Une entrevue de Gabriel Pelletier, président de l’ARRQ par Marc Lamothe
« Les membres de l’ARRQ sont des créateurs professionnels et ce ne sera pas la première fois qu’ils devront s’adapter au changement. Je leur fais confiance. Ce sont les meilleurs… »
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L’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ) a porté au fil de son histoire plusieurs noms. Fondée en 1973 en tant qu’Association des réalisateurs de films du Québec (ARFQ) avec, entre autres buts, celui d’obtenir des institutions du financement pour l’industrie du cinéma au Québec, ce qui a notamment mené à la création d’une loi-cadre pour le cinéma en 1975. Avec l’arrivée des réalisateurs de télévision de l’industrie privée qui désiraient aussi être représentés, l’association change de nom en 1991 pour devenir l’Association québécoise des réalisateurs et réalisatrices de cinéma et télévision (AQRRCT). C’est en 1997 qu’elle devient enfin l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ). Elle compte présentement près de 800 membres et la Loi sur le statut de l’artiste la reconnaît comme représentant tous les réalisateurs actifs œuvrant en français ou dans toute autre langue que l’anglais au Québec.
Gabriel Pelletier est devenu président de l’association en 2014 et y complète actuellement son troisième mandat. Il avait repris les rênes laissées par François Côté et Jean Pierre Lefebvre avant lui.
Né en 1958 à Montréal, Gabriel Pelletier est un réalisateur dont le parcours tergiverse entre le cinéma et la télévision. En 1991, il réalise son premier long métrage, L’AUTOMNE SAUVAGE. En 1996, KARMINA s’impose comme l’un des tout premiers longs métrages québécois de vampire et se mérite les accolades de nombreux festivals internationaux en plus de se mériter en 1997 les grands honneurs avec deux prix au Festival international du film fantastique de Bruxelles et de récolter onze nominations aux Prix Génie 1997, dont Meilleur film, Meilleure réalisation et Meilleur scénario. Il multiplie rapidement les projets, dont de nombreuses séries télévisées et les films LA VIE APRÈS L’AMOUR (1999), KARMINA II (2001), MA TANTE ALINE (2007) et LA PEUR DE L’EAU (2011). En 2000, Gabriel Pelletier s’associe à Nicole Robert et Jacques Langlois pour fonder Go Films.
Après le confinement, la vie sur les plateaux de tournage risque de ne plus être pareil pour les mois à venir. Nous avons voulu discuter avec le président de l’ARRQ de son mandat actuel, des divers enjeux défendus pas l’association et des défis qui attendent l’association au retour sur les divers plateaux au Québec.
Que pouvez-vous nous dire sur votre mandat actuel de président ?
Gabriel Pelletier : C’est mon troisième mandat qui se termine et, donc, ma sixième année à titre de président. Je compte solliciter un nouveau mandat aussitôt que nous pourrons tenir une assemblée. Elle risque d’être virtuelle dans les circonstances. Dans ce mandat qui s’achève, j’ai donné la priorité à nos négociations d’ententes collectives. Nous avons négocié une nouvelle entente pour la réalisation de longs-métrages, renouvelé l’entente pour la télévision et nous avons débuté la négociation d’une entente pour les réalisateurs de l’ONF œuvrant en français ainsi qu’une autre entente pour la réalisation d’œuvres destinées au numérique avec l’AQPM.
Sur le plan politique, nous avons comparu et déposé des mémoires au Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie chargé de l’examen de la Loi sur le droit d’auteur et au Comité permanent du patrimoine canadien sur les modèles de rémunération pour les créateurs et les artistes afin de militer pour une rémunération juste et équitable pour les réalisateurs et les scénaristes. Nous avons aussi comparu aux audiences du CRTC, la plus récente concernant l’achat de V par Bell Média, avec nos partenaires syndicaux AQTIS, SARTEC et UDA. Nous avons aussi comparu avec eux devant le Groupe d’experts sur l’examen de la législation en radiodiffusion et télécommunications du gouvernement du Canada et ce, dans le but de faire contribuer les plateformes numériques au système de radiodiffusion canadien.
