et les balustrades déformaient nos images projetées. J’ai aussi utilisé de nombreuses photos en noir et blanc que j’ai filmées dans l’eau, ce qui leur donne une dimension beaucoup moins plaquée à l’écran. Bruce Chun a agi comme DOP et on a tourné ça en une seule journée. Imagine, une seule journée !
LES TEMPS FOUS
Je me souviens que j’avais expérimenté quelque chose sur ce tournage. J’avais cloué des skis au sol et j’ai demandé à Daniel de s’installer avec des bottes sur ces skis bloqués. Ça lui permettait de se laisser aller vers la droite et vers la gauche de manière intrigante. En ne cadrant pas les skis au sol, ça donnait un très bel effet. Je le voyais comme une anguille et ça répondait à la phrase, « Tes cheveux font des anguilles. Sur mon cœur qui n’est plus rien ».
En 1997, vous réalisez le clip EL DESIERTO pour Lhasa de Sela, extrait de son album LA LLORONA. Parlez-nous de ce tournage ?
LYNE CHARLEBOIS — La belle Lhasa ! Dès notre première rencontre, je me suis dit « quelle grande dame » ! Pour ce clip, je suis parti d’une idée inspirée du film LE CASANOVA DE FELLINI (1976) avec ses décors en carton-pâte évoquant le théâtre et la mer reproduite avec de grandes toiles de plastique. Dans ma tête, je la voyais assise dans une chaloupe et elle était entourée d’eau. On a tourné en extérieur un premier juillet, et il faisait moins deux degrés. Je portais mon Kanuk en plein juillet ; et Lhasa ne portait qu’une petite robe soleil. On avait tourné dans l’Est de Montréal, près des raffineries. La photographie était signée Yves Bélanger et au final, le décor était réellement surréaliste avec les raffineries en arrière-plan.
EL DESIERTO
En terminant, y a-t-il eu un artiste avec lequel vous auriez aimé travailler durant cette période, mais que la rencontre n’a finalement pas eu lieu ?
LYNE CHARLEBOIS — Ma grande peine est de ne pas avoir pu réaliser de vidéo pour Jean Leloup. Je le connaissais assez bien et un jour, il m’a dit, « tes clips sont trop sophistiqués pour moi ». James Di Salvio a fait un travail formidable et éclaté avec Jean. Mais j’ai tout de même eu le plaisir de travailler avec lui puisque j’ai été photographe pour la conception de la pochette de son premier album, MENTEUR.
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