J’ai aussi été très impliqué dans les deux grandes coalitions dont l’ARRQ fait partie: la Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC) que l’ARRQ a d’ailleurs initiée en 1998 ainsi que la Coalition culture et médias (CCM) qui ont toutes deux défendu la souveraineté culturelle du Canada dans l’univers numérique.
Que souhaitez-vous accomplir au regard du leg de vos prédécesseurs ?
G.P. : Je compte élargir le champ de nos ententes collectives pour pouvoir représenter le plus de réalisateurs possibles. Il y a trop de réalisateurs qui travaillent sans filet social. C’est le cas des réalisateurs qui travaillent sur les œuvres destinées au numérique. La diffusion d’œuvres sur le web n’était pas encore le phénomène qu’il est aujourd’hui lors des mandats de mes prédécesseurs. Le financement des œuvres destinées au numérique est encore déficient, bien que ce soit largement répandu. Non seulement les cachets y sont la plupart du temps inadéquats mais on demande souvent aux réalisateurs de cumuler des fonctions comme tenir la caméra ou le micro et faire le montage. Sans compter qu’on n’y offre pas d’avantages sociaux.
Ce sont surtout les jeunes de la relève qui travaillent sur le web et on y exploite leur désir de tourner à tout prix. Mais à long terme ce n’est pas viable. Il faut non seulement actualiser les ententes collectives mais aussi modifier les lois qui régissent tout notre système de radiodiffusion. Le numérique est arrivé, il est consommé partout, par tous, mais l’encadrement n’a pas suivi. Ainsi beaucoup d’argent transite des consommateurs vers des grands diffuseurs mais les artistes sont laissés pour compte. Je suis arrivé à la présidence de l’ARRQ à un moment charnière alors que le mode de rémunération des artistes est en complet chambardement. On l’a d’abord vu pour la musique. C’est maintenant au tour de l’audiovisuel de passer au rouleau compresseur numérique. Il reste beaucoup à faire pour que les créateurs obtiennent leur part de cet énorme gâteau. J’espère y contribuer et à tout le moins tracer le chemin pour mes successeurs.
Outre la récente crise, quel dossier ou combat qui te tient le plus à cœur au sein de l’association ?
G.P. : Je voudrais faire en sorte que les réalisateurs puissent enfin collecter des redevances de droits d’auteur sur les exploitations secondaires de leurs œuvres au Canada. Ainsi, après les diffusions originales de leurs films ou de leurs émissions de télé, les réalisateurs n’obtiennent rien quand les œuvres sont revendues à d’autres diffuseurs. Avec l’arrivée des plateformes numériques, ce manque à gagner ira grandissant. Pourtant, quand nos œuvres sont vendues à l’étranger, nous n’avons aucun problème à faire valoir nos droits. Il n’y a qu’au Canada qu’on n’obtient pas une rémunération juste et équitable.
Comment mesurez-vous l’impact actuel du confinement sur les tournages et l’industrie ?
G.P. : Évidemment nous avons vécu un arrêt complet ou quasi-complet des productions. Les compagnies de production ont été affectées mais les deux niveaux de gouvernement sont rapidement venus à leur rescousse en débloquant des sommes supplémentaires. Patrimoine canadien a distribué 115 millions aux entreprises de l’audiovisuel par le biais de Téléfilm Canada et du FMC tandis que le ministère de la Culture et des Communications leur a débloqué un autre 91 millions à travers la -SODEC. Ces sommes devraient éponger les pertes dues au report des tournages. Ce sont les artistes et les artisans qui seront le plus affectés car ils n’ont eu que la PCU pour survivre pendant le confinement et quand les tournages vont recommencer tous en même temps, les conflits d’horaire ne leur permettront pas d’être partout à la fois et de rattraper les contrats perdus. À travers le Fonds de secours ARRQ et la Fondation des artistes, nous avons vu beaucoup de détresse financière et ce n’est pas fini. Ce n’est pas vrai que les subventions aux entreprises vont se rendre jusqu’aux artistes pigistes. Elles devaient servir, au moins partiellement, à maintenir les emplois mais elles vont surtout servir à maintenir les entreprises à flot et éponger les pertes et les coûts associés aux nouvelles mesures sanitaires à respecter sur les plateaux.
La reprise des tournages sera d’ailleurs laborieuse avec les mesures sanitaires de distanciation sociale. Reste à voir comment on pourra raconter nos histoires en respectant la distanciation physique et la désinfection de tout ce qu’on touche. Les scènes intimes, les scènes d’amour et les mouvements de foule vont être plus difficiles à tourner. Ce n’est pas si mal pour les émissions de variété et de nouvelles, mais pour employer un mauvais jeu de mots, ce sera plus dramatique pour les dramatiques. L’impact va se faire sentir pendant au moins un an, jusqu’à ce qu’on trouve un vaccin et qu’on puisse revenir à des conditions « normales ». Quoiqu’il y ait probablement des habitudes de travail qui vont changer de façon permanente, même si on trouve un vaccin pour la COVID-19. Ce n’est pas la première ni la dernière pandémie qui peut nous affecter. J’ai tout de même confiance que la production audiovisuelle va retrouver sa vigueur éventuellement. Le financement des productions a été maintenu et même augmenté. Tout le monde a hâte de reprendre le travail. La question qui se pose c’est quand on pourra revenir à une certaine normalité et combien de victimes économiques causera cette crise. Mais il y aura des jours meilleurs, ça c’est certain.
Les grands défis qui vous attendent à l’ARRQ au retour des choses à la normale ?
G.P. : Les plus grands défis seront économiques, autant pour l’ARRQ que ses membres. Heureusement l’association était en excellente santé financière avant le début de la crise et pourra faire face. Il faudra quand même revoir notre planification stratégique et nos priorités pour appuyer nos membres au plus près pendant qu’ils se refont une santé financière.
Sur les plateaux de tournage les réalisateurs auront un beau casse-tête à gérer. Pendant un bout de temps, ce sera un laboratoire d’essais-erreurs. Ça va demander plus de planification pour les réalisateurs afin de tourner avec les nouvelles contraintes sanitaires qui vont ralentir la cadence, changer les mises-en-scène et les découpages techniques. Mais les membres de l’ARRQ sont des créateurs professionnels et ce ne sera pas la première fois qu’ils devront s’adapter au changement. Je leur fais confiance. Ce sont les meilleurs…
Un article de Marc Lamothe pour CTVM.info
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Éditorial du président de l’ARRQ publié en juin 2020
L’ESPOIR REVIENT par Gabriel Pelletier
Les activités reprennent peu à peu autour de nous et dans notre domaine mais elles n’auront finalement jamais cessé à l’ARRQ, ou devrais-je plutôt dire à l’ARRQ virtuelle. Même si, pour beaucoup, cette pandémie a représenté un congé forcé, à l’association nous avons été plus occupés que jamais. Juste avant que le confinement commence, votre directrice et moi avons eu la chance de faire une tournée parlementaire à Ottawa et de serrer la main (la pandémie n’avait pas encore été officiellement déclarée!) à des politiciens et des fonctionnaires liés aux dossiers de la culture. Nous y avons défendu les intérêts des réalisateurs dans les révisions des lois sur le droit d’auteur et celle de la radiodiffusion ainsi que d’autres dossiers qui nous préoccupent. Mais ce fut surtout une chance d’avoir pu établir le contact de façon personnelle car littéralement quelques jours plus tard, le parlement fermait ses portes et nous pouvions poursuivre le dialogue de façon virtuelle pendant tout le temps de la pandémie. Nous avons ainsi pu intervenir auprès du ministère du Patrimoine canadien afin que les travailleurs pigistes constitués en compagnie puissent être éligibles à la prestation canadienne d’urgence quand ils se payaient en dividendes. Cette demande a été entendue et nombre d’entre vous ont ainsi pu se prévaloir de la PCU.
Nous les avons aussi saisis de l’importance d’ouvrir le « programme de premières étapes de développement » du FMC aux réalisateurs. Ce programme d’aide directe n’est présentement ouvert qu’aux scénaristes sans producteur ou aux producteurs sans diffuseur. Au FMC, malgré nos représentations répétées en compagnie de la DGC, on nous a jusqu’ici refusé de l’ouvrir aux réalisateurs sous prétexte qu’il manquait de fonds. Mais depuis, Patrimoine canadien leur a octroyé 88.5 millions de dollars pour venir en aide au secteur de la télévision et ce, dans le but de préserver les emplois et d’essuyer les pertes des compagnies de production. Malheureusement, ces sommes doivent passer par des programmes existants et sont octroyées automatiquement aux compagnies de production déjà subventionnées qui verront une bonification de 20 à 25%. Rien ne garantit qu’elles serviront à préserver les emplois des travailleurs pigistes, particulièrement les réalisateurs qu’on engage typiquement à l’étape de la production d’une émission alors que toute la production télévisuelle est arrêtée depuis des semaines et qu’ils sont en grand besoin de travailler. Un programme de pré-développement qui permettrait aux réalisateurs d’élaborer de nouveaux projets en attendant la reprise arriverait à un moment opportun. Le programme de premières étapes de développement du FMC est le seul programme qui s’adresse directement à des créateurs mais on n’y semble pas considérer que les réalisateurs puissent contribuer au développement de projets. Nous allons revenir à la charge au FMC et nous espérons enfin leur faire voir la lumière.
Nous nous sommes aussi tournés du côté de Québec en nous adressant au ministère de la Culture et des communications afin que soit créé un programme d’aide directe aux créateurs à la SODEC. Mais il semble que la loi constitutive de la SODEC lui interdit de subventionner des individus. Là encore les entreprises ont reçu une bonification de leurs subventions à hauteur de 25%. On ne les a pas oubliés de ce côté non plus.
Cette crise nous rappelle qu’en cinéma comme en télévision, l’aide du gouvernement s’adresse uniquement à l’entreprise privée et que les artistes en sont tributaires pour gagner leur pain. Nous sommes évidemment contents que le MCC s’assure de la pérennité des entreprises de production avec une injection d’argent frais mais les plus vulnérables, ce sont les créateurs à la base de ce système de production audiovisuelle. Ce serait bien qu’on s’assure de leur survie aussi.
En fait, pratiquement tous les efforts de l’ARRQ ces deux derniers mois l’ont été en vue de venir en aide aux réals frappés par cette crise; des demandes nombreuses d’aide financière auxquelles nous avons dû répondre par le biais du Fonds de secours de l’ARRQ et du Fonds Netflix jusqu’à notre intervention de la semaine dernière auprès du ministère du Patrimoine canadien pour prolonger la prestation canadienne d’urgence.
Avec l’annonce d’une prolongation probable de la PCU, le Canada gagne haut la main quand il est question d’aider les artistes. Comme ce fut le cas lors des « consultations » du MCC sur la reprise des tournages, Québec a surtout été à l’écoute des besoins des entreprises avant ceux des créateurs. La mise en place des mesures sanitaires en audiovisuel sera largement à la discrétion de chaque employeur.
Outre les subventions additionnelles qu’elles viennent de recevoir du fédéral et du provincial, les entreprises de production attendent une autre aide avant de relancer les tournages à plein régime, particulièrement dans le cas des dramatiques. La semaine dernière le Regroupement des producteurs indépendants de cinéma du Québec adressait une lettre ouverte à la ministre de la Culture Nathalie Roy afin qu’elle crée un fonds d’assurance de 50 millions de dollars pour assurer le risque du nouveau coronavirus. En effet, les assureurs privés ne veulent plus assumer le risque d’une infection virale sur les plateaux. Dans le même temps, la CMPA (Canadian media producers association) acheminait une demande semblable au ministère du Patrimoine canadien en sollicitant l’appui des intervenants de l’industrie audiovisuelle dont nous sommes. L’ARRQ appuie cette aide aux entreprises, qu’elle vienne du provincial ou du fédéral, car elle est essentielle à une véritable reprise des tournages. Mais du même souffle, nous demandons qu’une assurance gouvernementale couvre prioritairement les salaires des artistes et artisans dans le cas d’une interruption de production. Encore une fois, il faut aussi penser à protéger les travailleurs pigistes.
La bonne nouvelle c’est que les tournages vont progressivement recommencer. On ne sait trop encore dans quelles conditions ni avec quels risques mais pour beaucoup d’entre nous, il sera plus que temps.
Gabriel Pelletier, président de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec
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